Page:Laprade - Poèmes évangéliques, Lévy, 1860.djvu/19

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d’une protection mutuelle, le libre développement des nobles instincts de l’intelligence et du cœur, la répression des basses et sordides passions, le règne des vertus difficiles.

En Grèce, à Rome même avant la décadence, l’idée sociale ne fut jamais le bien-être, mais la grandeur de l’homme. Il n’est pas interdit, sans doute, d’aspirer par les institutions sociales, à la richesse, aux jouissances d’une vie aisée ; mais le but véritable et primordial de toute législation, c’est l’accomplissement du droit, la pleine possession de la liberté morale, l’élévation des âmes, l’agrandissement des esprits. Dieu l’a marqué si fortement dans la conscience humaine que les sociétés antiques ont péché, peut-être, par un trop grand oubli du réel, en sacrifiant trop à l’idéal, et par un excessif dédain du bien-être commun qu’elles immolaient à l’accroissement des rares vertus et des rares génies.

La raison encore incomplète des temps qui ont précédé le Christ avait pressenti cette loi de toute grande œuvre dans la politique, dans la morale, dans l’art lui-même : cherchez premièrement le royaume de Dieu, c’est-à-dire la justice, c’est-à-dire la vérité, c’est-à-dire la beauté, et le reste vous sera donné par surcroît. Tout ce qui est contraire à la beauté, à la vérité, à la justice, voilà le mal ; voilà l’ennemi que les hommes combattent en se liguant par la société. Celui-là vaincu, tôt ou tard les autres seront terrassés. Si le vrai mal, ici-bas, était la pénurie du corps, la rudesse du travail et la lutte incessante, comment l’humanité tout entière et le monde païen lui-même eussent-ils réservé les noms de héros et de sages, depuis Hercule jusqu’à Épictète, à ceux-là