Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 11, part. 2, Molk-Napo.djvu/170

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MORN •

« Empreint d’une sombre tristesse : Untionya ^ silence. Un regard morne. Le calme mornb du château de Combourg était augmenté par, l’humeur tkciiur.ne de mon père. (Chateaub.) Sous l’Empire, tout était calme et presque mornb au dedans- (S. Ce Sacy.)’,.,

Ce morne et froid accueil itio eurprend à mon tour.

Corneille.

’— Par ext. Triste et désolé, on parlant d’un lieu ou d’un objet :.

C’est on univers morne, à l’horizon plombé, Où nagent dans la nuit l’horreur et le blasphème.

■ i, Baudelaire.

Là sont tous les trésors enfouis si longtemps Dahè les morne » oitês que respectait le temps, Sous le sol refroidi des laves volcaniques.’il

. >M" « de Pouony.1.’

il Sombre, et triste, en parlant du temps : Un temps, un ciel MORNE. Une MOrtNE saison. Il’ Terne, sombre, sans éclat : Couleur .morne. Soleil mornb..’. •

— Sy’n. Morne ».mélancolique, « ombra, etci’

V. MÉLANCOLIQUE." ’,

— AllUB. littér. L’œil morue… el —la l&lo linlssco, Soiulilui ent le conformer À sa Irluo

peiiice, Vers de Bacinedans Phèdre. V. ceil..

MORNE s. m. (mor-ne). Gjjogr. Nom’qué l’on donne, en Amérique, à de petites montà’gnes’de forme arrondie : On aperçoit à gauche la montagne, appelée morne de là Découverte. (B. de St-P.) Un gros morne terminé l’île Marikan à chacune de ses extrémités. (La Pérouse.)..’, ,’.,., ■

Morne-au-Diiiblofii :), roman-d’Eugène Sue (1842). Lé romancier a’dramatisé d’une façon. très-intéressaiito, mais tout ù fait fantaisiste, la légenrîo qui veut que Monmouth, frère naturel dé-Charles II, échappa a l’échafaud par le dévouement d’un de ses amis, exécuté’ à sa’pince, et trouva en Amérique un asile impénétrable. Il nous présente un amusant’ aventurier, le chevalier de Croustillao, che— < minant l’énêe au flanc et le feutre surl’o-i reillo à travers une forêt vierge, en quête d’aventures. Il a entendu dire que, dans une. maison isolée appelée le Morne-au’Diable, vivait une femme que sa conduite des plus équivoques envers trois époux successivement disparus avait fait surnommer la BarbeBleiie. 11 a juré d’être le quatrième mari de cette terrible veuve et, malgré la crainte que son nom seul répand dans tout le pays, malgré tout ce q » on raconte des abords effrayants de sa demeure, il est bien décidé à accomplir son serment. La Barbe-Bleue est entourée de tous les mystères qui peuvent environner une existence humaine. Le bruit public donne pour consolateurs à son veuvage un forban, un boucanier et un Caraïbe ; le chevalier de Croustillac la disputera au forban, au boucanier et au Caraïbe. Le voyage du chevalier est —fécond en périlleuses rencontres ; aucune no to détourne de son but, et il arrive sain et sauf au château du Morneàu-Diable. Au lieu do l’ogresse qu’il s’attendait à trouver, Croustillac voit dans la Barbe-Bleue une ravissante créature, blonde et rose, et il s’enflamme aussitôt pour cette merveille. Pur contre, les qualités loyales du chevalier, sa bravoure et son bon crçur inspirent à la dame, sinon de l’amour, du moins de l’estime et do la confiance. Après quelques tentatives do mystifications fort divertissantes, elle se décide à lui apprendre que tous les bruits qu’on répand sur elle, et qu’elle-même cherche à entretenir dans l’intérêt de sa sûreté, sont de ridicules mensonges ; qu’elle est entourée, il est vrai, d’un mystère, mais que ce mystère n’a rien de surhumain ni de cabalistique. En effet, la Barbe-Bleue estila femme de Jacques de Monmouth, ■ fils naturel de Charles IL La retraite dans laquelle elle vit, les affreux soupçons qu’elle laisse planer : sur son compte ont pour objet d’augmenter la’ sécurité du prince dont le sort est lié au sien.’ Cette sécurité eBt bien menacée ; voici, d’un côté, un envoyé de Charles IL qui vient ré-, clamer le prince pour le livrer a son maître, et un envoyé de Louis XIV, qui veut le tirerdo son obscurité et le mettre à la tête, d’une expédition dirigée sur les côtes d’Angleterre. Croustillac se dévoue ; il se substitue au prince, évite adroitement l’espion anglais et reçoit gravement les hommages du ministre, de France. Par malheur, sur le bâtiment qui doit le transporter à Versailles sont réunis les vieux partisans de Monmouth, et il lui sera difficile de soutenir longtemps son personnage. Quand il ne peut plus reculer ; Croustillac quitte avec un soupir ses vêtements royaux, endosse sa casaque de chevalier errant et, le poing sur la hanche, fait son apparition au milieu des courtisans. La farce est jugée mauvaise et l’on va pendre— l’aventurier a quoique haute vergue,’lorsque vient à passer, sur un navire, le véritable Monmouth, immédiatement.acclamé par ses partisans. Croustillac se jette à la mer, regagne le navire de son protecteur et s’attache à la fortune du dernier des Stuarts.

Le Morne-au-Diabte présente en foule au lecteur ces peintures naïvement terribles qui, par l’exagération de leur couleur, excitent plus de gaieté que d’effroi ; rien ne manque aux terreurs du récit, les forbans, les peaux-rouges, les tigres ; mais l’iraprassion dernière est habilement ménagée et tourne à l’avantage du livre entier. Si la valour-littéraire du

Mqpr ;

Morne-a.u-Diable peut être contestée, on ne. peut refusera ce, livré d’êtréamusant,’

MORNE’s ; — f.’(mor-rie). Art milit : âne. * Sorte de bouton, "d’anneau de métal ou de.* bois, dont leschevaliers garnissaient la pointe ; de leur lance,’lorsqu’ils voulaient’combattre, ! à armes courtoises. — •• —i ■ ■ ■■■, —n’.i ■"■-.

— Bla3,’Représentationdé Ur rhbrnedés i chevaliers.’’■■’—..,.■:■’•■,’î *’•

— S’ést’dit, selon Mercier; pour morgue Y lieu où Ton explose les cadavres’inconnus’:’1 C’est o la MbitNÉ que l’on aperçoit’les’nom— T breuses’et déplorables viciinïes des travaux' publics’.'(Mercier.) Ce mot’paraît douteux : 1

« MORKB (LE GROS-), bourgde l’Amérique centrale, dans là république diHaïti, dêpartement du-Nordj.à 28 kilom. S.-O. du P|ort-., de-Paix, sur.les Trois-Rivières ; l-, 570 hab. Il, Bourg de-l’Ile do la Martinique, arrond… de-’ SainUPierre ; 4, 845 hab. Culture de ; la canneit à sucre et du café., il Volcan de Vile de laj Réunion ;, 2^200 mètres.d’altitude,..,., M,.,

SlÔItNÈ-A-L’ËAU > bourg des Antilles frira-’ çaises, sur la côte septentrionhalé de la Gui’-’ deloupé, à- « ’kilom. N.-E. dé là : Pointe-à-I Pitre ; 3, 500 hab. Récolte et commercé desucre, café,’cacao.’ ■’’:’"’’

MORNÉ, £E (mor-né) part., passé— du, v. Morner..Garni dune-morne. : Lance mornée.,

—’Pig. Inoffensif : J’aurai• eslancé quelque subtilité en escriuant ; j’entends bien : mornéb- pour les autres, affilée pourmoy. (Montaigne.)

— Pop. 'Viande mornéé,’Viande qui n’est pas fraîché.,’■’r’"■

— Blas. Se dit d’un animal qui est repré-t sente sans dents, ni bec, ni langué, ni griffes, ni queue : De Gahnay’: d’or, à l’aigle mor-’ mée de sable. Il Quelques héraldistes appellent aussi. morné un casqué taré de profil, sans grilles et la visière presquéentièrement baissée…, ’, " ;’

MORNELLE s. f. (mor-nè-le). Pêche. Genre de pêche usitée en Espagne, et qui se prdti7 que avec plusieurs nasses, par. un seul pêcheur monté sur un batelet.. Il Qn dit atissji

MOUNILLË. —., [.,

MORNEMENT adv:(mor-ne-man — rad.. morne). Tristement ; avec un air morne et, chagrin.’' >’■■■■■;

MORNER v.a.oû tr. (rhor-né —rad. merrhe). Art milit. anc. Garnir d’une morne:Morner une lance.’’

MORNET s. m. (raor-nè — dimin. de morne). Géogr ; Petit morne.; .

MORNETTE s. f. (mor-nè-te — dimin. de. morne). Blas. Petite morne.

MORNIE s. f..(m6r-nî — du ïat. rnori, mourir). ! Chah’d’animal mort de maladie : Ma’nr. ger de la mornik. Il Vieux mot..

MORNIFLE s. f. (mor-ni-fle). Pop. Revers de main appliqué sur la face : Donner, appliquer une uoiîNti’LE à quelqu’un. • ;

— Par ext. Raillerie piquante. Il Peu usité.

— Jeux. Espèce de jeu-de cartes.’

Mori.ing ÀdTei-iiaer (the) [zhi-nîôr-nigrie-,’ ad-verTta-izei ! r], l’Amionce du matin, journal

fiolitique anglais, fondé en 1794.. Organo da a corporation des taverniers et cabaretiers de toute rAngleterre, il se trouvé dans tous les restaurants, hôtels et tavernes, et n’est guère lu que là. Sa forme est vulgaire et souvent violente. Ses diatribes contre là Frariée ]y.i en ont fait souvent interdire l’entrée sous le second Empire..’,

Morntug Ciironlcle, journal politique anglais. V. Curoniclb.,. ■., ,

MorniiiE Heroi’d(THE) [zhi-môr’-nigne^hê-’ râl-de]’, le Messager dit matin, journal’politique anglais, fondé en 1781. Conservateur stationnnirè, défenseur passionné de l’àristO’cratieet de tous ses abus, il est l’organe et’ l’oracle des tories les plus arriérés. En politique extérieure, il est le défenseur de. tous les gouvernements absolus. En religion, il est intolérant, anglican, partisan de l’union’dé : l’Église et de— l’État. Le Morning Herald est rédigé avec talent et lu spécialement par l’aristocratie anglaise.

Morning Pobi (the) [zhi-rrtôr-nigne-pôst], : le Courrier du matin, grand journal politique anglais, fondé à Londres en 1772. Il ne pros-r péra pas entre les mains de Ses premiers fon ;, dateurs. En 1795, il fut acheté quinze cents francs par l’Écossais Daniel Stùàrt, qui entreprit de le relever et s’entoura dé rédacteurs intelligents, libéralement rémunérés. Le journal n’avait alors pour vivre que, les annonces de chevauxet de voitures a vendre, dont il a du reste conservé jusqu’à nos jours le monopole presque exclusif. Stuarten rit une excellente feuille d’informations. Au nombre dé Ses collaborateurs et des hoinmeé qui contribuèrent au succès du Morning Post, nous trouvons d’abord deux Écossais, 1 George Lane et sir James Mackintosh,’le propre gendre de Stuart ; puis des noms célèbres dans la poésie anglaise : Coleridge, Southey, Wordsworth et Charles Lamb. Stuart avait essayé, mais inutilement, d’attacher Robert1 Burus à son journal. Une feuille éphémère, * le World, avait mis U la mode, pendant sa’ courte carrière, ce que les Anglais appellent’ jokes, c’est-à-dire les pointes, les bons mots,’ les facéties’.’Charles Lamb a débuté dans les’ lettres par être l’épigrammatiste en’titré du

MORN ?

'K * t.’%

Morning. Post. Ce journal, à qui Stuart avait. donné une couleur très’-libérale, étàit’arrivé" au’plus haut’degré’de.prospérité, lorsque la cour ;,’à qui cette, feuille portait ^ombrage, en’. fit achbter’sous’mairi presque toutes" lès actiotis et.obligea Stuart’.’à se Refaire dé sa pà’rt’d’é propriété. Depùis^léjoûr’où il’est serti, dëéhi’ains^de Daniel Stùàrt, le Morning Post est toujours deméuré^ fidèle au parti/ tory. Ce journal fut l’organe spécial dé la Sainte-Aliiance, et il est encore l’avocat inflexible de toutes les légitimités déchues :.il est-carliste erî Espagne et migueliste en Portugal ; ’, il, à été’le partisan déclaré, dé l’ai—’ liarice russe,’mêméaux joub’ou fiôrissait, ce’ que l’on,’appela i’entè’ntèpfcordiàlè ;’auèsi^sés adyérsairesjne se fiusàienlp’a^’faute’dei. l’af » ’-/. ipeleV le journal dé là Russie.’11’est assure^. , nïéntle journal de prédilection, 3el’arisiocra ; 1’, ti’e et du, monde élégantV.etH’rè’çéiti’le pré-. rdieV.’cpnridehc’e1 désuètes’bï’dé’s’màriages ; det hUut parafé ; au’s’âi une1 parM’deTespaee résérvé par les1’autres feuilles K )Îl.’ 'ptilliqviè esti-elle.’c.onsaçreè’par’ië’.^f^Biiiff^iïràùï’ . nouvelles du rnonde.’fashionablel aux’.Ôép]acemenls, de la cour et des familles ari’stocra-|( tiques, au compta Véiidu’dçs^’cé’ur’ses’èt’dés chassesj à l’analyse des livres et.’dés recuèu.s’ à : l’adressédii gya.hdinoh.deJLe> Mprmn</Pg$tt prend à tâch^ de demeurer, dansés inéi)leurs termes avec les r’èpréseritants des’pui’ssà^cfes

vrer à^la publicitô ? sans qu’on en. sache l’ori : giné, une.nouveile où, un document. CéScqm— ! municatioris précieuses sont iin des éléments, de la prospérité du Morning P, ost.’’..,.'u.’lAdversaire déclaré des whigs, et par eori-,’ séquent de, lord Palinerston, le Morning Post' s’est’cependant’laissé’corrompre.’dans les derniers temps de l’admiiiistration de’i’émineht homme d’État. Tout d’un coup on apprit ; qué’son’rédacteur en’chef.était nommé à.un,’ poste ^diplomatique important et, à partir de. cette époque,’le Morning Post prit aàsidû-, ment, et avec éejat là défense de la, politique extérieure de Palmérstori ; dont il passa pv.ur

Morniog Star (the) [zhi— môr-nignei-stâr] 'Étoile du matin ; journal’politique anglai3.y forfdé en 1856 par MM.-Bright ; Cobden, E. Nilson et autres,’appelés’les radicaux de Man— :.chéster ; C’est lforçane^des libre-échangistesii dont il soutient énergiquement les doctrines, ainsi qu’en politique extérieure île.principede non-intervention ; iLa paix, universelle et la tolérance religieuse, n’ont’pas d’apôtres’ plus convaincus que les’rédacteurs du Morning Sian-. ■■■.’i j.,… :

MOltNINGTON1, îie de rOceanieJ pn’Méja ;’ riésie, dans’le golfe de Çàrpentà.rie, sur la cote septentrionale de la Nouvelle-Hollande, la plus importante du groupe de Wéllésley, par’16 » 30’de latit. S. etl37’o de longit. E. Longueur, 48 kilom. " / L*.,

MORNITE s. f. (mor-ni-te). lMinér. Syn.

dé LABRA.UORITB., , i’’.


MORNONDEMAVIE interj. (mor-non-de-ma-vi — mort nom de ma vie). Juron usité dans l’ancienne comédie.


MORNY (Charles-Auguste-Louis-Joseph, comte, puis duc DE), homme politique, né à Paris le 23 octobre 1811, mort dans la même ville le 10 mars 1865. Telles sont les bigarrures de la société contemporaine, que l’histoire en est réduite à prendre au sérieux, à traiter comme des hommes d’État réels des personnages comme celui-ci, viveur de grande race, ayant constamment sa fortune à rétablir, comme ceux que César groupait autour de lui, pour qui la politique n’a jamais été qu’une aventure fructueuse, dans le genre des razzias africaines, et qui probablement, malgré des liens étroits, avait, au fond, la même indifférence sceptique pour la cause à laquelle il avait attaché sa fortune, que pour toute espèce de principes et de convictions.

On connaît le mot fameux par lequel il s’est caractérisé lui-même. Le soir du 1er décembre 1851, quelques heures avant l’explosion du coup d’État, il assistait à une représentation théâtrale ; Une dame du monde, qui vint le saluer dans sa loge, lui dit, avec cette impertinence spirituelle qui passe pour de la distinction dans la haute société:« Si l’on donne du balai à l’Assemblée nationale, que ferez-vous, monsieur de Morny ? — Je ne sais ce qui arrivera, répondit-il avec la même élégance ; mais, s’il y a un coup de balai, soyez sûre, madame, que je tâcherai de me mettre du côté du manche. »

Toute sa morale, toute sa philosophie, toute sa politique, tous ses principes sont contenus dans cette réponse. En cette circonstance, il avait des raisons particulières, intimes et pour ainsi dire domestiques pour se mettre du côté du manche ; mais ne les eût-il pas eues, il s’y serait mis tout de même ; et tout ce que l’on sait de son caractère, de ses insatiables convoitises et de son tempérament autorise à conjecturer presque à coup sûr que, si le manche en question eût été aux mains d’un parti contraire, il n’eût pas un instant hésité, parce que le côté du manche est assez généralement le côté des dignités, des honneurs, de la puissance et de la fortune.

Fils naturel du général de Flahaut et de la reine Hortense, par conséquent frère utérin de celui qui devait être plus tard Napoléon III, il fut emmené le lendemain de sa naissance à Versailles. Un ancien noble consentit à lui donner son nom et son titre, en le reconnaissant pour son fils, et, quelque temps après, sa grand’mère du côté paternel, Mme de Souza, le prit chez elle. Mme de Souza perdit au jeu les 200, 000 francs que la reine Hortense avait donnés à son fils apocryphe; mais, comme compensation, elle l’éleva dans les traditions galantes de l’ancienne cour. Le jeune de Morny grandit au milieu de cette société, mêlée d’épaves de l’ancien régime et de parvenus de l’Empire, qui dès cette époque commençait à constituer ce qu’on a nommé le grand monde.

Après avoir reçu une éducation plus ou moins complète, il fut introduit par le général Carbonnel dans le monde libéral, ou son esprit souple et ses manières élégantes le firent bien accueillir. Héros de Juillet sans le savoir, il reçut après la révolution de Juillet un brevet d’officier comme combattant des trois journées, passa deux ans à l’École d’état-major et devint, en 1832, sous-lieutenant au 1er régiment de lanciers. Il tint successivement garnison à Fontainebleau et dans quelques autres villes de province. Accoutumé aux plaisirs du monde, il s’ennuyait fort d’une telle vie et il paraît qu’il cherchait des distractions dans la lecture, ce qu’on nous donne naïvement comme extraordinaire et merveilleux pour un jeune homme de cette qualité. Mme de Souza, sa mère adoptive, racontait avec admiration à Sainte-Beuve qu’il lisait des livres de métaphysique et de théologie, parce qu’il voulait, disait-il, couler tout de suite à fond ces questions-là. Ne semble-t-il pas que ces graves problèmes ne fussent pour le jeune et présomptueux officier qu’une affaire d’avant-poste ? Et ne prévoit-on pas déjà l’homme qui, un jour, trouvera aussi simple que naturel de trancher toutes les questions par des coups de main ?

On était alors aux débuts de cette guerre d’Afrique dont les aventures pittoresques et les péripéties entraînaient la jeunesse française. Très-calme et très-froid, glacé de morgue anglaise et de hauteur aristocratique, M. de Morny ne semblait nullement trempé pour cette guerre, qui exigeait l’audace et l’impétuosité du partisan bien plus que la tactique méthodique de l’officier d’école. Néanmoins, l’ambition l’emporta sur le tempérament et les habitudes, et il demanda à partir pour l’Afrique. Il y resta peu de temps et se distingua, dit-on, à Mascara et au siège de Constantine, où il reçut plusieurs balles dans son képi et où il s’efforça de sauver la vie au général Trézel. Il fut, à cette occasion, nommé chevalier de la Légion d’honneur. M. de Morny connut en Afrique la plupart des officiers qu’il devait emprisonner et proscrire au 2 décembre. Il fut officier d’ordonnance du général Oudinot, et un jour que, dans une expédition, il se reposait couché au bord d’une rivière, malade et frissonnant dans son manteau, un officier qu’il ne connaissait pas vint à passer et lui dit:« Monsieur de Morny, vous avez la fièvre ; voulez-vous me permettre de vous offrir une orange ? — Grand merci ! à qui dois-je cette gracieuseté ? — Au capitaine Changarnier. »

Cette fraternité militaire, cette orange offerte dans le désert à un malade brûlé de fièvre et d’épuisement, l’heureux conspirateur de décembre s’en souvint-il le jour où il fit jeter le général dans une cellule de Mazas ?

À l’âge de vingt-sept ans, après deux campagnes, M. de Morny donna sa démission et revint en France (1838). Il redevint l’homme du monde et le viveur que l’on a connu. Un de ses compagnons de plaisir, le comte d’Alton-Shée, pair de France, qui se convertit plus tard aux principes démocratiques et républicains, a tracé dans ses Mémoires un croquis assez piquant de son compagnon de jeunesse et de folles débauches.

« Sans être véritablement beau, dit-il, Morny avait la physionomie fine et bienveillante, de l’élégance, de la distinction ; il était admirablement proportionné, fort adroit à tous les exercices, un de nos meilleurs gentlemen riders. Ami, parfois rival heureux du duc d’Orléans, il avait obtenu près des femmes de nombreux et éclatants succès. Instruit pour un mondain, ayant le goût de la paresse et la faculté du travail, une foi absolue en lui-même, de l’audace, de l’intrépidité, du sang-froid, un jugement sain, de l’esprit, de la gaieté ; plus capable de camaraderie que d’amitié, de protection que de dévouement ; amoureux du plaisir, décidé au luxe ; prodigue et avide ; plus joueur qu’ambitieux ; fidèle à un engagement personnel, mais n’obéissant à aucun principe supérieur de politique ou d’humanité, rien ne gênait la liberté de ses évolutions; il joignait à tout cela certaines qualités princières, la dissimulation, l’indulgence, le mépris des hommes. Il pratiquait la souveraineté du but, non au profit d’une religion, d’un système ou d’une idée, mais dans son propre intérêt. »

À travers la finesse épigrammatique de ce croquis, on voit percer un grand fonds de bienveillance, et nul doute que ce ne soit là un portrait flatté. Malgré ses opinions républicaines, d’Alton-Shée, cela est visible, gardait le souvenir de ses amitiés de jeunesse.