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Page:Larivière - L'iris bleu, 1923.djvu/65

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L’IRIS BLEU

combien elle le trouvait différent de ce qu’elle se l’était tout d’abord représenté. Il n’était pas fat du tout, son ironie n’avait rien de choquant et, comme il semblait ému en sa présence, presque aussi ému qu’elle-même.

Hier, elle avait été méchante, elle avait ri bêtement de sa figure dépitée, et pourtant, il n’y avait rien de si comique dans cet accident qui aurait pu avoir des suites fatales. Aujourd’hui, il venait à son aide avec bonté et respect. Dieu sait cependant que sa position d’aujourd’hui égalait bien en ridicule celle dont elle avait ri hier ! Elle n’eut d’ailleurs pas le temps de continuer bien longtemps ses méditations, Yves revenait avec le soulier encore ruisselant d’eau, mais complètement nettoyé de sa boue. « Dans un quart d’heure, Mademoiselle, le soleil aura tout réparé. »

— Que je vous dois de remerciements, Monsieur !

— C’est si peu de chose, Mademoiselle, et le plaisir de vous obliger me récompense amplement. Excusez-moi, mon cheval serait capable de me jouer aujourd’hui le même tour qu’hier… me fausser compagnie… ajouta-t-il narquois, en prenant congé.

Andrée le vit disparaître presque à regret. Demeurée seule, elle reprit sa méditation admirative sur ce jeune homme qui lui était jadis tombé sur les nerfs.

Cinq minutes s’étaient à peine écoulées qu’elle entendit un bruit de pas s’approchant de sa cachette et, toute saisie de crainte, elle se leva ; mais le jeune notaire était devant elle apportant une grosse gerbe d’iris versicolores, toutes les belles fleurs bleues qu’elle avait tantôt vainement essayé de cueillir. « Si j’ai bien compris Mademoiselle, ce sont ces fleurs qui ont été la cause initiale de votre terreur d’il y a un instant et comme je n’aurais pas voulu que vous leur en gardiez rancune, je suis allé les cueillir et vous prie de les recevoir de ma main. Ce sont là de belles et nobles fleurs, les rois de France en avaient orné leur blason, il ne serait pas galant à nous d’en priver la petite reine que vous êtes.

— Que c’est aimable à vous, Monsieur, dit la jeune fille en rougissant faiblement du compliment qu’on lui bombardait, depuis une longue semaine que je les convoitais ces beaux iris ! Sans savoir toutefois leur royale prérogative… simplement pour elles, pour le velouté de leurs pétales, la richesse de leur coloris.

— Mais il y a mieux encore Mademoiselle, l’iris, c’est une partie essentielle du vieux drapeau de France pour lequel nos pères sont morts jadis. Tant qu’il poussera dans nos champs, nous pourrons, d’un lambeau de ciel bleu, d’une croix de neige blanche et de quatre fleurs d’iris nous faire un drapeau français bien à nous, bien canadien aussi puisque complètement composé de choses de chez nous et qui symbolisera mieux que tout autre le fier étendard sous lequel les nôtres ont versé leur sang à côté de Montcalm et de Lévis.

— Mais elles sont admirables ces fleurs !

— Elles sont bleues comme le ciel et l’espérance, elles sont vertes comme le printemps, elles sont blanches comme l’innocence. De plus, elles ont cette merveilleuse prérogative de croître au milieu des terres incultes en compagnie de plantes rudes, sauvages et vulgaires, et cependant leur grâce et leur beauté savent s’accommoder de ce voisinage, leurs charmes n’en sont que plus éclatants et plus gracieux ! À ce titre l’iris bleu est bien votre fleur à vous, Mademoiselle…

— Mais c’est un madrigal ! Moi qui croyais au contraire que l’iris était de par une vieille tradition, la fleur de votre famille…

— Comment avez-vous pu deviner ?

— Bien simplement, c’est Lambert qui m’en a informée…

— Pauvre iris, vous n’allez pas lui retirer vos bonnes grâces maintenant ?

— Et pourquoi les lui retirerais-je ?

— Vous semblez avoir une répulsion instinctive pour moi et tout ce qui me touche.

— Moi ? Moi ! Mais où allez-vous chercher de pareilles pensées ?

— Comment ? Vous ne vous sentez pas d’aversion pour moi ?

— C’est la première fois que je vous parle.

— Je sais, depuis mon retour, vous avez mis une telle habileté à m’éviter ! Et aujourd’hui c’est grâce à un hasard tout providentiel que je dois la faveur insigne de pouvoir enfin entendre le son de votre voix…

— C’est faire beaucoup d’honneur à ces immondes grenouilles que de taxer leur intervention de providentielle !

— Je rends grâce aux grenouilles, aux fleurs d’iris, à l’eau de la rivière ! Même à ces nuages qui cachent par intervalles le soleil, retardent le séchage de votre chaussure et vous retiennent plus longtemps ma prisonnière. Et de nouveau je vous demande : « Pourquoi ce parti pris à ne pas vouloir m’être présentée ? »

— Pourquoi ? Y teniez-vous tant que cela ?

— Mais c’était depuis longtemps le plus grand désir de ma vie. Je ne vous connaissais pas, nous ne nous étions jamais adressé la parole, et cependant votre vie, la moindre