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XLIX
PRÉFACE.

Cette vaste publication, il est presque superflu de le rappeler, est une des plus importantes de la première moitié de ce siècle. C’est un monument auquel ont coopéré la plupart dés illustrations scientifiques et littéraires de cette période. On y remarque principalement les travaux de géographie, de découvertes et de voyages, par Walckenaër, Malte-Brun et Eyriès ; — d’histoire et de langues anciennes, par Clavier, Daunou, Boissonade, Amar, Noël ; — d’histoire, de littérature et de langues orientales, par Silvestre de Sacy, Abel Rémusat, Klaproth ; — de littérature et d’histoire d’Italie, par Ginguené et Sismondi ; — de littérature et d’histoire de la France, par Fiévée, Villemain, de Barante, Du Rozoir, Monmerqué ; — d’histoire, de littérature d’Allemagne et du nord de l’Europe, par Stapfer, Guizot, Depping et Schoell ; — d’histoire et de littérature anglaises, par Suard, Lally-Tollendal et de Sevelinges. Ajoutons, pour les sciences, la philosophie, les arts, etc., les noms de Émeric David, Quatremère de Quincy, Cuvier, Du Petit-Thouars, Visconti, Millin, Sicard, Chaumeton, Chaussier, Desgenettes, Percy, Richerand, Gence, Beuchot, Pillet, Weiss, Michelet, Cousin, Fourier, de Bonald, Chateaubriand, Humboldt, Biot, de Gérando, Raoul-Rochette, et bien d’autres noms éclatants, dont presque tous faisaient l’orgueil de l’Institut et des premiers corps savants de l’Europe. On reconnaîtra qu’il est difficile, et surtout dans la préface d’un travail comme celui-ci, de parler, avec indépendance d’une œuvre qui s’abrite sous l’autorité de si hautes renommées. Dans la crainte d’être taxé de présomption, on serait tenté de passer silencieusement, et en s’inclinant, devant cette armée de princes de l’intelligence et du savoir. Et cependant, pourquoi renoncerait-on ici à la pratique du libre examen, qui est la vie de la science et l’auxiliaire de tout progrès ? Ne peut-on, sans manquer de respect aux maîtres, exprimer une opinion sincère sur l’œuvre qu’ils nous ont laissée ? Et si tout ne nous semble pas admirable, n’aurions-nous pas le droit de le dire ? Nous pensons, au contraire, que nous avons ce droit et que, dans notre situation, c’est pour nous un devoir de l’exercer. Quand on prend la plume, moins pour rechercher des succès littéraires que pour propager des connaissances, en même temps que des principes et des idées, il n’est pas permis de se dérober à l’obligation de défendre ce qu’on croit être la vérité. Nous émettrons donc quelques critiques sur la Biographie universelle, avec l’espoir que notre bonne foi nous préservera de toute accusation de dénigrement.

L’homme éminent qui fut la cheville ouvrière de ce grand ouvrage, M. Michaud jeune, y a consacré, pour ainsi dire, sa vie entière ; il s’y est absorbé pendant plus de trente années, à la fois comme éditeur et comme auteur d’articles nombreux. Cette persévérance énergique suffirait déjà seule à faire vivre son nom, indépendamment du mérite intrinsèque de l’œuvre. On sait qu’il a posé les premières assises de son édifice en 1810 : or, si l’on réfléchit un instant à cette date, on ne pourra non plus refuser son admiration à une initiative aussi hardie, qui, à tous les points de vue, était une vraie témérité ; car, il faut bien le reconnaître, ce temps n’était rien moins que favorable, non-seulement à l’indépendance de la pensée, mais encore à l’exécution d’une entreprise littéraire de cette importance. Un succès aussi légitime qu’éclatant a récompensé la constance de ce mâle ouvrier, qui a su mener son labeur à bonne fin, et même tracer le plan de la seconde édition, lui donner l’impulsion et en diriger les parties principales.

Envisagée au point de vue purement littéraire, la Biographie universelle nous apparaît avec les qualités et les défauts de l’école académique et universitaire de l’Empire, qui a prolongé son existence jusque sous la Restauration. Les articles sont généralement rédigés avec sobriété et correction, mais sans grand éclat, nous dirons même sans originalité. En un mot, la lecture en est plus instructive qu’elle n’est attachante, et on les parcourt moins pour y trouver du charme que pour y chercher des renseignements. Sans doute, le genre de la biographie ne comporte pas toujours les grands effets de style, qui même seraient déplacés dans une multitude d’articles courts et purement spéciaux ou techniques ; mais, après tout, la banalité n’est pas moins à craindre que l’affectation, et la sobriété n’est une qualité réelle qu’à la condition de ne pas dégénérer en sécheresse. C’est ce qui arrive parfois à quelques-uns des collaborateurs de la Biographie universelle. Les plus renommés mêmes s’élèvent rarement ; ils semblent subir l’influence du milieu et s’attacher à ne pas dépasser un certain niveau moyen, qui est la limite commune. On dirait qu’ils se refusent à employer toutes leurs forces, pour ne pas nuire à l’ensemble, et qu’ils trouvent suffisant pour leur réputation de ne pas tomber dans le médiocre pur. On trouverait difficilement, parmi ces milliers d’articles, quelques-uns de ces morceaux d’éclat tels qu’on serait en droit d’en attendre des écrivains qui les ont signés.

La partie bibliographique est généralement traitée avec soin. Les recherches, quelquefois insuffisantes, sont le plus souvent exactes. Néanmoins, malgré les remaniements, les rajeunissements et les retouches, cet ouvrage, si remarquable à tant d’égards, a conservé une physionomie un peu surannée. Un grand nombre de progrès ont été accomplis dans les sciences historiques, dans la critique religieuse, dans la littérature, la philosophie, etc., dont les rédacteurs et les reviseurs n’ont pas suffisamment tenu compte. Bien des points de l’histoire ancienne et de notre histoire nationale ont été traités à peu près exclusivement dans la manière de l’ancienne école historique, et sont demeurés ainsi même dans la nouvelle édition.

Sous le rapport philosophique et politique, la Biographie universelle porte l’empreinte d’un esprit de parti dont l’aigreur a été un peu adoucie dans la réimpression, mais non pas d’une manière très-sensible. Il y a même eu aggravation en certaines parties. Ainsi Villenave a ajouté des notes à beaucoup d’articles consacrés à des hommes de la Révolution,