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tout cas, ceux qui voient dans la propriété un droit absolu sont nécessairement conduits à condamner l’expropriation comme un abus de pouvoir.

— Bibliogr. Outre les ouvrages de morale qui seront étudiés ci-après, il en existe une multitude d’autres ; nous devons nous borner à en citer un petit nombre : Œuvres, morales de Plutarque ; Œuvres morales d’Epictète ; Réflexions morales de Marc-Antoine ; De la consolation de la philosophie ; par Boëce ; Traité de la félicité humaine, par Caraccioli ; Philosophie, universelle des mœurs, par Piccolomini (Venise, 1583, in-fol.) ; De la sagesse des anciens par Bauon (Leyde, 1633, in-12) ; De la sagesse, par Charron (Leyde, 1646, in-12) ; Réflexions ou Sentences et, maximes morales, par La Rochefoucauld (Paris, 1737, in-12) ; Abrégé de philosophie morale : par F. Hutcheson (Rotterdam, 1745, in-8o) ; le Spectateur ou le Socrate moderne, par Addison (Paris, 1745, 3 vol. in-4o) ; la Philosophie morale suivant l’opinion des péripatéticiens, par Zanotti (Parme, 1766, in-8o) ; De l’homme, de ses facultés intellectuelles et de son éducation, par Helvétius (Londres, 1775, 2 vol, in-8o) ; Entretiens, de Pkocion sur le rapport de la politique avec la morale, par Mably (Paris, 1804,. 3 vol, in-8o) ; Essai sur l’art d’être heureux, par. J. Droz (Paris, 1815, in-8o) ; De l’état social de l’homme, par Fabre d’Olivet, (Paris, 1852, 2 yol, in 8o) ; Des compensations dans les destinées humaines, par Azaïs.(Paris, 1846, in-12) ; Conseils de morale, par Mme Guizot (Paris, 1828, 2 vol. in-8o) ; Essais de littérature et de morale, par la même (Paris, 1802, in-8o) ; Pensées, essais et maximes, par J. Joubert (Paris, 1842, 2 vol. in-8o) ; Morale sociale, par Ad. Garnier (Paris, 1850, in-8o) ; De la morale avant les philosophes, par ; L. Ménard (Paris, 1860) ; Du principe de la morale envisagée comme science, par E. Wiart (Paris, 1862, in-8o) ; Manuel de morale et d’économie populaire, par L, Goudounèche (Paris, 1866, in-12) ; Principes de la morale, leur caractère rationnel et universel, leur application, par J. Tissot (Paris, 1866, in-8o).

Allus. littér. Morale nue, Allusion à un vers d’une fable de La Fontaine : le Pâtre et le Lion. Voici le passage dans lequel se trouvent ces mots :

Les fables no sont pas ce qu’elles semblent être ;
Le plus simple animal nous y tient lieu de maître.
Une morale nue apporte de l’ennui :
Le conte fait passer le précepte avec lui.

« Une mère, qui avait reçu des reproches sur la conduite de son fils, lui écrivait :

« Prépare-toi, mon cher enfant, à lire un long sermon que tu mérites bien d’entendre, et dont je souhaite ardemment que tu fasses ton profit. Toutefois, pour que tu le lises avec plus de fruit et de patience, j’y joins un mandat de 200 francs sur la poste :

 « Une morale nue apporte de l’ennui ;
« Le mandat fait passer le précepte avec lui. »

J.-A. Abrant.

« Il n’est pas exact de dire que toute erreur soit funeste. Telles sont les fables qui s’attachent aux religions. En parlant de Dieu, elles en entretiennent la croyance et en inculquent les lois :

Le conte fait passer la morale avec lui. »

Joubert

Morales (œuvres), par Plutarque. V. Plutarque.

Morale (Essais de), par Nicole (Paris, 1671 et ann. suiv., 25 vol. in-12). Si l’on détâche de l’ouvrage un bon nombre de traités spéciaux, il se réduit à 13 volumes. Le premier volume excita tout d’abord un intérêt général, qui nous paraîtrait aujourd’hui exagéré. Plusieurs des volumes suivants furent publiés sous le nom du sieur de Chanteresne, dont Nicole s’était aussi servi lors de la publication de son Traité de l’éducation d’un prince ; puis le bruit qui s’était fait autour de son livre engagea l’auteur à ne plus cacher son véritable nom. Il a une façon assez originale d’expliquer l’origine de ses Essais de morale. « Il y a plus de dix ans, dit-il, que je n’ai d’autre dessein en écrivant que de m’occuper et d’appliquer mon esprit à certains sujets qui me paraissent utiles pour moi-même. Ainsi, je suis payé de mon travail par mon travail même, et quand je serais tout seul au monde, je ne ferais pas autre chose que ce que je fais. Si je pouvais lire autant que je le voudrais ou que j’eusse une autre occupation, on ne verrait guère d’ouvrages de ma façon ; car je ne travaille guère que quand je n’ai pas autre chose à faire. J’aime néanmoins mieux m’occuper de cette manière que d’écrire des pensées vagues et sans ordre, parce que cela tient plus l’esprit en haleine. » De sorte qu’il a écrit ses Essais de morale pour se désennuyer. M. Humon, le directeur de Port-Royal, ne fut pas étranger à la composition des Essais. « Ils convenaient des principes sur cette matière, dit l’abbé Gouget dans la Vie de Nicole, et M. Nicole trouvait qu’il composait plus facilement sur ce sujet lorsqu’il avait conversé quelque temps avec lui. »

On ne lit plus les Essais de morale, mais on les a beaucoup lus et ils ont tenu dans la littérature française une place que les livres


de pure morale ne tiennent pas maintenant. Mme de Sévigné en raffolait ; Voltaire en à fait le plus grand éloge ; Sainte-Beuve, un des derniers qui les aient lus, les compare à du pain rassis. » Quant à M. Vetillot, qui hait les hérétiques au moins autant que les libéraux, il appelle Nicole « ce moraliste de Port-Royal, le plus froid, le plus gris, le plus plomb, le plus insupportable des ennuyeux de cette grande maison ennuyée. » Tel n’était point l’avis de Mme de Sévigné ; dès le premier volume, elle s’écriait : « Ne vous avais-je pas dit que c’était de la même étoffe que Pascal ? Mais cette étoffe est si belle qu’elle me plaît toujours ; jamais le cœur humain, n’a été mieux anatomisé que par ces messieurs-là. » Et il ne faut pas croire qu’elle parlait du livre sans le connaître : « Je poursuis, dit-elle, cette morale de Nicole que je trouve délicieuse… Je lis M. Nicole avec un plaisir qui m’enlève ; surtout je suis charmée du troisième traité, Des moyens de conserver la paix avec les hommes. Lisez-le, je vous prie, avec attention, et voyez comme il fait voir nettement « le cœur humain et comme chacun s’y trouve, et philosophes, et jansénistes, et molinistes, et tout le monde enfin. Ce qui s’appelle chercher dans le fond du cœur avec une lanterné, ; c’est ce qu’il fait. » Elle admire même le style : « Quel langage ! quelle forcé dans l’arrangement des mots ! On croit n’avoir lu de français qu’en ce livre. » On ne peut s’empêcher de voir dans un pareil jugement un peu de l’enthousiasme aveuglé des sectaires ; en réalité, le style de Nicole est lourd, pâteux et monotone ; il se reconnaissait lui-même ce dernier défaut et il l’avouait avec bonhomie : « Comme il y a des peintres qui, ayant peu d’imagination, donnent à tous leurs personnages le même visage, il y a aussi des gens qui écrivent toujours du même air et dont l’allure est toujours reconnaissable ; personne n’eut jamais plus ce défaut que moi. » Mais si Nicole a un esprit sec et froid, il rachète en partie ces défauts par une exactitude d’aperçus et une abondance dont il est juste de lui tenir compte. Quant à sa morale, elle est souvent des plus sombres et touche plus d’une fois à la misanthropie. « Le monde entier, dit-il, n’est un lieu de supplices, où l’on ne découvre par les yeux de la foi que les effets effrayants de la justice de Dieu, et si nous voulons le représenter par quelque image qui en approche, figurons-nous un lieu vaste plein de tous les instruments de la cruauté des hommes et rempli, d’une part de bourreaux, et de l’autre d’un nombre infini de criminels abandonnés à leur ragé. Représentons-nous que ces bourreaux se jettent sur ces misérables, qu’ils les tourmentent tous et qu’ils en font tous les jours périr un grand nombre par les plus cruels supplices ; qu’il y en a seulement quelques-uns dont ils ont ordre d’épargner la vie ; mais que ceux—ci même, n’en étant pas assurés, ont sujet de craindre… Quelle serait la frayeur de ces misérables qui seraient continuellement témoins des tourments les uns des autres !… Nous passons nos jours au milieu de ce carnage spirituel, et nous pouvons dire que nous jugeons dans le sang des pécheurs, que nous en sommes tout couverts et que ce monde qui nous porte est un fleuve de sang. » Nous pensons que la foi qui voit de pareils tableaux conduit plutôt au désespoir qu’à la saine morale ; nous aimons à donner à la vertu des traits plus doux et plus humains. Mais l’auteur insiste : « Qu’on s’imagine, dit-il ailleurs, une chambre vaste, mais obscure, et qu’un homme travaille toute sa vie à la remplir de vipères et de serpents ; qu’il y en apporte tous les jours grande quantité et qu’il emploie même diverses personnes pour l’aider à en faire amas ; mais que, sitôt que ces serpents sont dans cette chambre, ils s’y assoupissent en s’entassant les uns sur les autres, en sorte qu’ils permettent même à cet-homme de se coucher sur eux, sans le piquer et sans lui faire aucun mal ; que cet état durant assez longtemps, cet homme s’y accoutume et n’appréhende rien de cet amas de serpents ; mais que, lorsqu’il y pense le moins, les fenêtres de cette chambre venant à s’ouvrir tout à coup et à laisser entrer un grand jour, tous ces serpents se réveillent tout d’un coup et se jettent tous sur ce misérable, qu’ils le déchirent par leurs morsures et qu’il n’y en ait aucun qui ne lui fasse sentir son venin. Quelque terrible que soit cette image, ce n’est qu’un faible crayon de ce que font ordinairement les hommes et de ce qui leur arrive au jour de leur mort. » De pareils tableaux nous font sourire, nous hommes de peu de foi ; mais les contemporains de Nicole les prenaient tout à fait un sérieux : « Je suis, écrivait M. de Pontchartrain, tout pénétré du livre nouveau des Quatre fins de l’homme, qui est le quatrième volume des Essais de morale, et pourtant je n’aï pas encore lu le plus terrible, qui est l’enfer, à ce qu’on m’a dit ; je n’en suis qu’à la mort, mais ce que j’en ai vu est si vif qu’il n’y a pas moyen d’y durer. » À tout prendre, néanmoins, le côté triste du caractère de Nicole ne se montre pas toujours. Il est même parfois assez doux et accommodant. Il connaît les tempéraments qu’il est nécessaire d’apporter à l’ardeur des convictions, et conseille dans certains passages une modération, un esprit d’accommodement qui frisent la connivence et la lâcheté. On dirait des conseils destinés à ceux qui veulent parvenir en ménageant la bêtise humaine.


En résumé, les Essais de morale, trop exaltés autrefois, sont peut-être trop oubliés aujourd’hui ; Nicole vise toujours à la pratique, et ses conseils, ordinairement modérés, sont quelquefois excellents.

Morale (traité de par Malebranche (Cologne, 1684, in-12). L’auteur dit modestement de cet ouvrage : « J’ai tâché, de démontrer par ordre les fondements de la morale dans un traité particulier, mais je souhaite, pour moi et pour les autres, qu’on donne un ouvrage et plus exact et plus achevé. » Malebranche part de ce point de vue, que la raison résume toutes les facultés. La raison est, sous sa plume, le yerbe même de Dieu et le fondement de la morale. Mais la raison de Malebrançhe n’est point individuelle : « Si mon propre esprit était ma raison, dit-il, ou la lumière, mon esprit serait la raison de toutes les intelligences, car je suis sûr que ma raison ou ma lumière éclaire toutes les intelligences ; personne ne peut sentir ma propre douleur ; tout homme peut voir la vérité que je contemple ; c’est donc que ma douleur est une modification de ma propre substance et que la vérité est un bien commun à tous les esprits. » C’est par la raison que nous communiquons.avec Dieu et avec toute, autre intelligence ; cette union spirituelle, est », une participation de la même substance intelligible du verbe, de laquelle tous les esprits peuvent se.nourrir. ». Par, la, contemplation rationnelle, on peut voir une partie de ce que Dieu, pense, découvrir une partie de ce qu’il veut, car il veut ; l’ordre, et c’est par l’amour de l’ordre que l’homme s’unit à la volonté de Dieu, et la vue de l’ordre est accessible aux yeux de l’esprit. L’a morale consisté dans la vue. et la pratique de ce que Dieu veut ; or, la raison, étant une chose-commune à tous les hommes ; tous peuvent.distinguer le.vrai du faux, le juste de l’injuste, l’ordre du désordre. Dieu est juste, il aime.ses créatures à proportion qu’elles sont aimables ou qu’elles lui ressemblent ; pour être heureux, il faudrait être parfait. L’homme ne l’est point ; mais il peut avancer dans la voie de la perfection ; cette voie.est, la vertu et la vertu se confond avec la perfection. Il doit, pour l’acquérir, sa soumettre à l’ordre immuable et non à l’ordre de la nature qui, de son essence, est changeant et peu sûr. Malebranche parle un peu à l’aventuré du monde politique et de la civilisation, qu’il ne connaissait guère, n’en ayant pas fait l’objet do ses études : on sait qu’il préférait l’anatomie d’un insecte à la connaissance de l’histoire grecque et romaine. Sa morale, ingénieuse et purement théorique, n’a donc aucune valeur pratique. Il n’en essaye pas moins de rendre compte des phénomènes sociaux et en particulier de la diversité des conditions. Pour lui, la diversité.des conditions est une suite du péché originel ; Les hommes ne diffèrent entre eux que par le culte dés sens ; chacun cultive ses cinq sens comme il peut. Or, avant le péché originel, les sens n’existaient point ; c’est la chute de l’homme qui nous a livrés au culte des sens. «’Souvent la qualité, les richesses, l’élévation tirent leur origine de l’injustice et do l’ambition de nos aïeux. Comme l’injustice de nos ancêtres est ensevelie dans l’oubli et que le lustre que leurs richesses et leurs dignités ont laissé dans leur famille subsiste encore, l’éclat de la qualité qui brillé aux sens et frappe l’imagination nous éblouit, et, l’injustice qui en.est peut-être le principe ne se faisant plus sentir, nous n’y pensons point. »

Dès l’apparition du traité du Malebranche, Bayle écrivait : « La Morale du P. Malebranche est achevée d’imprimer. Je l’ai lue avec beaucoup de plaisir. Elle n’est point diffuse, et dit des choses bien singulières et d’autres qui sont communes, mais tournées d’un air original. « Quelque temps après, Bayle motivait ainsi son jugement : « On n’a jamais vu aucun livre de philosophie qui montre si fortement l’union de tous les esprits avec la divinité. On y voit le premier philosophe de ce siècle raisonner sur des principes qui supposent, de toute.nécessité, un Dieu tout sage, tout-puissant, la source unique de tout bien : la cause immédiate de tous nos plaisirs et de toutes nos idées. C’est un plaidoyer plus puissant en faveur de la bonne cause que cent mille volumes de dévotion, par des auteurs de petit esprit. » On sait que Malebranche est un écrivain à l’imagination vive, au style fleuri et harmonieux. « Plût à Dieu, dit Voltaire, qu’il eût établi des vérités aussi solidement qu’il a exposé ses opinions avec éloquence ! »

Les deux principes fondamentaux du traité de Malebranche sont : 1o que les actes produisent des habitudes et les habitudes des actes ; 2o que l’âme ne produit pas toujours les actes de son habitude dominante. Pour produire des actes, il faut qu’il y ait dans notre esprit une force inhérente et libre. Il y u des moyens d’acquérir la disposition stable et dominante d’obéir à l’ordre ; mais la grâce est nécessaire, quoique le bon usage de la liberté dispose à recevoir ce don inconnu, à cause de la lumière qu’il fait naître en nous et du mépris qu’il nous inspire pour nos passions et les fantaisies de notre imagination.

Dans la première partie de l’ouvrage, l’auteur développe ses théories ; dans la seconde, il essaye de les appliquer.

Morale (écrits sur la), par Saint-Evremont (Paris, 1705, in-12). Saint-Evremont n’a pas composé de traité de morale ; mais


tout ce qu’il a écrit peut être considéré comme la conversation d’un moraliste élégant et superficiel, d’un observateur plein de finesse, d’un sage mondain, bel esprit et spirituel causeur. Sa morale est celle d’un épicurien de bonne race : elle prêche la joyeuse humeur, la nonchalance voluptueuse, le libertinage élégant, une sensualité discrète soumise aux lois de l’hygiène. Il n’est fâcheux que le rôle d’épicurien délicat exige de bonnes rentes, des avantages extérieurs et une santé robuste. Il lui faut la paix à tout prix, une agréable position dans le monde, d’heureux loisirs, un excellent cuisinier. L’épicurien doit être un parfait égoïste. Rien ne trouble la paix de la vie et le travail de la digestion comme les sentiments altruistes. Il est fâcheux que Saint-Evremont n’ait pas trouvé ce mot expressif : Il nous enseignera, en revanche, comment il faut s’y prendre pour agréer et plaire aux femmes. « Le premier mérite auprès des dames, c’est d’aimer ; le second est d’entrer dans la confidence de leurs inclinations ; le troisième de faire valoir ingénieusement tout ce qu’elles ont d’aimable. Si rien ne nous mène au secret du cœur, il faut gagner au moins leur esprit par des louanges ; car, au défaut des amants à qui tout cède, celui-là plaît le mieux qui leur donne le moyen de se plaire davantage… Dans leur conversation, songez bien à ne les tenir jamais indifférentes ; leur âme est ennemie de cette langueur ; ou faites-vous aimer, ou flattez-les sur ce qu’elles aiment, ou faites-leur trouver en elles de quoi s’aimer mieux ; car, enfin, il leur faut de l’amour, de quelque nature qu’il puisse être ; leur cœur n’est jamais vide de cette] passion. »

On voit que Saint-Evremont à un sentiment très-vif des exigences de la vie, un fonds solide de sens pratique, un optimisme intelligent, une sérénité bienveillante, Notons bien qu’il n’est pas épicurien de propos délibéré, comme ces matérialistes qui montrent de gros poings à la philosophie idéaliste, il hait la contrainte, et la gêne ; la constance et la vertu lui font peur ; il ne ressent pas de remords, et il ne demande pas d’absolution. Nature indulgente et, sage, il veut glisser à côté des embarras de la vie ; il ne désire pas les traverser. Une de ses maximes favorites est que « nous avons plus à jouir du monde qu’à le connaître ; » une autre, que « la sagesse nous a été donnée principalement pour ménager nos plaisirs. » Il rejette tout excès. La grande vertu, pour lui, c’est le régime qui permet de prolonger les plaisirs. En amitié, il ira jusqu’au dévouement… exclusivement ; en religion, il sera moqueur, mais pas grossièrement incrédule : « Le plus dévot, selon lui, ne peut venir à bout de croire toujours, ni le plus impie de ne croire jamais. »

Esprit superficiel, mais observateur, Saint-Evremont trouve des rapprochements ingénieux d’une vérité relative. Il a une maniera d’écrire aisée et spirituelle, mélange de recherche et de naturel, de fausses et de vraies grâces. Il a un air de mystère. Bayle l’appelle un auteur incomparable. Un de ses derniers admirateurs, M. Giraud, de l’Institut, a publié un choix de ses œuvres en 1866. Pour nous, Saint-Evremont est le type accompli du sage de la décadence.

Morale (Principes métaphysiques de la), par Kant (Riga, 1785, in-8oJ. D’âpres Kant, la philosophie grecque a été bien divisée en physique, éthique et logique. La physique et l’éthique appliquent les formes de la pensée, la première aux lois de la nature et la seconde à celles de la liberté. Les Grecs n’eurent point de métaphysique ou de raison pure ; la métaphysique existe pourtant en morale. La métaphysique des mœurs a pour objet les principes de la volonté pure. Les actes et les conditions de la volonté considérée en général ne regardent point la morale et dépendent de la psychologie. Kant définit la morale la bonne volonté de chacun. « L’intelligence, dit-il, l’esprit, le talent, le génie, le courage, la persévérance, toutes qualités de la nature ou du tempérament, sont, sans doute, à beaucoup d’égards, précieuses et désirables ; mais elles peuvent devenir nuisibles et facilement tourner au préjudice de tous, si la volonté qui les dirige n’est pas bonne. Il en est de même de la puissance et de la richesse et de toutes les facultés humaines.

L’auteur divise son traité en deux livrés : le premier a pour titre : Des devoirs envers soi-même, le second : Des devoirs envers autrui. Kant y passe successivement en revue lé bonheur, la perfection, le sens moral, la conscience, l’amour du prochain, le respect de soi-même, envisagés au point de vue de la morale. À propos de la vertu, il distingue entre la morale et le droit : le droit ne concerne que la liberté extérieure, tandis que la morale a pour objet de régler la liberté intérieure. « Pour être vertueux, dit Kant, il faut d’abord savoir se commander. L’apathie, considérée comme force, est un des principaux, éléments de la venu. » Après avoir établi que l’homme à des devoirs envers lui-même, il examine les divers modes qu’il a de s’y dérober. Le premier est le suicide : il n’a pas le droit de se tuer. « Y a-t-il suicide, demande-t-il, à se dévouer comme Curtius k une mort certaine, pour sauver la patrie ? Le martyre prémédité qu’inspire le dévouement pour le salut du genre humain en général doit-il