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Page:Larivière - L'iris bleu, 1923.djvu/48

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L’IRIS BLEU

tains aperçus tellement originaux que, ma foi, je ne puis me défendre d’un intérêt réel.

Bulletin du jour : — Positions pas changées.

17 juin 1920

Ce midi comme je revenais d’une tournée dans mes champs avec Lambert, je trouvai la mère Lambert toute émue qui guettait mon retour avec impatience.

— Vite ! notaire, vous avez des gens qui vous attendent depuis un bon quart d’heure.

— Du monde ? qui ça ?

— Le petit Pierre Francis qui doit épouser la petite Joson Graveline après-demain et qui vous attend pour le contrat.

Je m’empresse d’accourir, pensez donc, ce sont mes premiers clients, il faut être poli, Je trouve installés dans mon bureau, le père et la mère Francis Michaud, le père et la mère Graveline, les deux futurs et quatre ou cinq petits Michaud et Graveline, tellement que Madame Lambert avait été obligée d’apporter les chaises de la salle à dîner pour faire asseoir tout ce monde.

— Notaire, mon garçon veut se marier et nous venons voir comment vous lui chargeriez pour lui faire un contrat de mariage ?

J’ouvre mon tarif et après avoir cherché quelques instants, je trouve ; Contrat de mariage : De cinq à cinquante piastres. J’avoue que je demeure perplexe. À tout hasard, je risque : « Sept piastres avec une copie et sans les frais d’enregistrement. »

— Eh bonguenne ! vous le vendez cher votre papier ! À St-Hyacinthe, on charge bien moins que ça.

— Quand je me suis mariée, j’ai payé seulement une piastre, renchérit Graveline qui oublie d’ajouter que cela s’est passé il y a trente ans.

— Dites donc, Notaire, vous ne pourriez pas nous ôter un petit quelque chose ? implore Michaud.

— C’est le tarif que voulez-vous ? Mais après tout, que m’importent quelques piastres ? Et les deux futurs sont si gentils, la future surtout. Tout ce que je puis faire, c’est de le donner comme cadeau de noces.

— Alors, c’est trop bon marché, reprit Michaud ; nous ne voulons pas vous faire travailler pour rien.

— Bah ! qu’importe ! D’ailleurs, vous ne serez pas les seuls, je veux suivre l’exemple de mon grand’père qui en agissait toujours ainsi, et à l’avenir tous ceux qui se marieront dans la paroisse pourront venir chercher ce petit cadeau. J’entends que ces jeunes gens veulent se marier en séparation ?

— Comment ? En séparation ? intervint le futur qui croyait que l’on voulait toucher déjà à ses prérogatives les plus sacrées.

— Laisse donc parler le notaire ! réprimanda son père.

Je sortis mon code et leur expliquai de mon mieux les divers modes de conventions matrimoniales et leur demandai de me donner leurs dispositions. Alors entre les deux pères s’ensuivit une longue discussion à laquelle les mères vinrent enfin se mêler, de sorte qu’au bout d’un quart d’heure l’on n’était pas plus avancé qu’au commencement.

Bref, on parvint à s’entendre et tant bien que mal, grâce aux bons offices du formulaire Marchand, je pus fabriquer un acte presque convenable que tous les assistants vinrent signer excepté la mère Graveline qui déclara ne pas savoir signer et mit sa croix.

Après quoi, je profitai de ma prérogative de parfait notaire et embrassai la mariée dont les joues s’empourprèrent comme une bonne pomme fameuse bien mûre.

Bulletin du jour : — Aucun développement important. Les adversaires se regardent.

18 juin 1920.

La fabrique de conserves est maintenant en pleine activité et entre temps, nous construisons notre nouvelle annexe. La bâtisse sera prête à recevoir l’outillage vers la fin de l’été. J’irai sous peu à Montréal faire l’achat de la machinerie.

Monsieur le Curé continue ses visites quotidiennes mais ne voilà-t-il pas que ce brave pasteur donne dans la maladie de Paul et me fait chaque jour l’éloge de la petite artiste qui lui a peint ses oiseaux. Je l’aimais bien mieux auparavant, et si je lui reconnais tous pouvoirs pour la célébration du mariage cela n’entraîne pas nécessairement l’obligation de les organiser.

Bulletin du jour : — L’ennemi se dérobe.

19 juin 1920

Lambert aussi s’en mêle. Il paraît que cette petite sorcière a captivé tout le monde ici. Ce bon Jacques et sa femme se sont même enhardis jusqu’à me dire que nous ferions ensemble le couple le mieux assorti de la paroisse.

Bulletin du jour : — Échec sérieux. L’ennemi nous a surpris en flagrant délit d’espionnage.

20 juin 1920

Je viens de recevoir une invitation pour dimanche. Madame Lemay, la marchande, veut absolument que je sois des leurs à une