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Page:Larivière - L'iris bleu, 1923.djvu/21

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L’IRIS BLEU

prenaient le chemin de la ville. En se rendant à la gare ils rencontrèrent de nouveau la jeune fille en noir entrevue aux funérailles du vieil oncle. Yves avait déjà complètement oublié cet incident ; mais en la revoyant, la scène se représenta à sa mémoire. « As-tu remarqué la jeune fille que nous venons de rencontrer ?

— Certes oui !!! Comment une jeune fille aussi jolie et élégante peut-elle être égarée dans ce coin ? La connais-tu ?

— Non du tout, je l’ai simplement entrevue il y a quinze jours, aux funérailles de mon oncle. Je dois une visite au Docteur Durand il a été très bon et très aimable pour moi, veux-tu m’accompagner ? Je tâcherai de savoir de lui le nom de cette jeune fille.

— Le Docteur vient d’être appelé aux malades dans les concessions, et Mademoiselle elle-même est sortie, leur répondit la mère Victoire qui était venue leur répondre. Monsieur le Docteur regrettera beaucoup de ne pas avoir été ici pour vous recevoir, vous pourrez vous reprendre.

— Je regrette, Madame, nous prenons le train pour Montréal ; mais je ne voulais pas laisser le village sans venir le remercier encore une fois de sa bonté et je vous prie de le faire en mon nom. D’ailleurs je reviendrai m’établir définitivement par ici au printemps et j’espère que nous aurons l’occasion de faire plus ample connaissance. Aurevoir Madame.

— De quelle Demoiselle veut-elle parler, dit Yves en sortant de la maison, il me semblait que le Docteur était un vieux garçon ?… Enfin nous verrons plus tard… Sais-tu mon cher Paul que me voici curieux comme un vieux rentier.

Quelques instants plus tard, le train cahoteux les amenait à St-Hyacinthe d’où ils reprirent le convoi pour Montréal.


CHAPITRE VIII


Andrée Deshaies à Laure Couillard.

Bien chère Laure :

Il y a déjà un mois que je suis rendue ici et je ne t’ai pas encore écrit, toi qui fus pourtant si bonne pour moi dans le malheur qui m’a frappée. Ma grande chérie, tu ne sais comme je suis malheureuse depuis que j’ai perdu cette maman adorée, elle était si bonne pour moi, si affectueuse, si caressante… Ce n’était pas seulement une mère, elle s’était faite jeune pour demeurer mon amie, partager mes rêves, mes ambitions, ma vie. J’étais tout pour elle comme elle était tout pour moi, elle m’avait sacrifié son repos, ses plaisirs et même ses chagrins. Lorsque papa mourut, elle se cachait pour pleurer ne voulant pas assombrir ma vie de ses larmes et se contraignait à paraître gaie malgré la douleur qui l’oppressait. Plus tard, elle s’est refusée à un second mariage, jalouse de sa grande affection pour moi et ne voulant pas la partager avec un autre, craignant que cet autre ne m’aimât pas assez… Et je n’ai rien pu faire devant la mort qui me l’enlevait graduellement, lentement, devant mes yeux… j’ai dû rester implacablement impuissante devant cette vie dévouée, devant cette âme de sacrifiée qui s’en allait et maintenant ce cher visage, ces bras caressants, ce cœur dévoué reposent là-bas dans la terre… Ma Laure chérie, que je suis malheureuse, que je suis malheureuse ! Et dire qu’il n’y a plus rien à faire, que je n’ai plus qu’à prier pour cette pauvre maman chérie qui en expirant m’a demandé de faire généreusement comme elle le faisait elle-même le sacrifice suprême et de regarder avec confiance la vie et l’avenir.

Et j’ai peur d’être ingrate envers Dieu et le souvenir béni de ma chère maman car en mourant, elle m’a laissé pour la remplacer un être rempli de bonté et de dévouement.

As-tu vu mon cousin, le Docteur Durand ? À notre première rencontre j’ai senti que je pouvais compter sur ce parent éloigné qui, à l’appel suprême de ma mère, était accouru pour me recevoir de ses mains mourantes et me pressait sur son cœur comme un père aurait fait de sa propre enfant.

Ici, j’ai trouvé dans sa maison, une vieille femme un peu grognon, aux franches manières campagnardes ; mais au cœur large comme son bon sourire et dans ma douleur c’est une grande consolation que de me trouver entourée de l’affection qu’on me prodigue.

Le seul visiteur que nous recevions est M. le Curé Ferrier, un beau grand vieillard un peu débraillé dont les paroles pénètrent comme un baume et qui vient chaque soir faire sa partie d’échecs avec mon cousin.

Ces parties sont quelquefois interrompues par l’arrivée d’un patient ou d’un fermier qui vient chercher le Docteur. Alors le cousin laisse sa partie commencée pour répondre à la voix du devoir et je demeure avec Monsieur le Curé. Oh ! les bonnes paroles réconfortantes qu’il me dit !… Comme il comprend la douleur et sait la consoler.

Hier je suis allée avec la mère Victoire, la ménagère du Docteur, visiter sa collection d’oiseaux empaillés, car tu sais, c’est un savant que notre Curé et si tu voyais ses oiseaux !…

Il y en a de toutes les sortes, de ceux qui viennent l’été égayer nos bosquets jusqu’aux