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Page:Lapointe - Une voix d’en bas - Échos de la rue, 1886.djvu/22

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peut se résoudre à déserter, mes clients pardonneront à mon insuffisance en faveur du désintéressement.

Les vers sur l’amour, ou inspirés de l’amour, qui exigent de la passion à défaut de sensibilité, et qui pour être goûtés veulent être parés de tous les charmes à demi voilés des grâces, ne brillent pas dans ce livre. En proie dès ma jeunesse aux luttes de la nécessité, que pouvais-je emprunter aux heures fugitives du printemps. La plus belle corde des lyres ne devait avoir pour mes chants que des accords rebelles. D’ailleurs cela eût-il été bien à sa place dans ces poésies de truelle, de plâtre et de mortier. L’art délicat, qui enferme une pensée triste, profonde et douce, dans un cadre ingénieux et charmant, comme dans la chanson le Temps (de Béranger), ne m’a pas révélé ses divins secrets.

Mais quel est l’homme qui, au bruit de l’airain sonore, ne s’est écrié au moins une fois dans sa vie : Vieillard, épargnez nos amours !

Encore une fois ce livre est rude, triste, non parce qu’il est le produit d’un désabusé hypocondre, mais parce qu’il est le reflet d’un monde dans lequel je suis né, où j’ai vécu, où je mourrai.

SAVINIEN LAPOINTE.