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Page:Lapointe - Une voix d’en bas - Échos de la rue, 1886.djvu/25

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S’est fait seul sans l’oiseau… Le cas est démontré.
Non, ce n’est pas assez que d’être fratricide,
On est un scélérat si l’on n’est déicide.
Ce scélérat ? Eh ! bien, je le serai !

N’étant point de ceux-là que bât blesse ou chagrine,
Quotidiennement je gagne ma farine,
Sans me préoccuper si j’ai du miel avec.
Par un parti vainqueur, si doux soit le sourire,
N’ayant pas fait dorer le bois blanc de ma lyre,
Au grand soleil je mange mon pain sec !

Lorsque la Liberté, dans une heure farouche,
Pendant trois mortels jours déchirait la cartouche,
Tout le monde en était. Comme un autre j’en fus…
Aux pieds de la Victoire, où chacun se jalouse,
Je n’ai pas ramassé, pour en parer ma blouse,
Quelque ruban dans le sang des vaincus !

Je vois l’ombre monter sans tomber en syncope.
Mon sort est de finir au fond de quelque échoppe.
Tel sera ton destin, Muse des voix d’en bas !
Qu’importe ! chants sacrés ou notes enrouées,
Je rafistolerai tes bottines trouées,
Et sur mon gueux ferai sécher tes bas.

J’aime, dit-on, le peuple et musette en raffole.
À chacun sa folie, à chacun son idole.
Courtisan du malheur, je me prends dans ses fils.
Du hautain parvenu mon instinct me sépare.
Pour l’homme cultivé je ne suis qu’un barbare
Mal déguisé sous les haillons civils.

Montmartre, 1881.