Page:Lara - Contribution de la Guadeloupe à la pensée française, 1936.djvu/83

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
71
A LA PENSÉE FRANÇAISE



retraite. Le chef de la justice avait reçu longtemps ces dames à leur arrivée et délivré à la mère l’autorisation de conserver à l’enfant un masque sur le visage.

De cette bizarre habitude étaient nés les bruits les plus étranges.

Les uns disaient que Séraphina était la fille naturelle de quelque roi d’Europe.

Les autres prétendaient que la pauvre enfant avait une tache de sang sur la figure par suite d’un crime commis devant sa mère quelques mois avant sa naissance.

Les plus nombreux affirmaient qu’elle avait une plaie hideuse à la face.

Séraphina laissait dire, et après la mort de sa mère, elle avait gardé l’impénétrable rempart de velours.

Il ne faut pas oublier une circonstance de la vie de cette jeune fille extraordinaire.

Le 13 janvier de chaque année, elle appelait tous ses domestiques.
— Quittez cet hôtel pendant vingt-quatre heures, disait-elle, le trésorier vous donnera de quoi vous amuser au dehors et qu’aucun de vous n’agite avant demain, le marteau de l’hôtel.
— Mais, disaient les femmes, la senora n’a-t-elle pas peur de rester seule ainsi ?
— Non.
— Si la senora était malade ?
— Je ne le serai pas.

Alors les valets se retiraient, abandonnant leur jeune maîtresse à ses mystérieuses rêveries, et se répandaient en bandes joyeuses, dans les rues de Madrid, et chacun se disait en les voyant passer : "C’est le 13 janvier de la senora Séraphina."

Puis l’imagination prenait le galop et l’on disait que l’élégante jeune fille était quelque fille de Satan, et que ce jour-là, à cheval sur un balai, elle allait dans les montagnes de la Galabre, rejoindre sa mère, épouse du démon...