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l’imitation dans l’art, au juste milieu dans sa doctrine de la vertu. Sa Logique est restés comme un monument incomparable pour la science, non du raisonnement en général, mais du raisonnement déduetif.

Le second âge de la philosophie grecque se termine par un phénomène analogue à celui qui clôt le premier : l’invasion universelle du scepticisme. Après deux efforts aussi gigantesques pour trouver la vérité absolue, après ce grand duel de deux génies qui ne se sont élevés si baut que pour se prouver mutuellement l’impuissance du génie même à déchiffrer l’énigme universelle, on comprend que le découragement ail encore une fois saisi les esprits. De là la force de Pyrrhon et du pyrrhonisme. L’homme ne peut espérer atteindre à la vérité absolument vraie (témoin Platon et Aristote) ; donc abstenons-nous de juger les choses en elles-mêmes et n’admettons que les apparences, les phénomènes, les impressions subjectives ; ainsi nous trouverons le repos et l’ataraxie.

C’est aussi dans le dédain et la crainte de la métaphysique que se rencontrent les deux écoles qui continuent, en les perfectionnant, le cynisme et cyrénaïsme. Epieure place le bnt de la vie dans le bonheur ; mats le bonheur n’est plus pour lui simplement le plaisir physique immédiat, c’est surtout le plaisir moral et par conséquent la vertu.- On sait comment ses disciples modifièrent sa canonique, gardant le bonheur comme but et rejetant la vertu comme moyen.

Au contraire, le stoïcisme, développant les principe* du Cynosarge, fait de la vertu non-seulement un bien, mais le souverain bien, le bien unique. Le stoïcisme grec produit une série de grands hommes, grands par la pensée et plus grands par la vie. Zenon de Cittium, son fondateur, Cléanthe, Chrysippe, qui est le théoricien de la secte, sont des modèles de courage, d’énergie et d’élévation morale. Malheureusement, leurs théories, tirées en partie d’Aristote, en partie du sensualisme, en partie du pythagorisrae ou même de Platon, se présentent dans un désordre et avec une obscurité presque impénétrable. L’idée qui les domine, cest que le bien de tout être consiste à suivre sa nature ; mais dans chaque être il y a un principe recteur qui doit-être la fin, le but, et auquel tous les autres instincts doivent se subordonner. Ce principe dans l’homme, c’est la raison ; pour lui, suivre la nature, c’est donc suivre la raison. Le bien consiste à remplir cette fonction suprême, la vertu. Tout le reste peut être au nombre des objets préférables, mais non des biens. Le stoïcisme et l’epicurisrae, dégagés de plus en plus de leurs éléments métaphysiques trop abstraits, Curent les deux doctrines les plus répandues chez les Romains.

C’est dans le scepticisme proprement dit que le muiide grec rend le dernier soupir. La nouvelle Académie {Arcésilas. Ofirnéade, etc.) tire du pyrrhonisme le probabilisitie empirique, et à l’époque même de l’ère chrétienne le plus grauu philosophe grec est (ËuésiUènie, qui réduit le scepticisme en un système savant et profond, 11 fonde ses • raisons de douter» sur ce qu’il appelle les antilogies ou contradictions de la raison avec elle - même et avec les sens. Ce vaste système fut résumé plus tard par Sextus Empiricus, dans ses hypoiyposes pyrrhaïtiennes.

La philosophie hellénique proprement dite s fini sa caïriere ; elle a légué au monde tout l’ensemble de la philosophie, traité avec une

ÏiroiVmdeur et une étendue de génie qui de ongtemps ne seront égalées. Rome semble d’abord devoir hériter de la science grecque, mais son esprit pratique, ses préoccupations politiques et militaires, son âpreté à régner dans le»monde des faits, ses forces tout entières appliquées aux intérêts matériels ou à la gloire nationale, son dédain pour la tinesse et la subtilité raffinée des i petits Grecs* qu’elle avait domptés, son inaptitude enfin à s’élever aux hautes régions de l’abstraction métaphysique, l’empêchent de cultiver avec originalité la philosophie, du moins dans son ensemble ; elle n’eu recueille avec quelque soin que les parties pratiques et murales, celles qui se peuvent traduire en applications immédiates et utiles. Constatons du motus que, par le progrès naturel de la civilisation, les Romains apportèrent dans la philosophie une supériorité morale incontestable ; ils y introduisirent l’idée du droit, l’idée de la personnalité, de l’activité, et un esprit positif, précis, umoureux du solide, le sens enfin de la réalité et de la vérité pratique. Cicérou, le grand introducteur de la philosophie grecque u Rouie, est un éclectique qui s’attache presque exclusivement eus. conclusions positives des systèmes, sans en comprendre toujours la profonde et l’intime logique. Lucrèce est le pufite inspiré de l’èpieurisme ou plutôt de la physique matérialiste de l’école atomistique. La beauté de son poème est précisément en ce qu’il a d’humain et de pussioniié, duns cette haine ardente des dieux et de la religion, dans cette terreur involontaire et mystérieuse dont il remercie Épicure de l’avoir délivré, ou plutôt dont il veut se délivrer lui-même. Enfin, lu stoïcisme trouve, pour l’honorer et pour honorer l’humanité, toute une suite de grands jurisconsultes, de grands citoyens, n’àmes n’élite qui protestent contre la corruption croissante et qui, de Caton et de Scipion Emilien jusqu’à Thraséas et Agri ML

cola, semhlent en appeler des vices de leur époque à la conscience du genre humain. Sênèque, qui n’est pas dans la vie le plus ferme de tous, est le philosophe, l’orateur et l’écrivain de l’école. Comme tous les philosophes romains, il expose surtout du stoïcisme ce qui lui semble le plus important, la morale, et il y ajoute des expressions admirables de ce sentiment nouveau que Cicéron avait nommé earitas generis humani, qu’on pourrait traduire par philanthropie, "et dont les chrétiens ont fuit la charité, en en altérant l’idée essentiellement humaine. Nommons, pour ne

pas revenir sur le stoïcisme, Eptolète et àlare-Aurèle, deux des plus nobles âmes qui aient vécu. La métaphysique s’éclipse de plus en plus, mais elle est remplacée par un sentiment croissant de la solidarité humaine.

Avec le reste de la civilisation grecque, la philosophie émigré et va renaître transformée à Alexandrie, sous ie nom de néoplatonisme. Un double besoin qui se faisait jour alors dans l’esprit humain peut expliquer l’éclosion de cette grande école : d’une part, en métaphysique, le besoin de concilier les grandes tentatives qui isolément avaient échoué, de combiner les résultats des travaux de Platon, d’Aristote, de leurs devanciers et de leurs successeurs avec ceux qui arrivaient d’autres sources encore inexplorées, l’Inde, la Perse-, l’Égypte et la Judée. De là. un vaste syncrétisme qui, souvent confus, mais souvent fécond, refond, pour ainsi dire, dans une élaboration puissante, toutes les œuvres de la pensée humaine. D’autre part, en morale, des aspirations plus tendres, plus humaines, plus sociales se sont partout manifestées ; on a devant l’esprit un plus pur et plus haut idéal que celui de la sagesse et de la mesure si chère à l’esprit grec ; on a une soif d’infini, un désir d atteindre je ne sais quelle perfection jusqu’alors ignorée, déporter la vertu enfin jusqu’à la sainteté. De lace mysticisme, chose si nouvelle dans la philosophie grecque, qui va s’épanouir dans l’école néoplatonicienne.

Ainmonius Saccas fonde l’école, Plotin fonde la doctrine. Celui-ci substitue evx. anciennes méthodes d’investigation philosophique un procédé tout nouveau, l’extase, aete d’ineffable amour qui nous unifra avec Dieu même, qui nous révèle d’un coup, par un effort simultané de l’intelligence, du sentiment et de la volonté, la vérité, le bien, le beau, l’être. Le grand objet de lu métaphysique des ennéades, c’est de définir le rapport entre Dieu et le monde. Plotin considère d’abord Dieu dans son essence absolue, transcendante, innommable et insondable ; il l’appelle l’Unité, comme les éléates. Ca n’est ni l’être ni le non-être, c’est l’absolu indéterminé ; mais il se détermine d’abord en tant que pensée ou intelligence, et sa première détermination est le rapport du sujet à l’objet établi dans l’esprit ou dans la conscience. C’est là la première hypostase ou le premier degré de dédoublement, d’émanation de l’Être absolu. Une seconde hypostase sera la pensée se réalisant, s’objectivant, Dieu devenant démiurge, la pensée se déterminant par la matière, se limitant dans la création. Telle est la théorie qu’on a nommée la triuité plotinieiwe ; c’est un essai d’explication du monde par l’émanation ou la transformation de l’absolu en relatif, de l’universel en particulier, du parfait en imparfait. Le monde est un devenir, un moiivementqui va de Dieu à Dieu : tout en sort et tout y retourne.

Porphyre, Urée oriental, développe le néoplatonisme dans un sens tout rationaliste, en opposition à Amélius, qui tendait à faire prédominer l’élément mystique, ie merveilleux, la théurgie. Porphyre divise chacune des hypostases de Plotin en une triade ; il obtient ainsi : 1» la triade intelligible et intelligente ; 2° tu triade seulement intelligente ; 3° la triade seulement intelligible. Au-dessus de ces trois triades, il place l’absolu, qu’il appelle l’an delà, l’indéterminé, l’être néant. C’est dans la matière seule qu’il place le principe de l’allante, c’est-à-dire ne la distinction des individus. Sa morale, comme celle de Plotin, donne pour but à la vie humaine l’absorption en Dieu par l’extase. Jamblique suit la marche naturelle de la pensée, qui devait conduire à subdiviser de plus en plus les hypostases ou degrés intermédiaires entre Dieu et le monde, entre

l’un et le multiple. L’abîme à combler est trop grand pour qu on ne soit pas forcé d’y entasser successivement tous les êtres particuliers, de moins en moins imparfaits, qui peuvent servir de transition entre le tim et l’infini. Aussi Jamblique triple-t-il chacune des triades de Porphyre.

Proclus renouvelle la métaphysique néoplatonicienne sur plusieurs points à la fois. Il admet deux voies pour arriver à Dieu : la contemplation de ses œuvres dans le monde ou la contemplation de son essence dans la pensée (extase). Il revient aux trois hypostases de Plotin, mais leur donne d’autres noms ; ce sont : 1» l’an ou l’indéterminé absolu ; 2° l’esprit, intelligence intelligible ; 30 l’âme ou l’intelligence particularisée devenue le principe de la vin individuelle. L’an, qu’il nomme aussi le père, n’est pas pour lut 1 unité vide et abstraite ; il lui attribue la puissance ^créatrice ; seulement, nous ne pouvons remonter, dans nos recherches, au delà de la seconde hypostase, car, dans la première, le monde n existe pas encore : ce n’est qu’avec l’esprit qu’il commence à exister.

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Dans l’âme humaine, au-dessus des facultés ordinaires, s’élèvent l’amour, la pensée pure, l’extase et l’unification avec Dieu. La morale de Proclus penche de plus en plus au mysticisme et fait consister la vertu duns l’habitude prise, à force de méditations et de prières, de s’absorber en Dieu. Après Proclus, l’école disparaît rapidement comme école, mais son esprit se répand partout, pénètre le christianisme lui-même, se mêle avec l’influence de Philon le Juif, ancêtre commun rie toutes les écoles d’Alexandrie, et introduit jusque dans la théologie orthodoxe plusieurs de ses résultats. En résumé, la philosophie alexandrine avait brisé le cadre de l’ancien monde, préparé les voies à une pensée nouvelle et établi le lien entre la société grécoromaine et celle qui allait sortir du christianisme.

Troisième pÉniOBS.-PMlosophie dumoyen âge. Perdant son caractère de science indépendante et maîtresse d’elle-même, pour devenir la servante de la théologie, ta philosophie, au moyen.âge, se restreint de plus en plus et finit par se réduire à la logique, c’est-à-dire à une science purement verbale. Mais, comme toutes les grandes énigmes de la pensée se retrouvent au fond du langage, comme il n’y a pas de problème métaphysique qui ne se traduise par des Questions de logique et même de grammaire, le moyen âge revenait par voie indirecte à toutes ces profondes et

traves études qu’il semblait déserter. Il suffît e savoir déchiffrer sa langue barbare et ses logogriphes souvent puérils pour se trouver, au moment où l’on s’y attend le moins, en face des plus hardies nouveautés des systèmes les plus indépendants. C’est là ce qui peut expliquer le grand nombre de jugements opposés sur le moyen âge et sur sa philosophie. Nulle ou mesquine en apparence, elle semble, au contraire, riche, variée et profonde à ceux qui en ont débrouillé le chaos. Il ne faut cependant pas oublier que, même chez les plus audacieux, l’audace est encore théologique, et nulle part n’apparaissent, avant la Renaissance, de philosophies véritablement et totalement laïques. D’ailleurs, tous les jugements qu’on peut porter sur le moyen âge ont le tort de s’appliquer à plusieurs époques, à plusieurs civilisations très-différentes et dont nous avons à rappeler les principaux caractères distinctifs.

On doit d’abord compter comme une première époque celle qui va des premiers siè«cles du christianisme à Charlemagiie, époque qui comprend les Pères de l’Église, puis le véritable moment de ténèbres universelles qui suit ta disparition du monde romain et la. fondation des empires barbares. Pendant les quatre premiers siècles de notre ère, la philosophie grecque se mêle à l’inspiration chrétienne, et il semble que la raison et la foi vont sunir. Quand l’hérésie eut apparu, mennçaiu de toutes parts la doctrine orthodoxe, l’Église devint d’abord sévère, puis intolérante, plus tard persécutrice, Ce fut l’îinmeuse mouvement du gnosticisme qui éveilla ses premières rigueurs ; rien, en effet, de plus hardi que.cette fusion des idées grecques avec la foi chrétienne. L’envahissement de toutes ces théories panthéistes, les unes franchement accusées, les autres ariirieieu-Senient enveloppées sous des textes bibliques, poussèrent l’Église à condamner d’avance et d’une façon générale toute tentative d’interprétation libre et originale en matière de foi. Cependant, même après la condamnation de tant de gnostiques, c’est-à-dire, au fond, de rationalistes de diverses nuances, la grande école catéehétique d’Alexandrie, avec saint Clément et Origèue, s’efforce de réhabiliter la pensée et d honorer les philosophes grecs. Saint Augustin, longtemps partagé lui-même entre le christianisme philosophique et le christianisme autoritaire, finit par se ranger à la plus stricte orthodoxie et par faire de la foi à l’Église la condition même de toute vraie foi : on sait sa lutte contre le pélagiauisme, qui défendait contre lui une des bases indispensables de la philosophie et de la raison.

La philosophie chrétienne expire avec les P< ?res classiques de l’Église grecque et avec Jean Damascene et le pseudo-Denys l’Aréopagite. Boece, le dernier des philosophes romains, n’est chrétien que par le cœur et le sentiment. Il traite à, sa manière le problème alors ie plus agité, celui de la liberté humaine et de ta toute-puissance divine. Mais c’est surtout par ses traductions.partielles de Platon et d’Aristote que Boece a un rôla immense sur tout le développement de ta pensée au moyen âge ; jus, qu au xn« siècle, on ne connaîtra la philosophie grecque que par ses traductions. On sait en particulier qu’une phrase de Yisagoge de Porphyre, qu’il traduisit, contenait la question même dont l’étude allait remplir tant de siècles, celle de la nature et de l’existence des universaux.

Avec Charlemagne, fondateur de l’école du Palais et élevé d’Aleuin, commence la période qu’on appelle proprement scolasliçue. Nous no ferons ici qu’eu rappeler les grandes divisions. Dès le début, là grande querelle, la seule qui préoccupe tous les esprits, c’est celle du uuminalisine et du réalisme.- les idées générales sont-elles de pures abstractions ou faut-il leur attribuer une réalité quelconque en dehors même de l’esprit qui les pense ? Les deux systèmes, qui se fondent sur la théorie de la connaissance, l’un ôtant toute réa*

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lité objective aux universaux, l’autre s’eflorçant de marquer les limites et le caractère de cette réalité, n’ont d’abord pour se combattre que les parties alors connues des écrits d’Aristote, celles qui composaient VOrgaiion. C’est pendant ce premier âge que fleurissent Alcuin, Raban-Maur, un très-hardi penseur qu’on s’étonne de trouver en pleine barbarie} Jean Scot Erigène, Gerbert d’Aurillac, Rémi d’Auxerre et Béranger de Tours, aussi panthéistes l’un que l’autre, avec des tendances diamétralement opposées ; puis Roscelin de Compiégne organiselo nominalisme, que saint Anselme fait condamner. Hihiebert de Lavardin célèbre le réalisme avec une hardiesse de pensée remarquable. Guillaume de Champeaux donne à ce système une expression plus scientifique et affirme qu’en chaque être ce qui compose la substance, c’est I espèce, le caractère individuel n’étant qu’une limitation. Pierre Abailard apporte en ces obscures subtilités uns lumière toute nouvelle ; il est le fondateur du coticeptualisme.’qui n’est, à proprement parler, que le nominalisme restreint et modéré. Gilbert de La Porrée fait encore une fois condamner et persécuter en sa personne le réalisme convaincu d’hérésie ; si bien qu’à la fin du xt° siècle et au commencement du xtie il ne reste debout, sur

les ruines du nominalisme et du réulismetour à tour excommuniés, que l’école mystique de saint Victor, qui met toute la philosopaie dans la foi et toute la fol dans le ’.ennuient.

Mais, à cette époque, les horizuns s’agrandissent par suite d’un événement qui fait connaître à notre Occident barbare encore les œuvres d’une autre civilisation. Les Arabes étaient arrivés, longtemps avant les chrétiens d’Europe, à une culture intellectuelle en grande partie originale, La philosophie, en particulier, s’était développée chez eux sous la forme de commentaires d’Aristote. Les commentateurs arabes, souvent penseurs du premier ordre, avaient mêlé au peripatèlisme des théories néoplatoniciennes et quelques éléments empruntés à des sources plus inconnues encore du monda occidental de cette époque. Sans exposer ici les travaux d’Al-Kendi, d’Al-Parabi, d’Avicenne (Ibn-Sina), d’Algazel (Gaïali), nous pouvons les considérer tous à des degrés divers comme enclins au mysticisme et à l’idéalisme, tout péripatéticiens qu’ils croient être. Après s’être épuisée en Asie, la philosophie arabe prend, un nouvel éclat en Espagne avec Averrboès (Ibn-Roschdjjdisciple d’Avempace (Ibn-Bàdja). C’est le plus célèbre des philosophes arabes. Il veut éviter te dualisme d’Aristote, en admettant l’existence d’intelligences intermédiaires en nombre considérable ; il ne donne, du reste, a l’intelligence humaine qu’un rôle purement passif, percevoir et subir l’intelligence divine. Des théories analogues se trouvent dans le célèbre et obscur Liore des causes, tant cité au moyen âge.

On comprend l’effet que dut produire l’introduction de tant de richesses inattendues dans les écoles du moyen âge ; l’enivrement fut immense au premier moment et fit reparaître tout à coup les entreprises hardies, la confiance téméraire et les intrépides hérésies. Amaury de Bène et David de Dînant donnent le signal et se font excommunier. Alexandre de Haies, sagement réaliste et conciliateur ; Albert le Grand, un des génies les plus vastes de tout le moyen âge, à oui revient, entre autres mérites, l’honneur devoir abordé la question de la personnalité ; enfin saint Thomas d’Aquin, qui résuma plutôt qu’il ne la fonde la doctrine dite thomiste, déjà enseignée par Albert le Grand : ce sont là les principaux représentants de la philosophie que l’Église avoue. La théorie des idéesimages, l’individualité considérée comme créée par Dieu et ne résultant ni de ta l’orme ni de la matière ; le souverain bien identifié avec Dieu et accessible seulement-par le secours de la grâce ; l’ordre de foi, enfin, partout mis au-dessus de l’ordre de raison, voilà les principes les plus saillants du thomisme, qui règne en général dans les écoles dominicaines au xme siècle. Les franciscains s’attachent de préférence à des doctrines plus mystiques, que représente Jean de Kidenza, saint Bonaventure, qui sacrifie Aristote à la grâce, à l’amour et à l’extase. Eu mente temps, Raymond Lulîe essayait de réduire toutes les sciences à un mécanisme artificiel. Enfin, Duns Scot opposait au thomisme une doctrine dont l’originalité, la profondeur et la solidité étonnent ceux qui ont le temps de soulever les voiles pesants qui la couvrent. Défenseur du réalisme platonicien, Duns Scot y ajoute l’affirmation de fa liberté absolue en Dieu et de la volonté libre dans l’homme. Ses disciples, abusant des subtilités et des arguties scolastiques, déconsidèrent le scotisma en le défigurant peut-être.

Il ne faut pas oublier, du reste, que, au plus t’oit des discussions et des puérilités syl-Jogisdques du moyen âge, il’s’était trouvé

quelques esprits qui, dépassant leur temps, blâmaient cette munie pédantesque ; Citons seulement le moine Roger Bacon, digne précurseur de son illustre homonyme. Le dégoût de toute cette fausse science de, v : iit de plus en plus général, et, vers le milieu du xive siècle, Guillaume Occaiu, plaçant le début au-dessus des points de vue étroits du scolisme et du thomisme, posait pour la première fois ce grand principe, qu’il n’y & dans l’intelligence humaine que des idées, et non des êtres