Page:Larivière - La Villa des ancolies, 1923.djvu/28

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Lorsqu’il rencontrait ses anciens condisciples : heureux époux, pères orgueilleux de leur progéniture, il se sentait pris de doute. Ceux qu’il avait jadis nargués dans sa quiétude, n’avaient-ils pas mieux que lui trouvé la vérité et le bonheur ? Lorsqu’il rentrait chez lui, après une de ces rencontres, sa vieille maison lui semblait abandonnée, vide, sans vie… Il se sentait soudain pris d’une cruelle nostalgie d’affection féminine et de caresses d’enfants. Que n’aurait-il pas donné alors pour voir saluer son retour de baisers d’une épouse et de joyeux gazouillis de marmots.

Et pourquoi, me demanderez-vous, ne se mariait-il pas ? Pourquoi ? Encore une fois, parce qu’il était un vieux garçon, un vieux garçon égoïste sans le réaliser, un enfant gâté de la vie, un timoré qui, par fausse sagesse, craignait d’affronter la vraie vie, la vie de lutte et d’action, d’abnégation et de sacrifices, bien souvent même de douleurs.

M. Hainault était donc demeuré célibataire et, a moins d’un miracle, il devait continuer bien longtemps à présider l’office de la Congrégation des Jeunes et à cultiver ses fleurs.

Après déjeuner, le matin qui suivit l’agression dont nous avons été témoins, il se dirigea comme d’habitude vers son jardin, pour voir le progrès de ses fleurs, car il avait ceci de commun avec Mlle Perrin : il était grand amateur de fleurs. Toutefois, comme chez un vieux garçon tout sentiment donne rapidement vers la manie, Paul, dans son affection pour les fleurs, n’avait pu se défendre d’une toquade : celle des tulipes. Il aimait toutes les fleurs, mais il perdait la boule dès qu’on lui parlait de tulipes. Il en avait déjà réuni deux cent dix variétés et si son ambition ne tendait pas comme celle du héros d’Alexandre Dumas, à trouver la tulipe noire, il ne rêvait rien moins que de découvrir une nouvelle variété qui serait bien à lui seul, une variété inédite qu’il aurait appelée de son nom