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Page:Larivière - L'iris bleu, 1923.djvu/63

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L’IRIS BLEU

sayant de se distraire en une soulade d’air pur et frais, de soleil matutinal et de parfums.

La veille, Andrée avait résolu d’aller, ce matin-là, cueillir les jolies fleurs d’iris qu’elle convoitait depuis si longtemps et, endormie avec cette pensée à laquelle se mêlait bien un peu la pauvre figure dépitée du jeune notaire, elle s’était éveillée vers sept heures. Après avoir avalé une tasse de chocolat, elle prit son sac et sa truelle et était sur la route que fraîchissait encore la rosée du matin à peine une demi-heure après le départ du jeune cavalier.

— Toujours matinale, Mlle Andrée, lui dit Lambert, lorsqu’elle passa devant sa porte. Et où allez-vous comme cela, Mademoiselle ?

— Faire une provision de fleurs sauvages.

— Ah ! oui, vous collectionnez les herbages vous aussi, comme ce pauvre défunt Monsieur Marin. Et qu’est-ce que vous voulez découvrir ce matin ?

— Des iris et des nénuphars.

— Nenu… quoi ?

— Nénuphars, Monsieur Lambert, nénuphars. Vous savez bien, cette large feuille verte qui flotte sur l’eau et qu’une longue tige spongieuse retient au fond ? Et ses fleurs, de jolis boutons jaune-doré…

— Oui ! oui ! ce que nous appelons, nous, de l’herbe à grenouilles… Il y en avait beaucoup dans les environs autrefois, mais depuis quelques années ça commence à se faire plus rare. Et l’autre comment l’appelez-vous ?

— Des iris versicolores ou iris bleus…

— Iris bleus, mais c’était le nom que portait la ferme autrefois, ce doit être à cause de cette fleur. Qu’est-ce que c’est que des iris bleus ?

— C’est encore une fleur des marais et des rivières. Sa feuille ressemble à celle de la quenouille quoique beaucoup plus courte. Sa fleur est d’un bleu sombre avec nuances jaunes, blanches et vertes. Je la cherchais depuis longtemps, j’en ai trouvé une touffe près du petit pont de terre du bas de Salvail…

— Mais je sais ce que vous voulez dire, Mademoiselle, c’est des clajeux que vous voulez parler. Mais oui, c’est bien cela, quand j’étais tout petit, il y en avait partout sur le bord de la coulée et de la rivière. Je ne sais pourquoi, défunt Monsieur Marin ne voulait pas qu’on les fauche… Ça commence à se faire seul endroit où vous en puissiez trouver. Bonne chance, Mademoiselle, et si je découvre des fleurs ou des herbes rares, je vous les enverrai. Je me rappelle que ce bon Monsieur Marin, qui était un savant comme vous, n’était jamais si heureux que lorsqu’on lui apportait une fleur ou une plante qu’il ne connaissait pas.

— Oh ! Monsieur Lambert, je ne suis pas une savante, moi, ce que j’en fais, c’est uniquement pour m’amuser…

— Ta ! ta ! ta ! ne cherchez pas à faire la modeste Mademoiselle Andrée, tout le monde sait dans la paroisse que vous en savez presque autant que Monsieur le Curé sur bien des sujets… Et avec cela, vous n’êtes pas plus fière, vous ne vous faites pas faute de jaser avec tout le monde… Ah ! si ce pauvre défunt homme vous avait connue, comme il aurait été heureux de causer avec vous. C’était si beau de l’entendre parler ; il avait, comme vous, un grand nom à donner à chaque fleur, à chaque plante, des noms si difficiles à prononcer qu’il fallait être un savant comme lui pour se les rappeler.

— Au revoir, Monsieur Lambert, et n’oubliez pas votre promesse. J’attendrai vos fleurs.

— N’ayez pas crainte, Mademoiselle , répondit le vieillard cependant qu’il se disait intérieurement en voyant s’éloigner la jeune fille : « Si jolie, si bonne, si savante ! Monsieur Yves est donc aveugle des deux yeux pour ne pas vouloir la remarquer ! »

Au tournant de la route, la rivière dont le niveau baissait considérablement durant les jours de chaleur, présentait son mince ruban de mercure enserré entre les côtes de verdure claire que par endroits tachaient d’ombre des touffes d’arbustes. La rivière coulait au fond d’un ravin à une profondeur de deux cents pieds environ du niveau du chemin dont elle était distante d’un arpent au plus.

La jeune herboriste longea quelques moments encore le chemin du roi et, près du petit pont de terre, elle descendait la côte. C’est là que se trouvaient les nénuphars et les iris. Les nénuphars ouvraient leur calice doré en plein milieu de la rivière, à une quinzaine de pieds de la rive. La jeune fille contempla pour la dixième fois les belles fleurs tant convoitées et constatant une fois de plus son impuissance à les cueillir, elle tourna son attention vers les iris, d’accès plus facile. Ceux-ci se baladaient dans une grenouillère d’un arpent carré environ, en nombreuse compagnie de sagittaires, de plantains d’eau, de gaillets, de galanes, etc.

Andrée fit à plusieurs reprises le tour du marais cherchant l’endroit le plus accessible et lorsque son choix fut enfin déterminé, avec d’infinies précautions, avançant avec len-