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Brescia ; l’ennemi se sentait menacé de toutes parts, et déjà la ville de Milan envoyait des adresses de félicitation à Victor-Emmanuel et à Napoléon III, qui firent leur entrée le 8 juin dans la capitale de la Lombardie ; où ils furent accueillis par les acclamations d’une foule immense, ivre d’un patriotique enthousiasme. Presque en même temps, le maréchal Baraguey-d’Hilliers gagnait la bataille de Melegnano, et les Piémontais infligeaient un échec meurtrier aux Autrichiens à San-Martino. Une dernière et suprême bataille devait décider du sort de la Lombardie. Elle se livra à Solferino (24 juin), journée célèbre dans laquelle les deux années se heurtèrent brusquement, sans savoir qu’elles marchaient à la rencontre l’une de l’autre (v, Solferino). On sait quel fut le résultat de cette bataille, gagnée par Napoléon III…, aidé de l’armée française. Cette victoire a été spirituellement caractérisée par M. Villemain, à qui un personnage se plaignait ou se félicitait — nous ne savons plus trop au juste — que l’Empire n’eût pas encore réussi à s’attirer la confiance. « Ah ! voyez-vous, dit-il, la confiance, c’est comme la bataille de Solferino : ça se gagne, ça ne se commande pas. »

Après ces échecs successifs, la situation de l’armée autrichienne se trouvait singulièrement compromise, tandis que l’armée alliée, forte de 150,000 hommes, ne demandait qu’à marcher en avant et à compléter ses succès. C’est dans ces circonstances que Napoléon III, par un inexplicable revirement d’idées, eut la pensée d’offrir un armistice à l’empereur d’Autriche, qui se trouvait alors à Vérone. Le 6 juillet, le général Fleury se rendit dans cette ville et remit à François-Joseph la lettre qui contenait la proposition de l’armistice, dont les conditions furent arrêtées le lendemain à Villafranca. La lutte entre les deux armées se trouvait suspendue jusqu’au 15 août ; le 16 à midi, les hostilités devaient recommencer sans avis préalable. Le 11 juillet eut lieu entre Napoléon III et l’empereur d’Autriche cette célèbre entrevue de Villafranca qui devait mettre fin à la guerre. Nous n’entrerons ici dans aucun détail au sujet des résolutions qui furent arrêtées alors et qu’on trouvera suffisamment développées ailleurs. V. Villafranca.

Peu content, sans doute, de la paix boiteuse signée avec l’Autriche, honteux, à n’en pas douter, de cette besogne faite à moitié, Napoléon III, toujours préoccupé de l’idée de gagner l’opinion par quelque grand coup, imagina celui qu’on attendait le moins de son caractère (16 août 1859) : il décréta l’amnistie pour tous les crimes et délits politiques et pour les victimes de la loi de sûreté générale. Certes, des proscrits ont le droit de trouver amer le pain de l’étranger ; le plus beau rêve de tous est certainement le retour dans la patrie. Et cependant, parmi ces hommes qui avaient tant souffert loin de leur pays, il s’en trouva un grand nombre qui firent ce que Barbès avait déjà fait, et repoussèrent avec dédain cette tardive réparation de l’attentat dont ils étaient victimes. Citons parmi ceux-ci : V. Hugo, qui s’engagea dans un si noble langage à rentrer le dernier ; Madier de Montjau ; Charras, qui écrivait à Bonaparte : « Le jour où la liberté, le droit, la justice, ces augustes proscrits, rentreront en France pour vous infliger le plus mérité des châtiments, je rentrerai ; » L. Blanc, V, Schœlcher, Clément Thomas, etc., etc. L’amnistie fut donc un nouveau et sérieux échec. Le gouvernement s’en prépara un autre bien plus cruel et perdit définitivement tout le bénéfice de son intervention en Italie, en s’opposant par tous les moyens aux revendications, d’ailleurs faciles à prévoir, de la monarchie qu’il avait fondée. Une guerre contre l’Italie paraissait pourtant difficile après une guerre en sa faveur.

Du reste, l’attention des gouvernants fut, à cette époque, attirée sur l’extrême Orient. Une violation par la Chine du traité de 1858 attira dans ce pays les armes de la France et de l’Angleterre. Le général Cousin-Montauban, chargé du commandement de l’expédition française, ne rencontra que des ennemis peu disposés à disputer le terrain. Il marcha donc de victoire en victoire et occupa rapidement la capitale de la Chine (5 octobre 1860). Le riche palais d’Été, pillé par nos troupes, gardera longtemps le souvenir du passage des Français (v. Chine). Le général Cousin-Montauban, pour ces exploits, fut créé comte de Palikao, et l’empereur fit même présenter à la Chambre, en sa faveur, un projet de dotation, qui fut fort heureusement rejeté. Cet échec fut très-sensible à la cour des Tuileries ; on peut le considérer comme le premier symptôme de la décadence de l’Empire.

Pendant que nos armes soumettaient la capitale du Céleste-Empire, en France le gouvernement se débattait dans des difficultés toujours croissantes. Les cléricaux, tout-puissants jusque-là, mais que la guerre d’Italie avait fortement indisposés, faisaient des efforts désespérés en faveur du pape, dont l’autorité temporelle se trouvait dès lors condamnée. L’Italie et les libéraux réagissaient en sens contraire, et l’empereur se croyait tenu à donner aux uns et aux autres des assurances contradictoires. Napoléon eut recours à sa méthode de solution ordinaire dans toutes les questions qui surexcitaient l’opinion, les diversions. Sa pensée se porta cette fois vers les questions économiques ; il fit négocier en secret, par M. Michel Chevalier, un traité de commerce avec l’Angleterre, qui était, sinon une application complète des principes du libre échange, du moins un acheminement très-prononcé vers ce système, et quand ce traité eut été signé (23 janvier 1860), il le soumit au vote de la Chambre. Le traité rencontra une assez vive opposition, mais n’en fut pas moins voté par une majorité de 249 voix contre 4.

À peine l’expédition de Chine, qui avait eu pour première cause ou pour premier prétexte une injure faite à des missionnaires, fut-elle terminée, qu’une cause tout à fait semblable motiva l’expédition de Cochinchine, qui nous a valu trois provinces, dont la véritable importance n’est pas encore bien connue, et dont la possession nous a plus d’une fois menacés de graves complications. Enfin un autre motif religieux nous engagea dans une nouvelle guerre.

Des luttes sanglantes ayant éclaté entre les Druses et les Maronites, dans le Liban, la France, qui s’attribue depuis longtemps une sorte de protectorat sur les chrétiens de ces contrées à demi sauvages, intervint dans la querelle. Malgré les embarras croissants qui nous dissuadaient d’une nouvelle expédition lointaine, des troupes françaises, sous le commandement du général d’Hautpoul-Beaufort, débarquèrent à Beyrouth, le 16 août. Des massacres avaient eu lieu à Damas ; sous la pression des Français, les autorités turques envoyèrent à la mort cent cinquante-huit individus de cette ville, accusés de sévices sur les chrétiens, et finirent par mettre en jugement les membres du grand conseil de Damas, accusés de connivence avec les meurtriers. Le gouverneur de Damas, coupable de connivence, fut livré au supplice. Une marche, exécutée sur la montagne, n’aboutit qu’à la capture de quelques prisonniers et à quelques exécutions. Alors commença une longue occupation du pays, inutile pour nos intérêts, dangereuse pour les chrétiens, et qui ne finit qu’à la suite des réclamations de la Turquie, appuyée par l’Angleterre. Une organisation nouvelle du Liban fut décidée dans une conférence européenne (1861), qui ne modifia en rien la situation respective des partis dans le Liban.

Mais de graves complications avaient précédé en Europe cette solution de la question du Liban. La convention de Villafranca avait rencontré des obstacles très-sérieux ; l’Italie échappait définitivement à notre influence. Napoléon avait la prétention de mettre un frein aux entreprises de son ancien allié, le roi de Piémont, ou plutôt des patriotes italiens qu’il avait exaltés par ses promesses et par son secours. L’annexion de Nice et de la Savoie, secrètement convenue, ajouta encore aux difficultés quand il s’agit de la réaliser et jeta en Italie une nouvelle cause de haine contre la France. Le gouvernement italien était fort embarrassé entre les excitations du patriotisme et les remontrances de l’empereur. Garibaldi entreprit seul la conquête de la Sicile. Bientôt les troupes italiennes envahirent les États pontificaux. Naples succomba, Ancône aussi ; il ne restait plus à l’Italie qu’à conquérir Rome et Venise. Dans cette affaire, l’inaction du gouvernement français lui fut reprochée par les cléricaux comme une complicité ; c était lui faire trop d’honneur, et tous les partis lui reprochaient à bon droit son indécision, il perdait évidemment du terrain dans l’opinion ; comment le regagner ? On inventa une nouvelle diversion, celle-ci plus ridicule, par son insuffisance, que toutes celles qui l’avaient précédée : un décret concéda au Corps législatif et au Sénat le droit de répondre par une adresse au discours annuel du trône (24 décembre 1860). Un incident assez intéressant, soulevé par ce décret, eut lieu au Sénat, où le prince Napoléon, au grand scandale de l’assistance, entreprit une longue apologie de tous les actes du gouvernement italien.

Au Corps législatif, la discussion de l’adresse fut vivement menée par les cinq ; les catholiques, de leur côté, firent rage contr un certain passage relatif à l’Italie, mais le vote général de l’adresse ne rencontra que treize opposants.

Pour en avoir fini avec l’année 1861, il ne nous reste plus qu’à signaler un fait peu important en lui-même, mais auquel le gouvernement donna de singulières proportions. Blanqui ayant été poursuivi et condamné pour une prétendue ébauche de complot, le ministre de l’intérieur, M. de Persigny, dans une circulaire où l’odieux le dispute au ridicule, prescrivit aux préfets de rédiger des listes de suspects, de préparer d’avance des mandats d’arrêt contre tous les individus inscrits sur ces listes et de se tenir prêts à les lancer au premier ordre. Ces listes devaient comprendre « tous les hommes dangereux, républicains, orléanistes, légitimistes, par catégories d’opinion. » On annonçait l’envoi de formules qui s’imprimaient à Paris, et l’on devait assigner d’avance, pour chaque suspect, l’endroit où il serait détenu.

Quant à l’expédition du Mexique, qui fut entreprise à la fin de la même année, et que M. Rouher, avec un aplomb rare, osait appeler « la plus grande pensée du règne, » nous avons expliqué ailleurs (v. Maximilien et Mexique) à quelles causes honteuses il faut l’attribuer, et nous avons raconté de quelle façon misérable elle se termina. Disons seulement ici que, si l’Empire avait déjà subi ailleurs plusieurs échecs politiques ou diplomatiques, il subit sur le sol mexicain son premier échec militaire. « La plus grande pensée du règne » fut le vrai commencement de sa décadence.

Une pareille issue à une guerre insensée était d’autant plus fâcheuse pour le gouvernement que le moment des élections générales était arrivé. Les divers partis paraissaient disposés à entrer en lutte avec une ardeur qu’ils n’avaient pas connue depuis longtemps. Le gouvernement se disposa, de son côté, à les combattre par tous les moyens en son pouvoir, et il commença par interdire les réunions électorales. Malgré tous ses efforts, la liste de l’opposition passa tout entière à Paris. Elle comprenait : MM. Havin, A. Thiers, E. Ollivier, Ernest Picard, J. Favre, Ad. Guéroult, A. Darimon, J. Simon, Eug, Pelletan. Le nombre des députés non officiels s’éleva cette fois à 35. Deux des députés de Paris, ayant obtenu une double élection et ayant opté pour les départements, furent remplacés par Carnot et Garnier-Pagès.

Les nouveaux venus apportèrent un grand intérêt aux séances de l’Assemblée. M. Thiers y conquit immédiatement une place très-distinguée par son éloquente revendication des libertés nécessaires, et se montra l’adversaire acharné des traités de commerce. Émile Ollivier étonna l’opposition par son rapport sur la loi des coalitions, et fit dès lors prévoir la défection qui devait affliger le parti auquel on le croyait attaché.

Après la session, l’insurrection de Pologne, où l’on essayait d’entraîner la France, puis la guerre de la Prusse et de l’Autriche contre le Danemark, occupèrent l’esprit public, mais jetèrent le gouvernement français dans de grands embarras. L’intervention était cependant impossible dans les deux cas, et il s’abstint sagement. Dans le procès des treize, qui avait précédé ces deux événements, il n’avait pas montré la même sagesse ; car en poursuivant Garnier-Pagès, Carnot, Dréo, Floquet, Ferry, Gambetta, etc., etc., pour réunion illicite, il donnait à la plupart de ces personnages, alors inconnus, une notoriété qu’il devait regretter bientôt, et fournissait à J. Favre, un de leurs défenseurs, l’occasion de défendre la liberté avec une si merveilleuse éloquence, que Berryer déclara inutile de prendre la parole après lui. Les accusés furent condamnés chacun à 500 francs d’amende.

L’année 1865 vit un court interrègne : Napoléon ayant cru devoir faire une incursion en Algérie, le gouvernement fut remis aux mains de l’impératrice régente. C’est à la même époque que, le prince Napoléon s’étant avisé, le 24 mai, de prononcer à Ajaccio un discours dans lequel il reproduisait quelques paroles prononcées par Napoléon Ier en faveur de la liberté, Napoléon III lui adressa une lettre qui parut au Moniteur, et dans laquelle on lisait :

« Le programme politique que vous placez sous l’égide de l’empereur ne peut servir qu’aux ennemis de mon gouvernement…

« Pour savoir appliquer aux temps actuels les idées de l’empereur, il faut avoir passé par les rudes épreuves de la responsabilité et du pouvoir…

« Mais ce qui est clair aux yeux de tout le monde, c’est que, pour empêcher l’anarchie des esprits, cette ennemie redoutable de la vraie liberté, l’empereur avait établi dans sa famille d’abord, dans son gouvernement ensuite, cette discipline sévère qui n’admettait qu’une volonté et qu’une action ; je ne saurais désormais m’écarter de la même règle de conduite.

« Sur ce, monsieur et cher cousin, je prie Dieu qu’il vous ait en sa sainte garde. »

La session législative de 1865 fut une des plus animées et des plus intéressantes de l’Empire. M. Émile Ollivier profita de la discussion de l’adresse pour annoncer une évolution déjà prévue, et déclara sans trop d’ambages qu’il voterait avec le gouvernement. M. Rouher, alors chef du cabinet, put déjà entrevoir qu’il aurait bientôt un compétiteur. La grande et mémorable discussion sur les affaires du Mexique, où M. J. Favre eut un de ses plus beaux triomphes et M. Rouher une de ses plus misérables défaites, fut un coup dont l’Empire ne pouvait plus se relever. Aucun sénatus-consulte n’y pouvait plus rien, et celui qui fut présenté à l’approbation du Sénat, en juillet 1866, n’était propre à rien sauver du tout. Il avait seulement pour but de mettre la constitution de 1852 au-dessus de toute controverse et de toute discussion publique. Le projet ne rencontra d’opposant que M. de Boissy et fut voté à l’unanimité de 115 voix.

Le Corps législatif commençait décidément à se montrer moins facile que le Sénat. Dès la discussion de l’adresse, l’opposition fit preuve d’une discipline qui diminuait les inconvénients de sa faiblesse numérique ; quelques membres de la majorité ne défendaient plus le gouvernement qu’avec des réserves. Quarante-cinq membres de la droite s’entendirent pour rédiger un amendement à l’adresse, où ils demandaient qu’on fit un pas en avant dans la voie de la liberté. C’était une nouveauté singulière, l’avènement de ce qu’on appela le tiers parti. Cet amendement, défendu par E. Ollivier, réunit 63 voix sur 269 votants.

Cependant la guerre du Danemark, entreprise en commun par la Prusse et l’Autriche, n’avait pas reçu sa solution réelle dans la conférence de Gastein. Une rupture était imminente entre les deux puissances allemandes. Napoléon, qui caressait depuis longtemps l’idée de la frontière du Rhin, n’eût demandé qu’à intervenir ; mais en faveur de qui ? La Prusse n’eût certainement pas voulu se laisser déposséder des provinces rhénanes ; d’autre part, l’Italie était liée avec la Prusse contre l’Autriche, et Napoléon ne pouvait décemment prendre les armes contre l’Italie. De son côté, M. de Bismark avait peut-être fait des promesses qu’il se réservait sans doute de ne pas tenir. L’empereur tomba dans de grandes perplexités et y resta plongé jusqu’à la fin de la guerre. Après Sadowa, il négocia et fit signer la paix entre les belligérants (Prague, 23 août 1866). Cette paix stipulait de larges agrandissements territoriaux pour le vainqueur, et Napoléon s’empressa de lui réclamer des avantages pour la France quand il l’eut mis en mesure de les refuser. L’Autriche cédait la Vénétie à l’empereur des Français, à la condition sous-entendue de la rétrocéder à l’Italie. Ainsi, Napoléon avait ruiné l’Autriche et créé l’Allemagne. L’opinion publique était exaspérée d’un pareil résultat politique ; une révélation inattendue allait mettre le comble au mécontentement général.

M. Fould, appelé au ministère des finances pour y réparer les épouvantables désordres qu’il y avait signalés, faisait connaître, par une sorte de confession publique, que ses remèdes n’avaient pas eu de résultat appréciable et donnait la preuve que son système préconisé avec tant d’éclat ne saurait combler l’abîme ouvert par quatorze ans de gaspillages et d’incurie. En même temps, l’expédition du Mexique aboutissait à la lamentable issue que l’on connaît.

L’année 1867 s’ouvrit par de grands projets de réforme. Dans une lettre du 19 janvier adressée au ministre d’État, l’empereur voulut bien reconnaître que quinze ans d’arbitraire lui paraissaient suffisants et qu’il était temps de revenir à cette légalité dont il était sorti pour rentrer dans le droit. Il déclarait que le sol lui paraissait désormais assez solide pour bâtir l’édifice de la liberté. En conséquence, il portait un décret autorisant les deux Chambres à adresser des interpellations au gouvernement et décidant que les ministres, les présidents et les membres du conseil d’État pourraient être appelés à représenter le gouvernement devant le Sénat et le Corps législatif pour la discussion des lois. Il n’entrevoyait pas d’autre réforme possible, ne sachant pas encore par expérience combien est glissante la voie des réformes, combien il est dangereux de pratiquer la moindre brèche dans la digue du despotisme. La même lettre impériale avait parlé de la nécessité de rendre aux tribunaux la connaissance des délits de presse et de soustraire ainsi les journaux à l’arbitraire gouvernemental. Cette loi fut présentée et votée ; la presse, qui l’attendait avec impatience, n’eut pas lieu de s’en féliciter ; renvoyée devant des tribunaux correctionnels choisis avec soin, elle vit se continuer, sinon redoubler, les sévérités dont elle avait à se plaindre, et l’ère des Delesvaux, magistrats trop fameux, fut ouverte.

Cette année 1867, Paris fut témoin de pompes inouïes et de scandales incroyables. La grande Exposition universelle attira tour à tour dans la capitale tous les souverains de l’Europe. Nous avons appris par expérience ce que valaient les royales embrassades qui furent alors échangées. Nous ne médirons pas des souverains qui furent nos hôtes, mais nous pouvons dire que leur présence n’accrut pas le respect des Parisiens pour les têtes couronnées. L’empereur de Russie faillit périr sous la balle d’un Polonais. La même année, la conduite tortueuse du cabinet des Tuileries dans les négociations concernant la cession du Luxembourg faillit mettre l’Europe en feu. La conférence de Londres, réunie pour régler cette question, décida le démantèlement de la forteresse qui formait le principal objet de la compétition. L’empereur s’engageait ainsi de plus en plus dans la voie qui devait le conduire à Sedan. Il avait d’ailleurs une pleine confiance en sa force, car, dans son discours du 23 janvier aux Chambres, il s’était écrié : « Les ressources militaires de la France sont désormais à la hauteur de nos destinées dans le monde. »

L’esprit public, de plus en plus excité, devenait de plus en plus menaçant. Les ouvriers, longtemps indifférents aux questions politiques et sociales, commençaient à discuter leurs intérêts généraux.

Au commencement de 1868, l’Association internationale des travailleurs avait fait des progrès fort remarquables. Le gouvernement, suivant sa politique équivoque, ne vit d’abord dans cette coalition qu’un moyen de contenir la bourgeoisie en l’effrayant, et commença par la favoriser sous main ; puis, par un de ces retours qui lui étaient familiers, il en eut peur et essaya de la détruire. Le procès qu’il intenta à quelques-uns de ses membres ne servit qu’à en augmenter le nombre

Tout à coup, un nom presque oublié fut répété dans tout Paris et y causa une vive émotion : celui du représentant Baudin, l’une des plus nobles victimes du 2 décembre, rappelé au souvenir de tous par un livre de M. Té-