Page:Lara - Contribution de la Guadeloupe à la pensée française, 1936.djvu/230

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du moins, lassitude d’un passé de malheur national trop lourd à porter ? Serait-ce défaillance anticipée avant l’effort de la lutte devenue plus âpre que jamais ? Je ne le pense pas. Je vois plutôt, dans cet affaissement mélancolique des caractères, la prolongation sous une forme atténuée du pessimisme qui a étendu son voile sombre sur la jeunesse française pendant plusieurs années après nos grands désastres.

Schopenhauer était alors le grand dominateur des âmes. De même, cinquante ans auparavant, au milieu des circonstances analogues, le génie de Goethe, après avoir mis à nu dans une œuvre gigantesque tous les aspects de la désespérance, avait soufflé sur notre pays meurtri par la longue suite de ses luttes héroïques et finalement vaincu, les germes d’un découragement qui semblait sans appel. Ce fut alors que Musset, dans des pages poignantes de la Confession d’un enfant du siècle, exhala son éloquente plainte par la bouche de son héros.

S’il eût pensé et écrit plutôt en philosophe qu’en poète, il eût conclu sans doute que ces maladies de l’âme engendrées par l’action combinée de certaines idées, n’atteignent profondément qu’une faible part de la jeunesse et qu’en réalité elles ne font qu’effleurer le reste. D’ailleurs elles ne sont nullement irrémédiables, ces maladies prétendues mortelles. Je vous assure qu’au temps où ma génération commençait à se former une mentalité, les cris de désespérance s’étaient à peu près complètement éteints autour de nous. Sans doute, nous frémissions encore en lisant la Confession d’un enfant du siècle, mais uniquement à titre rétrospectif, et nous n’étions pas longs à nous laisser reprendre par l’entrain, la belle humeur et la profonde gaieté qui nous rendaient la vie aimable.

La tristesse sévit-elle encore aujourd’hui, l’avantage nous reste, à nous qui étions gais, dans la comparaison avec la génération actuelle. Cet avantage s’accentuerait,