Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 11, part. 1, Mémoire-Moli.djvu/275

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

272

MILT

trouve des lettres et des mémoires de ce prélat sur Luther dans divers recueils allemands. MIJ.TIZ (Charles-Borromée de), littérateur et compositeur allemand, né à Dresde en 1781, mort en 1345. Dès son enfance, il s’adonna à l’étude de la musique, qu’il ne cessa depuis lors de cultiver, entra à dix-sept ans dans l’armée saxonne, servit jusqu’en 1814, puis s’occupa uniquement de littérature et de masique. Au retour d’un voyage de trois ans en Italie, Miltiz fut nommé gouverneur du prince royal de Saxe (1824). Comme compositeur, on lui doit un opéra : Safil, qui fut joué avec succès en 1S33 ; une Messe en sol mineur, une Ouverture de concert, de nombreux morceaux pour piano, des chansons, etc. Comme écrivain, Miltiz a publié des articles de musiqueet des nouvelles dans divers recueils. Il a fait paraître séparément : Fleurs d’oranger (Leipzig, 1822-1825, 3 vol. in-S<>), mélange de nouvelles, de poésies, etc., et Jiecueil de récits (Leipzig, 1825-1828, 4 vol.).

MILTON, bourg et paroisse d’Angleterre, comté de Kent, à 17 kilom. N.-R. de Maidstone, sur la Manche ; 2,250 hab. Petit port de cabotage. Pêcheries d’huîtres renommées. Fabriques de toiles de coton rayé et de guingamp. On suppose que Milton a été le Bremelurum des Romains, Il Bourg et circonscription communale des États-Unis d’Amérique, dans l’État de Vermont, à 17 kilom. N.-E. de Burlington ; 2,300 hab. Il Autre bourg des États-Unis, dans l’État de New-York, à 45 kilom. N. d’Albany ; 3,500 hab.

MII.TON (John), célèbre poète anglais, né à Londres le 9 décembre 1608, mort dans la même ville le 8 novembre 1674. Son père, à qui sa conversion au protestantisme avait coûté sa fortune, embrassa la profession de notaire, et, grâce à une incessante activité, acquit une aisance relative qui le mit à même de donner à son fils une solide instruction sans l’éloigner de la maison paternelle. Le premier précepteur de Milton fut Thomas Youug, dont l’austérité religieuse exerça une grande influence sur l’esprit et la destinée de son élève. L’étude devint bientôt une passion pour son esprit, ardent, désireux de s’instruire, si bien qu’à peine sorti de l’adolescence on voyait déjà se développer en lui les germes de cette double exaltation poétique et religieuse qui fut le caractère propre de son génie. Les romans de chevalerie, les légendes poétiques et la Bible devinrent ses lectures favorites, se gravèrent profondément dans sa mémoire et furent toujours la source préférée où le poëte puisa ses inspirations. A l’âge de dix-sept ans, Milton fut envoyé à l’université de Cambridge ; à. vingt-quatre ans, il fut reçu maître es arts, quitta l’université, et, s’abandonnant à la mystique ferveur de son esprit, conçut un instant la pensée d’embrasser l’état ecclésiastique ; mais, éapercevant bientôt que le despotisme sous lequel avait plié l’Église obligeait celui qui voulait en faire partie de souscrire à son propre esclavage, il aima mieux conserver rinilépendiince de sa foi. Peu soucieux encore de choisir une profession, il résolut de consacrer plusieurs années de sa vie à élargir le cercle de ses connaissances ; il litait déjà, dans leurs langues, Homère, Virgile, Dante, le Tasse ; il apprit l’hébreu ot le syriaque afin de lire la Bible dans ses textes originaux. Après la mort de sa mère (1637), il résolut de compléter ses études par les classiques voyages de l’Italie et de la Grèce, berceaux de nos jeunes civilisations. Il partit pour la France, qu’il ne fit que traverser, mais où il fut présenté à Grotius, le célèbre auteur du Droit de la guerre et de la paix, base du droit commun moderne, et dont il se plaisait plus tard à invoquer les maximes profondes et hardies. Arrivé en Italie, il se rendit d’abord à Pise, puis à Florence, où les lettres et les arts se ressentaient encore du mouvement intellectuel imprimé par les Médicis à la Toscane. C’est près de cette dernière ville, à Arcetri, qu’il eut plusieurs fois l’occasion de voir Galilée, dans l’espèce de prison où l’inquisition lui faisait expier son génie. De Florence, Milton vint à Rome, où le cardinal Barberini lui ouvrit les portes du Vatican et mit à sa disposition les trésors de son admirable bibliothèque. Il contempla les murs de la chapelle Sixtine, couverts des fresques de Michel-Ange, il vit les Vierges du divin Raphaël et le tableau de la Transfiguralion ; il vit enfin les Loges, ce beau commentaire de la création biblique. Milton se rendit ensuite à Naples, et c’est dans cette ville qu’il reçut la première nouvelle des troubles d Angleterre. Sa passion pour la liberté i’empor» tant sur ses aspirations poétiques, il reprit le chemin de sa patrie et rentra à Londres à la fin de l’année 1639.

À cette époque, Milton s’était déjà essayé dans bien des genres sans presque rien publier. Il avait écrit deux petits poèmes, l’Allégro et le Pensieroso, tableaux lyriques de l’homme gai et de l’homme mélancolique, imprimés plus tard dans ses Juvénile jioems (1045, in-8°) ; un Hymn on the Nativity (1629) ; des féeries ou masques : Arcades, Cornus, représentés dans les châteaux de Ludlow et

de Derby, où ils firent les délices des dames de la cour par leur poésie héroïque et chevaleresque ; une élégie, Lycidas, sur la mort d’un ami ; un poëme sur Shakspeare, etc. En Italie, il publia un recueil de poésies latines (Rome, 1639) et parvint à posséder si bien la

MILT-

langue de Dante et de Pétrarque qu’il composa en italien d’élégants sonnets. Dans le cours de sa vie agitée, il se reportait souvent à l’époque heureuse de ses voyages et c’est dans des sonnets italiens qu’il a versé de préférence les confidences de ses tristesses. Une de ses pièces latines laisse voir que le plan du Paradis perdu avait déjà germé en lui, car il annonce qu’un jour il chantera « les œuvres et les jugements du Très-Haut. » Une tradition veut, en effet, que ce soit à Rome, en voyant jouer dans un théâtre de marionnettes le Mystère de ta désobéissance d’Adam et d’Eve, qu’il ait conçu le projet d’écrire sa grande épopée. Cet informe Mystère put être son point de départ, mais, à coup sur, Milton n’ignorait pas la Semaine, de Du Bartas, et on retrouve dans le Paradis perdu des fragments entiers du poème latin d Avitus Sur la punition et le péché d’Adam, transfigurés par la supériorité du génie. Il dut même connaître 'Hymne des anges ou la Révolte des esprits célestes, poème d’Anne d’Urfé, frère de l’auteur de VAstrée. Toutefois, si Milton fit dès lors quelques études en vue du projet qu’il avait conçu, il ajourna toute exécution et fut pendant de longues années absorbé par la tâche quotidienne du polémiste politique et religieux.

f Milton avait alors trente ans accomplis, l’Age de la virilité intellectuelle, une érudition profonde, des connaissances étendues, fortifiées par les voyages et le commerce des arts ; il se sentait apte à jouer un rôle dans les commotions politiques dont les secousses commençaient à agiter l’Angleterre. L’Église anglicane, aristocraîique et fastueuse, tournant au papisme dont elle adoptait les cérémonies, était battue en brèche par la démocratie presbytérienne. Milton se jeta dans la mêlée et lança le premier trait contre la grande hérésie. Ce fut son pamphlet Sur la réforme ecclésiastique, bientôt suivi de deux autres, YEpiscopat et la Défense de l’Église presbytérienne, dans lesquels 11 dévoile les fautes de l’Église anglicane et signale les réformes qu’il attend d elle. Le coup fut terrible ; il eut pour premier effet la célèbre remontrance du Long Parlement, qui n’était

en réalité qu’une paraphrase des pamphlets de Milton. Toutefois, celui-ci n’avait embrassé que la cause de la liberté, et non le presbytérianisme ; et c’est avec raison que Voltaire, souvent injuste à son égard, l’a loué de n’avoir jamais fait partie d’aucune secte. Celte républicaine indépendance, qui fit de lui un citoyen plutôt qu’un partisan, lui attira dès le début, et dans les rangs des deux partis, des haines qui, pour être secrètes, n’en étaient pas moins redoutables.

Vers cette époque (1643), Milton épousa Mary Dowel, fille d’un juge de paix du comté d’Oxford, attaché d’intérêt à la cause royaliste, dont les armes triomphaient alors de la révolution naissante. Les commencements de cette union ne furent pas heureux, et sa jeune femme le quitta bientôt pour retourner chez ses parents. Cet événement domestique fut l’occasion de quatre pamphlets que Milton publia successivement sur le divorce. Plus tard, l’époux offensé se vengea noblement lors de la chute du parti royaliste, en recueillant sous son toit sa femme avec toute sa famille, qu’il protégea contre les excès de la réaction démocratique. L’année 1644 marqua dans la vie de Milton par l’apparition de deux brochures qu’il lança contre l’enseignement universitaire et la censure, et dans lesquelles il se montra le défenseur zélé de la liberté de penser ; rôle assez dangereux dans tous les temps pour que l’on en tienne compte à ceux qui ont le courage de s’en charger. Le pamphlet sur la liberté de la presse était intitulé Areopagetica ; il eut un immense retentissement, mais, comme toujours en pareil

cas, l’effet produit resta nul. Milton ne fut point mêlé à la scène lugubre où, dans la cour de Whitehall, le cadavre de Charles Ier servit de marchepied à l’ambition d’un nouveau tyran, et ce no fut qu’après la mort du roi sur l’échafaud qu’il fit paraître ses pamphlets : De ta responsabilité des rois et des magistrats. Le ton âpre de cet écrit, la solidité des raisonnements, l’implacable vigueur avec laquelle étaient rassemblés tous les arguments propres à faire considérer comme juste et légitime l’exécution de Charles le attireront les regards de Cromwell sur leur auteur. Il en fit le secrétaire latin du conseil d’État. Dans cette position officielle, Milton écrivit, en latin, l’Iconoclaste, réfutation de l’Eikâa Basilikê, attribué au roi lui-même, et la Défense du peuple anglais (1651), pour réfuter le livre de Saumaise, Defensio régis, écrit ennuyeux, pédantesque et mal digéré, s’il faut eu croire Camille Desmoulins, qui eut le courage de le lire. La réponse de Milton, traduite dans toutes les langues de l’Europe, fit grand bruit et fut même brûlée par le Châtelet de Paris, à l’instigation des prêtres, preuve de la sensation qu’elle produisit en France, où il semble que ces sortes de condamnations aient été de tout temps l’apanage des bons livres. Le livre de Milton, cité comme son chef-d’œuvre par Tolland, un de ses biographes, obtint rapidement un grand nombre d’éditions, tandis que le fatras de Saumaise tomba dans l’oubli. De grands chagrins domestiques vinrent empoisonner les succès de Milton ; sa femme,

qu’il aimait tendrement depuis leur réconciliation, mourut en couche ; il se remaria et sa seconde femme mourut aussi en donnai !»

MILT

le jour à sa fille Déborah, moderne Antigone que devait illustrer sa piété filiale.

Dans une Seconde défense, il se fit hardiment l’apologiste des hommes de la révolution (1652), et dans une troisième, Defensio auctoris, il répondit avec non moins d’énergie à ses propres adversaires et surtout à Pierre Dumoulin, chanoine de Cantorbéry, qui l’avait livré au mépris public dans son Cri du sang royal. Au cours de ces travaux, Milton avait presque subitement perdu la vue. On ne peut iire sans attendrissement les vers que cette cruelle infirmité lui inspira plus tard, le début du Ille chant du Paradisperdu et le plus beau de ses sonnets italiens. Cette noble infortune, si courageusement supportée, ne fut point à l’abri des injures, et, pour avoir rempli les devoirs d’un bon citoyen, Milton fut assailli d’un déluge de calomnies, qu’il n’eut point le courage de dédaigner. Pierre Dumoulin poussa I indignité jusqu’à lui reprocher la malheureuse infirmité dont il venait d’être atteint, en le comparant au Polyphème de Virgile :

Mamtmm horrendwn, informe, ingens, cui lumeti

(atleni}itum !

en remarquant toutefois quel’épithète ingens était la seule qui ne s’appliquât pas à Milton, qui était de petite taille. Enfin les prêtres, ses plus grands ennemis, vinrent jusqu’à présenter sa cécité comme un effet de la vengeance divine. Milton, qui était dévot, fut très-sensible a ce dernier reproche et eut la bonhomie d’y répondre dans sa Seconde défense, où il protesta ne se sentir coupable d’aucun crime qui eût pu lui attirer ce châtiment. Après ses deux Défenses du peuple anglais, Milton ne crut pas encore être quitte envers sa patrie ; il avait commencé une Histoire d’Angleterre, il la continua dans les loisirs que lui laissaient ses autres occupations. Bientôt les affaires publiques changeront de face, et le rump (croupion), fantôme du Long Parlement, se laissa entièrement dominer par Cromwell, alors à l’apogée de sa puissance. Milton conserva toutefois sa place de Secrétaire latin et célébra même avec un certain enthousiasme le pseudo-libérateur de sa patrie ; mais on est fondé à supposer que son imagination ardente, mystique et planant, pour ainsi dire, au-dessus des passions terrestres, fut frappée des exploits audacieux, de l’activité prodigieuse, du génie enfin de cet homme extraordinaire, et qu’il fut en un mot dupe de la comédie politique et religieuse jouée par le tyran. Après la mort de Cromwell, la nation paraissant décidée à rappeler le fils de Charles Ier pour le placer sur le trône, Milton, vieux et accablé d’infirmités, fit paraître un pamphlet dans lequel il traçait un plan de république et s’efforçait de prouver à ses compatriotes combien il était dangereux de rétablir la royauté. L’Angleterre se ressent encore aujourd’hui de n’avoir point mis eu pratique d’aussi sages exhortations, auxquelles les leçons de 1 expérience donnaient une si grande autorité. Un pamphlet fort court, qui passa presque inaperçu, fut le dernier effort de Milton pour raffermir l’édifice croulant de la république ; ce fut sa Note sur un sermon du docteur Griffith ; mais que purent les lamentations de Jérèmie pour prévenir la ruine ’de Jérusalem ? Le 9 mai 1660, Charles II rentrait dans sa bonne ville de Londres, ramené par le général Monck. Milton fut incarcéré comme complice des régicides. Sa Defensio pro populo anglicano et son Iconoclastes furent brûlés de la main du bourreau ; il allait périr victime d’une haineuse réaction, lorsqu’il fut sauvé par le crédit du poète Davenant, que lui-même avait arraché à la mort en 1650, alors que le Parlement voulait prononcer contre lui la peine capitale. Deux mois après, il fut mis en liberté par l’ordre des Communes, avec la condition, glorieuse pour lui, qu’il n’occuperait jamais de charge publique ; condition bien inutile, car Milion n’était point hoinmo à briguer les faveurs des rois. L amour de la liberté l’avait fait descendre dans l’arène ; voyant qu’il nourrissait une passion sans espoir, il s abandonna tout entier à son génie poétique et ennoblit sa retraite des affaires par le poëme du Paradis perdu, monument immortel qu’il allait élever au sein des factions. Bientôt, cependant, ses ennemis se réveillèrent d’autant plus acharnés qu’il n’était plus h craindre, et sa vie même ne fut plus en sûreté. Des chagrins le poursuivirent jusque dans son modeste intérieur. Les deux filles qu’il avait eues de sa première femme l’abreuvèrent d’ennuis, vendant ses livres et

dissipant à leur profit les épargnes d’un ménage presque uécessiteux. Seule, sa plus jeune fille, Déborah, l’entourait de soins affectueux et poussa, dit-on, le dévouement

filial jusqu’à apprendre à lire les caractères grecs et hébreux pour lui faire des lectures dont elle ignorait le sens. A d’autres moments, elle saisissait sa harpe et, comme autrefois David devant Saûl, faisait rentrer le calme dans le cœur du vieux républicain. Désormais rentré dans la vie privée, Milton ne songeait plusqu’àl’achèvemeritde son poème, qu’il commençait à l’âge où Virgile avait terminé le sien, et qu’il mit neuf années à composer. L’ouvrage parut dans le courant de l’année 1667 et n’obtint aucun succès. On possède la minute du traité par lequel le grand poète céda au libraire Symons l’entière propriété de son œuvre. Symons lui compta

MILT

5 livres sterling avant l’impression ; il devait lui en donner 5 autres dès que 1,300 exemplaires auraient été vendus et b autres pour la seconde édition d’un nombre égal d’exemplaires. À la mort du polite, sept ans après la date de ce traité, il ne s’en était pas vendu 3,000.

Milton composa encore, dans sa laborieuse vieillesse, un autre grand poème tout à fait oublié : le Paradis reconquis, où il chaulait la rédemption, etSamson Ayonistes, tragédie biblique informe (1671, in-3°). Chateaubriand a traduit quelques fragments de cette conception dramatique, dont les seuls passages intéressants sont ceux où Milton, aveugle et écrasé sous les ruines de toutes ses espérances, émeut par une allégorie facile à saisir. Le génie du poëte est tout entier renfermé dans le Paradis perdu et dans quelques-uns de ses sonnets italiens et anglais.

Ce grand poëte, dont Voltaire et Chateaubriand nous ont révélé toutes les magnificences, resta pour ainsi dire ignoré de ses contemporains, qui ne virent jamais en lui que le polémiste politique, l’ami de Cromwell. Les beaux esprits du temps, ou ne le connaissaient point, ou affectaient de le mépriser. Il n’y^ avait, en effet, guère lieu de s’étonner qu’un ancien secrétaire de Cromwell, vieilli dans la retraite, aveugle et sans fortune, fût ignoré d’une cour qui avait remplacé le puritanisme des têtes rondes par la galanterie de la cour do Louis XIV, et dans laquelle on ne goûtait que des poésies plus que licencieuses, telles que les satires du comte de Rochester, celles de Cowley, et les comédies ordurières de Wicherley. Voici comment le jugeait Wistanley, qui pourtant l’avait lu : « John Milton aurait pu se placer au nombre de nos poètes les plus distingués, comme le prouvent deux poômes héroïques et une tragédie qu’il a écrits. Mais sa réputation est comme la flamme d’une lumière qui s’éteint. Le nom de Milton laissera toujours une mauvaise odeur après lui : ce traître notoire, cet impie, ce monstre a concouru à la mort du bienheureux martyr Charles 1er. » Le duc d’York voulut voir Milton dans sa retraite obscure, et tout autre que le futur Jacques II, l’inepte et hypocrite monarque, se serait senti ému en face de cette grande figure, en voyant la misère et l’abandon où s’éteignait l’homme de génie. Rentré à Whitehall, fe duc d’York dit à son frère : « Eh quoil vous laissez vivre ce vieux scélérat de Milton ? — 11 est assez puni, répondit Charles II ; il est pauvre, vieux et aveugle. • La mort surprit Milion le 8 novembre 1074, au milieu des études théo.ogiques qui furent la consolation de ses dernières aimées. Une attaque de goutte l’emporta à l’âge de soixante-six ans. Ainsi mourut obscurément un homme de bien, un des meilleurs citoyens don lait pu s’enorgueillir l’Angleterre, et qui, s’il n’eut point la hauteur de conception d’un vérituble homme d’État, sut montrer cependant que la • justice et l’ardent amour de ia liberté peuvent toujours en tenir lieu. Le souvenir de Milton devint cher à sa patrie, qui u nui par lui élever un monument au milieu de ceux des rois, dont il avait été le courageux adversaire ; mais il fallut bien du temps pour que le poëte remoulàt jusqu’au rang que son génie devait lui conquérir malgré tout. Après la chute des Stuarts, il resta" longtemps un vieux levain de haine royaliste, qui perce encore, à l’endroit de Milion, dans les organes tories, la Quarterly Jteview, par exemple. Co fut Addisou qui le premier révéla Milton toul entier à l’Angleterre ; mais Pope s’efforça encore de le rabaisser en plaisantant sur l’emphase de son style, sur la rudesse el la complexité de l’idiome dont il se sert, la rime rebelle qui le força d’écrire en vers non rimes, etc. En France, pendant tout le cours du xviiio siècle, il fut peu goûté, quoiquo Voltaire ait senti et très-bien exposé la grandeur de son œuvre, en dénigrant, suivant son habitude, les beautés qu’il ne pouvait comprendre. Depuis la Révolution, qui a élargi les horizons littéraires tout autant que les horizons politiques, Milton a été mieux compris chez nous. Delille le traduisit d’une façon insuffisante, en reculant devant toutes les hardiesses de style ; du moins son livre fit-il connaître l’ensemble d’une œuvre dont on avait à peine l’idée. L’école romantique a placé Milton au-dessus des plus grands poëtes, et Chateaubriand, dans sa vieillesse, essaya d’offrir du Paradis perdu une traduction littérale, labeur ingrat dans lequel il n’a qu’imparfaitement réussi. Macaubiy u fait de Dante

et de Milton un parallèle excellent : 1 Dante, dit-il, puisa dans son exil et dans sa misère une amertume profonde qui se répand sur toute son œuvre. L’âpreté de ses vers, de ses images, de ses réflexions semble émaner de la lutte d’un homme inflexible que l’adversité irrite sans le dompter. Ce n’esi pas de la <nèlaneolie, c’est une poignante douleur qui jette1 une teinte livide jusque sur les joies du paradis. L’austérité de Milion est adoucie par une contemplation céleste ; cette de Dante est mêlée de fureur et de misanthropie. La physionomie de ces deux grands poëtes est en

rapport avec leur génie. On ne saurait s’élonnèr, à les voir, que l’un de ces deux poëtes se soit complu dans les tableaux de désespoir, de torture physique et morale et d’éternelle douleur dont la Divine Comédie est pleine ; et que l’autre, au contraire, ait revêtu son archange tombé d’une grandeur et