Page:Laprade - Œuvres poétiques, Psyché, Lemerre.djvu/290

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« Dans la sphère où je monte avant que de me suivre,
Il te reste à livrer de plus rudes combats ;
Ce n’est que pour lutter que tu dois encor vivre,
Et les adversités ne t’épargneront pas.

« Il te faut, comme moi, prendre la voie étroite ;
L’ombre abonde et les fleurs sur la route du mal ;
Celle où tu marcheras, plus âpre mais plus droite,
Mène par le désert plus près de l’idéal.

« Tu porteras le poids de ton cœur solitaire ;
Déjà ton front penché se dépouille et pâlit ;
Nul œil ne sourira près de ta lyre austère,
Et la seule insomnie habitera ton lit.

« Jamais tu ne verras un champ dont tu sois maître
Se couvrir à ton gré de rameaux ou d’épis ;
Et jamais en des bois plantés par un ancêtre
Tes bras ne berceront des enfants assoupis.

« Sans même que l’oiseau pour son nid les recueille,
Tu verras sous le pas de l’homme indifférent
Tes stériles chansons s’envoler feuille à feuille,
Et jusqu’aux mers d’oubli couler dans le torrent.

« Le monde tient pour vils les objets de ton culte ;
Il cherche d’autres biens qu’un son mélodieux ;
Tu n’auras rien de lui qu’ironie et qu’insulte…
Toi, ne le maudis point ! sois fidèle à nos dieux.

« Passe au milieu de lui sans haine et sans murmure :
La sagesse est amour : mais garde la fierté :