Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 10, part. 1, L-Leo.djvu/267

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

LAVA

six lieues le séparaient encore. Il arriva devant cette ville au milieu de la nuit et commença l’attaque sur-le-ch ; imp. Le combat fut des plus opiniâtres, et l’obscurité de la nuit le rendit encore plus sanglant. Les troupes républicaines le soutenaient néanmoins avec bravoure, lorsque la cavalerie de Westerraann, moins intrépide que son général, se débanda tout à coup et le força à donner le signal de la retraite. Il rétrograda jusqu’à Château — Gontier, où le corps de bataille arriva dans la journée du 20. Westermann voulait, avec sa bouillante valeur ordinaire, se reporter immédiatement en avant, mais Kléber s’opposa à cette détermination, et l’on résolut de ne s’avancer qu’à moitié chemin de Laval.

Le conseil de guerre s’assembla alors pour discuter la marche à.suivre en cette circonstance : s’avancerait-on par la rive gauche ou parla rive droite déla Mayenne ? Un officier très-distingué, Savary, qui possédait une connaissance parfaite des lieux, démontra les inconvénients qu’on éprouverait à suivre la rive gauche. En effet, les Vendéens pouvaient occuper facilement le pont de Laval, filer le long de la rive droite, traverser la Mayenne sur les derrières de l’armée républicaine et l’accabler à l’improviste. En conséquence, Savary proposa de diviser l’attaque et de porter une partie de nos forces Sur la rive droite, plan qui fut approuvé par tous les généraux. Léchelle, qui venait d’arriver au camp, n’en envoya pas moins à tous les corps l’ordre de s’avancer par la rive gauche, ordre qu’il accompagna de sa phrase sacramentelle : « 11 faut marcher majestueusement et en masse. » Les généraux, indignés, obéirent cependant, et Beaupuy s’avança le premier, suivi immédiatement par Kléber. Beaupuy engagea aussitôt l’action avec l’armée vendéenne, déployée sur les hauteurs d’Entrames. La Rochejaquelein, qui la commandait, prévenu de l’approche des troupes républicaines, parcourait les rangs de ses soldats, les excitant, les encourageant à effacer la honte des combats précédents, leur rappelant qu’ils soutenaient la cause de Dieu et celle de la foi de leurs pères. Lescure, mourant, se faisait porter devant chaque file de Vendéens et enflammait de son côté les courages. Aussi les royalistes se défendirent-ils avec l’opiniâtreté du désespoir. Kléber, déployé à droite et à gauche de la route, lutta avec son héroïsme ordinaire. Sur le point de se voir forcé, il fit dire à Léchelle de porter la division Chalbos sur le flanc de l’ennemi, mouvement qui devait l’ébranler ; mais cette colonne se débanda aussitôt, au bruit de la fusillade. Le jour touchait à sa fin ; Stofflet, prenant avec lui l’élite des tirailleurs vendéens, se glisse alors derrière les colonnes républicaines, les assaille brusquement, ne faisant feu qu’à une distance de quarante pas, et les culbute à la baïonnette. Cotte impétueuse attaque est décisive : les combattants des deux partis se heurtent, s’entremêlent, se confundent, puisent des cartouches aux mêmes caissons. Bientôt les fusils deviennent inutiles : on ne se bat plus qu’à l’arme blanche, on se poignarde sans se distinguer ; tous se saisissent, se renversent pêle-mêle ; en quelques instants, le champ de bataille, dont les ondulations ressemblent à celles d’une mer irritée, est jonché de cadavres. Des corps entiers, après des prodiges de valeur, sont coupés et faits prisonniers par l’armée catholique. Les intrépides Mayençais, qui faisaient la principale force de l’armée républicaine et qui n’avaient jamais pris la fuite, se débandent pour la première fois. Au reste, l’inepte Léchelle lui-même avait donné aux troupes cet indigne exemple, en abandonnant des premiers le champ de bataille. Les généraux Beaupuy, Kléber et Marceau, les représentants Merlin etî’urreau font d’incroyables mais inutiles efforts pour arrêter les fuyards. Beaupuy, ralliant quelques Mayençais, soutint pendant longtemps, sur les ponts de Château-Gontier, les attaques de 1 armée catholique tout entière. C’est alors qu’il reçut une balle au milieu de la poitrine. Renversé tout sanglant, il se fit porter dans une cabane en disant : « Je n’ai pu vaincre pour la République, mais je meurs pour elle. Qu’on me laisse ici, et qu’on montre ma chemise sanglante à mes soldats. » À la vue de ce triste étendard, les Mayençais sentent ranimer leur fureur ; mais, ne sa voyant pas soutenus, ils abandonnent enfin ce dernier champ de bataille. 15, 000 fuyards, couvrant tous les chemins, ne se crurent en sûreté qu’à Angers ; la perte des républicains en hommes, en bagages, en artillerie fut immense ; mais Kléber réorganisa promptement l’armée. Quant à Léchelle, il se vit insulté par ses propres soldats, les représentants se décidèrent à le suspendre, et il mourut peu de temps après, à Nantes, de honte et de douleur.

Cette journée fut signalée par un trait qui. honore à lu, fois les deux partis. Un-artilleur dont l’histoire a conservé le nom, Guibon, tomba au pouvoir des Vendéens après des prodiges de valeur. Amené devant le prince de ïalmont, il est condamné à être fusillé avec quarante soldats républicains. Pendant qu’on les traîne au supplice, les "Vendéens poussent d’effroyables clameurs, comme des sauvages qui s’apprêtent à dévorer leurs ennemis vaincus. Tout à coup, un officier de l’armée royaliste, dont les regards s’étaient arrê LAVA

tés sur Guibon, fait entendre une exclamation, se précipite vers lui et l’arrache des mains des soldats en s’écriant : • C’est lui [ c’est cet homme généreux qui a sauvé mes jours ! » On suspend l’exécution. Le prince de Talmont, auquel on vient rendre compte de ce retard, apprend alors que Guibon, maître, dans un combat, de la vie de cet officier, qu’une loi impitoyable lui ordonnait de mettre à mort, l’avait non-seulement dérobé à toutes les recherches, mais encore avait refusé cent louis pour prix de ce bienfait en disant : « Fuyez avec votre or ; je n’ai pas besoin des dons d’un ennemi vaincu pour sauver un malheureux. » Le prince fut tellement touché de ce trait magnanime, qu’il fit aussitôt grâce de la vie aux quarante prisonniers ; mais il retint le brave et généreux Guibon dans son château, sous prétexte de captivité.

LAVAL, famille noble de France, qui fait remonter son origine au ixe siècle, et qui tire son nom de la ville de Laval. À partir du Xiue siècle, le titre de seigneur de Laval resta définitivement à la maison de Montmorency, d’où sortirent un grand nombre de branches, celles de Chateaubriand, de Retz, de Châtillon, de Bois-Dauphin. d’Attichy. Parmi les membres de cette famille qui se sont distingués, nous citerons les suivants : Gui VIII de Laval, mort en 1295, suivit saint Louis en Afrique, devint par sa femme, en 1275, comte de Caserte, accompagna le comte de Valois dans la guerre qu’il titen Auvergne et assista au siège de Saint-Sever. — Son fils, Gui IX, mort en 1323, se conduisit brillamment à la bataille de Mons-en-Puelle. — Le fils de ce dernier, Gui X de Laval, mort en 1347, fit la guerre dans les Flandres, puis combattit pour Charles de Blois contre Jean de Montfort, en 1341, et périt au combat de Laroehe-ûerrien.

— Un de ses fils, Gui XII du Laval, mort en 1412, se distingua contre les AnglaisavecDu Guesclin et Olivier de Clisson, contribua à la victoire de Rqsebecque et gouverna la Bretagne, comme" lieutenant général, de 1382 à à 1404. Sa fille unique épousa Jean de Montfort.

— À la branche des Loué appartient Gui de Laval, seigneur de Lezay, qui tut fait ■ prisonnier à la bataille de Pavie. — Son petit-fils, Pierre II, combattit à la bataille de Coutras, en 1587, suivit le parti de Henri IV jusqu’à la paix de Vervins, et mourut en 1023.

— Un de ses descendants, Gui-André-Pierre de Laval, maréchal de France, qui reprit le nom de Montmorency, fut créé duc héréditaire de Laval, en 175S, et mourut en 17D8.

— Son petit-fils, Mathiuu-Jean-Félicité, pair de France et ministre des atl’aires étrangères sous la Restauration, fut fait duc héréditaire de MonBmorency, mais mourut sans postérité mâle. — Le frère de ce dernier, Anne-Alexandre-Marie-Sulpice-Joseph de Montmorency-Laval, lieutenant général et pair de France, fut créé duc de Laval en 1783, et mourut en 1827. — Un de ses fils, Anne-Adrien-Pierre, dernier duc du Laval, pair de France, maréchal de camp, ambassadeur de France en Espagne et à Rome, n’a eu qu’un fils, mort à vingt-trois ans. V. Montmorency et Retz.

LAVAL {Antoine de), sieur de Belaib, littérateur français, né en 1550, mort en 1631. D’abord maître des eaux et forêts du Bourbonnais, il devint, en 1583, premier géographe du roi et prit part à plusieurs conférences publiques dans lesquelles il soutint avec chaleur le catholicisme contre la Réforme. Nous citerons de lui:Paraphrase des CL psaumes de David (Paris, 1612) ; le Grand chemin de la vraie EgLise (Paris, 1615, in-8u); Desseins de professions nobles et pratiques (Paris, 1605, in-4o), son meilleur livre. Il y fait une étude, au point de vue moral, de ce que doivent être le clergé, l’armée, la magistrature, l’administration et les gens de finances.

LAVAL (Étienne-Abel), historien français, né dans la seconde moitié du xviie siècle. II se rendit en Angleterre pour fuir la persécution religieuse, et devint pasteur protestant à Londres. Son principal ouvrage est une histoire abrégée de la lié formation et des Églises réformées en France, qui a été traduite en anglais (Londres, 1737, 3 vol. in-S°).

LAVAL (Antoine-Jean de), jésuite et savant français, né à Lyon, mort à Toulon en 172S. Il professa les mathématiques et l’hydrographie à Toulon. On lui doit:Voyage de la Louisiane, fait par ordre du roi en 1720 (Paris, 1728, in-4o).

LAVAL (Gilles de), maréchal de France. V. Retz.

LA VALETTE (Jean Parisot de), quarantehuitième grand maître de l’ordre de Malte, né en 1494, mort en 156S. Il fit la guerre contre les Turcs, reçut le gouvernement de Tripoli, se signala par sa grande intrépidité, devint grand prieur de Saint-Gilles, de la langue de Provence, et lieutenant général du grand maître Claude de La Sangle. À la mort de ce dernier (1557), La Valette, qui s’était montré général habile, politique sage et ferme, fut appelé à lui succéder. Le nouveau grand maître s’attacha à affermir son autorité, exigea des prieurs et commandeurs d’Allemagne et de Venise le payement des taxes dont ils étaient redevables, rétablit la discipline ébranlée et accrut considérablement la flotte de l’ordre. Désireux de reprendre Tripoli, que Gaspard de Vallier avait dû

LAVA

abandonner aux Turcs, il s’unit dans ce but au vice-roi de Sicile, Jean de La Cerda; mais, par la faute de ce dernier, l’expédition éprouva un échec complet. La Valette s’en dédommagea en donnant la chasse à la marine musulmane, à laquelle, en moins de cinq ans, il prit une cinquantaine de navires. Soliman II, profondément irrité de ces attaques continuelles, résolut de s’emparer de Malte et fit, dans ce but, des préparatifs formidables. En 15fl5, assiégé dans Malte par 40, 000 Turcs et 200 vaisseaux, La Valette résista héroïquement pendant quatre mois, jusqu’à ce qu’il lui vint des renforts. Non content d’avoir sauvé Malte, il voulut encore la rendre imprenable pour l’avenir, et il fit construire, en 1568, une nouvelle ville, qu’on nomma de son nom Cité— Valette.

LA VALETTE (Bernard DE), amiral de France, frère du duc d’Epernon, né en 1553, tué au siège de Roquebrune, près de Fréjus, en 1592. Il se distingua dans les guerres du Piémont, et fut gouverneur du Dauphiné (15S3) et de la Provence (1387), avant d’être nommé amiral. >

LA VALETTE (Louis de Nogaret d’Epernon, cardinal de), général, surnommé le Cmdiual Valei, né k Angoulême en 1593, mort en 1639. Ii fut d’abord archevêque de Toulouse, obtint, en 1S21, le chapeau de cardinal, bien qu’il n’eût point encore reçu les ordres, suivit le parti de Marie de Médicis, mais se fit ensuite, par ambition, l’adulateur le plus servile de Richelieu, même du père Joseph. On prétend que c’est lui qui releva le courage de sou maître dans la fameuse Journée des dupes. N’ayant qu’un goût fort médiocre pour l’état ecclésiastique, il se démit de son archevêché en 1628, et, à l’exemple de Richelieu, il n’hésita pas à passer le harnais de guerre par — dessus sa robe de pourpre de cardinal. Il servit sous Richelieu en Italie (1629-1030), devint gouverneur d’Anjou (1631), puis fut lieutenant général du roi au pays messin (1634). Envoyé en Allemagne, cette même année, avec une armée de 18, 000 hommes, à fit lever le siège de Mayence à Mansfeld, conjointement avec le duc de Sase-Vv’eimar, qui lui laissa tous les honneurs du ce succès (1635). Il remporta encore des avantages en Allemagne en 1637. L’année suivante, ayant remplacé le maréchal de Créquy dans le commandement de l’armée d’Italie, il s’empara de Verceil, sauva Turin que menaçait 1 ennemi, prit Chivas après un siège de dix-huit jours, et mourut de la fièvre pendant le cours de cette campagne. Comme il avait combattu conjointement avec des hérétiques contre des catholiques, le pape défendit qu’on lui rendît les honneurs funèbres auxquels ont ordinairement droit les cardinaux.


LA VALETTE (Antoine de)", jésuite français, né près de Saint-Affrique (Provence) en 1707, mort après 1762. Il partit pour les missions de la Martinique en 1741, en devint supérieur général (1747), acheta d’immenses terrains, qu’il fit défricher par des esclaves, se fit planteur, monopolisa le commerce de la colonie, mais fut rappelé par ses supérieurs en 1754, sur la plainte des habitants, que son avidité menaçait d’une ruine certaine. Envoyé de nouveau aux Antilles, il y recommença ses spéculations, , et sur une échelle plus vaste. Plusieurs de ses vaisseaux furent saisis par les Anglais, alors eu guerre avec la France ; il se vit dans l’impossibilité de couvrir des emprunts considérables qu’il avait contractés à Lyon et à Marseille, et déposa sou bilan, qu’il déclarait de 2, 500, 000 francs, somme énorme, mais qui n’était que la moitié de celle que ses créanciers lui réclamaient. Le Père La Valette fut condamné par le parlement de Pai’is pour banqueroute frauduleuse (17G2). L’immense scandale de cette alfaire précipita la dissolution de l’ordre des Jésuites, qui, déclaré solidaire par le tribunal, avait refusé de payer.



LA VALETTE (Antoine-Marie ChAmans, Comte de), homme politique, né à Paris en 1769, mort dans la même ville en 1830. Clerc de procureur au début de la Révolution, il fut chargé peu après par d’Ormesson de dresser le catalogue des livres provenant des monastères. Lors de la journée du 10 août 1792, il prit part, comme garde national, à la défense des Tuileries, et fit preuve d’attachement à la royauté. Peu après, il s’engagea en qualité de volontaire dans l’armée des Alpes, fut promu capitaine à Arcole et devint alors aide de camp de Bonaparte, dont il gagna la confiance, qui le chargea de diverses missions politiques et lui fit épouser la nièce de sa femme, la jeune Louise de Beauharnais. La Valette prit part ensuite aux campagnes d’Égypte, d’Allemagne, de Prusse, fut chargé de réorganiser l’administration des postes, dont il devint directeur général, et reçut, avec le titre de comte (1808), une place au conseil d’État. Destitué par les Bourbons, en 1814, il contribua de tout son pouvoir au retour de Napoléon, s’empara de l’hôtel des postes à la nouvelle de l’arrivée de ce dernier, refusa le ministère de l’intérieur pour conserver son ancien poste, et fut nommé pair de France. Après la bataille de Waterloo et la rentrée de Louis XVIII à Paris, La Valette fut arrêté, traduit devant le jury de la Seine sous l’inculpation de haute trahison, et condamné à la peine capitale (21 novembre 1815) ; mais, la veille du jour où il allait être exécuté, sa femme pénétra dans sa prison, changea avec lui de vêtements, et parvint ainsi à le faire échapper (20 décembre). Cette évasion et l’acte de dévouement de Mme de La Valette, dont nous allons parler plus loin, eurent un énorme retentissement. Après être resté caché à Paris jusqu’au 10 janvier 1816, M. de La Valette gagna la Bavière, obtint, en 1822, des lettres de grâce et put alors revenir en France, où il retrouva sa femme, qui avait perdu la raison. Napoléon lui légua 300, 000 francs par son testament. On a de lui : Mémoires et souvenirs du comte de La Valette (Paris, 1831, 2 vol. in-8o), publiés par sa famille.



LA VALETTE (Émilie-Louise de Beauharnais, comtesse de), femme du précédent, célèbre par l’énergie et le dévouement dont elle fit preuve pour sauver son mari, morte en 1855. Fille du marquis de Beauharnais, frère aîné du premier mari de Joséphine, nièce par alliance de Napoléon Ier, elle devint l’épouse d’Antoine-Marie Chamans, comte de La Valette. Après la seconde Restauration, le comte de La Valette, qui était resté à Paris, fut arrêté (18 juillet 1815) et traduit, le 19 novembre suivant, devant la cour d’assises de la Seine, pour s’être emparé de l’administration des postes au retour de Napoléon de l’île d’Elbe ; il fut condamné à mort le 21 novembre. Le pourvoi en cassation ayant été rejeté, Mme de La Valette résolut de mettre tout en œuvre pour sauver son mari. Elle tenta d’abord d’obtenir sa grâce et demanda une audience au roi. Le duc de Richelieu se chargea d’intéresser la duchesse d’Angoulême au sort de La Valette et de l’amener à parler en sa faveur à Louis XVIII. De son côté, Marmont, ami du condamné, s’engagea à conduire la jeune femme aux Tuileries. Mais, le jour fixé pour l’audience, une consigne sévère défendit de laisser entrer toute femme qui se présenterait à la porte du château. Cet ordre inattendu venait de ce que la duchesse d’Angoulême avait résolu, sur le conseil de ses amis, de rester impitoyable et d’empêcher le roi de faire grâce. Mais Marmont prit sur lui de forcer la consigne et introduisit Mme de La Valette dans un salon par lequel passaient Louis XVIII et la duchesse d’Angoulême pour se rendre à la messe. À la vue de la suppliante qui s’agenouilla, la duchesse détourna la vue, le roi reçut le placet, prononça quelques paroles évasives et passa (20 décembre). C’en était fait de toute espérance de grâce, et le lendemain devait avoir lieu l’exécution du condamné.

En prévision de ce qui venait d’arriver, Mme de La Valette avait formé le projet d’essayer de faire évader son mari, et, dans ce but, elle s’était entendue avec un ancien ami de ce dernier, nommé Baudus, qui lui-même, en cas de réussite, avait trouvé un asile sûr pour le comte chez un ancien conventionnel, Bresson, alors chef de division au ministère des affaires étrangères. Le soir même du jour où elle était allée aux Tuileries, « Mme de La Valette, dit M. Louvet, se fit transporter à la Conciergerie dans une chaise à porteurs, accompagnée de sa fille, âgée de quatorze ans, et d’une vieille gouvernante. Les deux époux dînèrent ensemble dans un appartement séparé. La comtesse prit les vêtements de son mari et lui donna les siens. Pendant ce temps, un domestique inintelligent eut l’imprudence de dire aux porteurs qu’ils seraient plus chargés en revenant, mais qu’il n’y aurait pas loin à aller. « Vingt-cinq louis à gagner, ajouta-t-il. — C’est donc M. de La Valette que nous ramènerons ? » répondit l’un des porteurs. Cet homme se retira, mais en gardant le secret qu’il avait deviné. Un charbonnier vint pour le remplacer. Enfin, après des adieux pénibles, trois femmes reparurent dans le greffe de la prison ; une d'elles, abîmée dans sa douleur, se couvrait le visage de son mouchoir et poussait des sanglots, s’appuyant sur l’épaule de la jeune fille. Le concierge, attendri, l’aida à sortir sans oser soulever son voile. Rentré dans la chambre du prisonnier, il n’y trouva plus que Mme de La Valette. « Ah ! madame, s’écria-t-il, je suis perdu ! vous m’avez trompé. » Ce qu’il y avait de plus singulier, c’est que Mme de La Valette était grande et mince, tandis que La Valette était un petit homme gros et ramassé. » En sortant de la Conciergerie, le comte trouva Baudus, qui le fit monter en voiture et le conduisit chez Bresson. Celui-ci le cacha au ministère des affaires étrangères jusqu’au 10 janvier 1816. Ce jour-là, trois Anglais, Bruce, le capitaine Hutchinson et le général Robert Wilson, firent sortir La Valette sous l’uniforme de colonel anglais et le conduisirent jusqu’à Mons, d’où il gagna la Bavière et alla chercher un asile auprès d’Eugène de Beauharnais.

Lorsqu’il apprit l’évasion du condamné, Louis XVIII ne put s’empêcher de faire cet aveu : « De nous tous, Mme de La Valette est la seule qui ait fait son devoir. » Arrêtée à la Conciergerie, où on la trouva portant les vêtements de son mari, la jeune et héroïque femme fut relâchée au bout de quelque temps ; mais les trois Anglais qui avaient conduit La Valette en Belgique furent condamnés à trois mois d’emprisonnement, et le porte-clefs à deux années. Peu après, la raison de la comtesse de La Valette, qui dans toute cotte affaire avait fait preuve d’une présence d’esprit