Page:Laprade - Œuvres poétiques, Psyché, Lemerre.djvu/54

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Où ton cœur va saigner à toute heure, en tout lieu,
Mais qu’il faut traverser pour atteindre ton dieu.
Maintenant la nature, inféconde et rebelle,
D’elle-même à ta soif n’offre plus sa mamelle ;
Tes yeux ne liront plus dans ses yeux obscurcis.
C’est le Sphinx éternel sur la montagne assis :
Sa bouche à flot répand l’ironie et le doute,
Et son corps immobile intercepte la route ;
De lui nul voyageur ne peut se détourner ;
Devant l’énigme, il faut mourir ou deviner.

Quoi ! ce corps affaissé, cette ombre qui chancelle,
Ce fantôme tremblant, c’est Psyché ? C’est bien elle !
Le vent mêle du sable à ses cheveux épars ;
Son front pur s’est ridé ; l’eau de ses yeux hagards
En sillons inégaux creuse sa pâle joue ;
Ses pieds nus sont rougis de sang et noirs de boue ;
Ses habits en lambeaux, sur ses flancs amaigris,
Cachent mal sa poitrine et ses membres flétris ;
À peine si debout, sous la chair affaissée,
Dans ses yeux par instants se trahit la pensée.
Qui dirait en voyant, sur ces plaines en feu,
Ce fantôme sans voix : c’est l’épouse d’un dieu ?
Elle-même, à l’exil ici-bas condamnée,
Semble avoir oublié le céleste hyménée.
Son orgueil est vaincu par de vulgaires soins.
Les hauts désirs sont morts sous les rudes besoins ;
Les rêves sont muets ; la faim les a fait taire,
La faim sombre, et l’horreur de ce désert austère.
Quoi ! l’être, hier encor, par l’amour absorbé,
S’élance, avide ainsi, vers quelque fruit tombé,
Prêt à vendre sa part des promesses divines