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gouvernement impérial et aux régimes qui succédèrent, un intérêt facile à comprendre leur a imposé silence ; il est même permis de conjecturer que leur pusillanimité leur a fait détruire des pièces accusatrices, alors qu’ils occupaient de hautes fonctions publiques. Comme ses prédécesseurs, M. Louis Blanc avait sous la main les actes officiels, les mémoires des contemporains, les procès-verbaux souvent mensongers et les rapports tronqués du Moniteur, les impressions et les jugements recueillis par les autres journaux, les souvenirs des acteurs survivants du drame révolutionnaire, la tradition confuse des légendes populaires, et de plus les archives de la diplomatie britannique. Cette richesse de matériaux se serait réduite à un simple mérite d’érudition, si l’écrivain n’eût eu sur ses devanciers la supériorité de la méthode, surtout celle du style. Narrer, peindre et juger, telle apparaît la constante préoccupation de M. Louis Blanc ; il a employé et associé les meilleurs procédés de l’école historique moderne. Les origines, les causes, les vicissitudes des événements ; les épisodes et les scènes de la lutte ; les mœurs de l’époque et les décors du théâtre ; le portrait des personnages ; le tableau du temps et l’image des hommes ; enfin la peinture animée, sobre, éloquente, magistrale d’une période qui ouvre l’ère du droit et de la liberté, se retrouvent dans le livre de M. Louis Blanc. La diction, vraiment digne de la Muse sévère de l’histoire, cadre à ravir avec la grandeur et l’austérité du sujet. Aucun historien n’a encore raconté en si beau style les fastes de la Révolution française. Assurément, il a dû commettre des erreurs d’appréciation ou de fait : il est impossible au talent le plus consciencieux de ne pas payer son tribut à la faiblesse humaine ; la fatalité veut même qu’il ne puisse combler certaines lacunes. Mais personne ne peut révoquer en doute son impartialité, affirmée en tant de pages où les ennemis du droit populaire auraient pu surprendre les défaillances d’un burin moins ferme que le sien devant l’image auguste de la vérité. Dès le début, M. Louis Blanc avait distingué deux Révolutions : l’une portant l’empreinte de Voltaire, l’autre issue de Rousseau ; la première triompha, la seconde fut vaincue.


Révolution française (HISTOIRE DE LA), par Michelet (1850,7 vol. in-8o). Montesquieu disait de Voltaire : « Il a trop d’esprit pour m’entendre ; tous les livres qu’il lit, il les fait ; après quoi il approuve ou critique ce qu’il a fait. » On pourrait appliquer cette spirituelle boutade à Michelet avec une légère variante : « Tous les événements qu’il raconte, il les recommence, puis il juge ensuite ce qu’il vient d’imaginer. » L'Histoire de la Révolution française justifie surtout cette assertion. L’auteur a compris toute la richesse du sujet qu’il avait à traiter et il en a retracé les principaux épisodes avec un incontestable talent. Il a rendu avec une verve entraînante l’élan généreux qui à cette époque emporta la France entière vers la liberté ; mais, dans son ardeur de tout saisir, de tout embrasser, il arrive à perdre de vue les idées générales qui dominaient alors, à leur insu, les esprits en apparence les plus indépendants, les caractères les plus spontanés. Sa pensée se divise, s’émiette, s’éparpille à l’infini ; en agrandissant le rôle des masses, il amoindrit tellement le rôle des acteurs principaux, qui ont souvent obéi à la foule, mais qui plus souvent encore lui ont commandé, que l’attention ne sait plus où se fixer. Le désir de rendre à la multitude l’importance qui lui appartient l’entraîne parfois à d’étranges injustices ; il se plaît à transformer les acteurs en instruments, comme si une idée, pour être généreuse, une résolution, pour être héroïque, devait nécessairement venir de la foule et perdait sa grandeur en prenant le nom d’un homme. Le but que s’est proposé Michelet ne saurait être douteux : il a voulu dépouiller de leur éclat, de leur prestige, les grandes figures que nous sommes habitués à regarder comme ayant dominé la multitude ; il a voulu mettre dans la rue, dans la rue seule, toute la puissance qui était dans la tribune. Le peuple, suivant lui, a droit à une réparation ; il a été dépouillé de sa part légitime d’action par les historiens de la Révolution française ; il est temps de lui rendre ce qu’ils lui ont ravi. Et, pour accomplir cette réparation, il fait de la tribune la très-humble servante de la foule.

Il est difficile de suivre Michelet dans son récit. Les anecdotes se multiplient, les détails se pressent à chaque page, mais l’histoire proprement dite, l’analyse des idées soumises à la discussion, le tableau des passions qui ont entravé le développement de ces idées, la nature et la portée des principes demeurés victorieux sont presque toujours oubliés. En revanche, on remarque de brillants morceaux, tels que les portraits de Vergniaud, de Marat, de Mme Roland, de Condorcet, de Danton, etc. Même dans ces portraits, Michelet veut émouvoir avant tout et à tout prix. Aussi cherche-t-il plutôt les effets que les faits, et oublie-t-il trop souvent le précepte de Quintilien : « On écrit l’histoire pour raconter, et non pour prouver. » Il néglige le récit pour [’argumentation ou le pamphlet. Il ne se contente pas d’indiquer dans le passé les événements qui contiennent une leçon pour le présent, il ne se borne pas à signaler les termes de comparaison ; là où il devrait ne chercher qu’un enseignement salutaire, il cherche une arme contre les opinions qui le blessent, contre les principes qu’il veut combattre. Un tel procédé n’est guère compatible avec le caractère de l’histoire. Le récit du passé, écrit d’une main sévère, tracé avec impartialité, peut fournir des armes à tous les partis ; mais ce n’est pas à l’historien qu’il appartient de transformer en arsenal le souvenir des générations évanouies. Cette méthode peut séduire les esprits passionnés pour qui la lutte a plus de prix que la science, mais elle n’est pas conforme au génie de l’histoire. L’œuvre de Michelet, pénétrée de convictions généreuses, excitera chez les esprits mêlés aux luttes politiques de vives sympathies et peut-être aussi des haines non moins vives.


Révolution française (ESSAI SUR LA), par M. Lanfrey (1858, in-8o). Ce livre, qui est un ouvrage capital malgré sa médiocre étendue, est plutôt un essai sur la philosophie de la Révolution française que l’histoire de la Révolution elle-même. L’auteur n’embrasse que les grandes lignes, n’expose que les phases principales, cherchant à déterminer nettement les origines, les causes, les caractères et la portée de cet événement sans précédent dans les annales du monde ; en même temps il apprécie le rôle des assemblées, des partis et des principaux personnages qui ont figure dans ce drame. Selon M. Lanfrey, la Révolution française est l’aboutissement suprême et logique des luttes dont le récit est l’histoire même de la France, c’est-à-dire des luttes du tiers état contre les classes privilégiées ; pour la comprendre, il faut donc connaître la Renaissance et la Réforme, qui en furent, pour ainsi dire, le berceau. M. Lanfrey dit excellemment ; « La liberté religieuse sortit des tentatives de la Réforme, quelquefois à son insu, quelquefois malgré elle, mais elle en sortit invinciblement. Il en fut de même de la liberté politique. Il ne dépend pas de la cause d’arrêter l’effet. La Réforme a apporté au monde la notion du droit individuel, idée qui devait s’épurer, s’agrandir, mais qui lui appartient bien en propre, car elle ne la trouva ni dans l’antiquité ni dans le christianisme. Les traditions de la Réforme et celles de la Renaissance, tel est le fonds commun où XVIIIe siècle vint puiser ses éléments de reconstruction en les combinant avec les ressources qu’il trouva dans son propre génie. » M. Lanfrey apprécie successivement l’état des théories politiques et sociales au XVIIIe siècle : l’influence de Voltaire, de Montesquieu et de Rousseau sur le mouvement des esprits de cette époque ; l’état de l’opinion et des institutions en France à la veille de 1789 ; le rôle de l’Assemblée constituante, le génie et le rôle de Mirabeau ; la déclaration des droits de l’homme, les principes de 1789, les causes qui compromirent l’œuvre de l’Assemblée constituante, la chute de la royauté, l’idéal politique des girondins, le rôle de la Montagne, celui de Robespierre, celui de Danton, enfin le triomphe de la démocratie absolue sur la liberté. Un des grands mérites de M. Lanfrey, c’est un désir sincère de faire connaître la vérité et un constant effort pour rester impartial. Répudiant les petites passions des partis, il s’élève à la hauteur nécessaire pour juger sainement les hommes et les choses et il ne s’écarte jamais de cette modération de critique si précieuse et si rare chez un historien. Cet attachement aux idées de vérité et de justice conduit logiquement M. Lanfrey à un libéralisme large et éclairé. Il flétrit éloquemment l’ordre politique avant 1789. Il montre le clergé donnant le spectacle scandaleux de l’intolérance religieuse et entretenant par ses habitudes factieuses et turbulentes l’agitation dans le pays. Quant à ses vertus, à sa bienfaisance, à ses lumières, il est difficile, d’après l’auteur, de prendre au sérieux les éloges que leur ont décernés des esprits prévenus. Il suffit de rappeler les noms trop fameux de Dubois, de Tressan, de Tencin, de Bissy, de Laffiteau, des deux cardinaux de Rohan, de Maury, de Loménie, de Talleyrand et de tant d’autres ou équivoques ou déshonorés. Convaincu d’erreur et de mauvaise foi comme doctrine, d’impuissance et d’anarchie comme institution, de corruption comme ordre, voilà le conducteur des âmes, voilà le clergé devant la Révolution. Passant du clergé à la noblesse, l’historien la montre dégénérée, exclusive, jalouse, se faisant remarquer par des privilèges iniques, révoltants, des mœurs dépravées, des habitudes insolentes. En outre, elle pèche par un vice qu’on n’a jamais pardonné à une classe privilégiée : elle est inutile. M. Lanfrey ne déguise pas son admiration pour les philosophes préparateurs et précurseurs de la Révolution française, qu’il salue comme la grande ère des temps modernes. Il voit avec raison dans la Déclaration des droits de l’homme, qu’il appelle l’Évangile de la Révolution, l’expression la plus haute des principes que la philosophie moderne a fait ou fera tôt ou tard prévaloir dans la politique des peuples civilisés. Selon sa précieuse remarque, son nom seul indique une idée tout à fait inconnue à l’antiquité et au moyen âge, qui ne s’élevèrent jamais au-dessus d’une conception étroite et confuse des droits. Il est le partisan sincère des principes de 1789 qui, dit-il, consacrent non-seulement la liberté, mais encore l’égalité. À ses yeux, l’époque la plus glorieuse de la Révolution est celle de la Constituante et de la Législative. La constitution qui a ses préférences est celle de 1791 ; quant à celle de 1793, il la condamne au nom même de la Révolution, comme il condamne généralement les hommes et les actes de la Montagne. Ce ne sont pas, pense-t-il, les vrais représentants de l’idée révolutionnaire. « Jusqu’à eux, d’après lui, la Révolution s’est montrée éprise de liberté : ils organisent le pouvoir le plus absolu qu’on ait jamais vu à l’œuvre ; elle s’est constamment préoccupée d’assurer et de garantir les droits individuels : ils les effacent de leur constitution ; elle a décentralisé : ils ne parlent que d’unité et serrent jusqu’à les briser les ressorts d’une centralisation de fer ; elle a proclamé l’égalité des droits : ils jettent aux masses l’appât grossier de l’égalité des conditions ; elle a décrété l’inviolabilité du domicile et de la vie privée : ils la livrent à la merci des plus vils agents. Sous prétexte de mettre la vertu à l’ordre du jour et de faire respecter la morale puritaine, ils érigent la délation en devoir, ils tuent la liberté de la presse, ils rétablissent par deux fois le principe des religions d’État ; enfin, ils poussent si loin la pratique des maximes contre-révolutionnaires, que de nos jours ils ont pu être revendiqués par toute une nombreuse école, et sans trop d’invraisemblance, comme les continuateurs de la tradition catholique et des démocrates de la Ligue. » M. Lanfrey considère Robespierre et Saint-Just comme des fanatiques terriblement épris des théories du Contrat social et des ouvrages de Mably ; il définit Robespierre le Contrat social fait homme ; ce livre s’empara de lui, il n’y ajouta et n’y retrancha rien. Pas un de ses actes qui ne puisse s’y rapporter. Malheureusement, il semble prendre plaisir à en rétrécir les maximes par une interprétation étroite et mesquine. Tel fut, d’après M. Lanfrey, Robespierre comme penseur ; comme homme, c’est l’instinct populaire qui, par une sorte de divination, lui donna son nom lorsque, après le 10 août et à l’unanimité des suffrages, il le proclama accusateur public. Ce cri de l’opinion est écrit en lettres de feu sur son front inquiet et dur. Sa vie est une accusation perpétuelle. « Du sommet de la Montagne, je donnerai le signal au peuple et je lui dirai : Frappe ! » Voilà son rôle défini par lui-même. Quant à Saint-Just, c’était, suivant M. Lanfrey, une intelligence forte, car on doit lui tenir grand compte de ses vingt-six ans, mais pleine de lacunes immenses et absolument dépourvue d’étendue, une âme rare et singulière plutôt que grande. Ces deux portraits ne sont pas flattés. M. Lanfrey a plus de sympathie pour Danton. Dans son opinion, Danton était indulgent, non comme ceux qui ont beaucoup à se faire pardonner, mais comme ceux qui comprennent beaucoup. Son esprit clairvoyant et maître de lui-même, uni à des passions désordonnées, réalisait pleinement l’idéal d’un cavalier parfaitement calmé sur un cheval fougueux. Il voulait la dictature terrible, mais courte, et, un régime régulier une fois établi, c’est la liberté la plus large, les lois les plus humaines, les institutions les plus favorables à l’art, à la science, à l’industrie. Il ne séparait pas la démocratie de la liberté. S’il eût pu faire rétrograder jusqu’à l’antique la France du XVIIIe siècle, il l’eût ramenée à Athènes et non à Sparte. Il regretta amèrement ces fatales journées de Septembre qui avaient mis entre les girondins et lui un fleuve de sang à jamais infranchissable. M. Lanfrey a donné de grands soins à une étude très-savante et neuve à certains égards sur Mirabeau, chez qui il admire le génie de l’homme d’État et celui de l’orateur à un égal degré. Il s’attache particulièrement à laver le nom de ce grand homme des accusations de vénalité qui ont pesé sur lui. Il apprécie également d’une manière remarquable le rôle politique, le talent, les vertus des girondins, dont l’unique tort fut de ne posséder à aucun degré l’esprit d’organisation : « Ce qui manquait à la Gironde, c’était un homme de gouvernement ; c’était un génie pratique d’une supériorité reconnue qui eût imprimé à leurs efforts cette unité, cet ensemble et cette suite, faute desquels toutes leurs qualités rares et éminentes allaient s’engloutir dans le même gouffre ; c’était un Mirabeau. »

Remarquable déjà par l’impartialité, le libéralisme bien entendu et une connaissance approfondie des hommes et des choses, l’Essai de M. Lanfrey l’est encore par la nouveauté des aperçus, qui ont tout l’imprévu du paradoxe et tout le charme de la vérité. Ainsi l’auteur établit que notre histoire, depuis cinquante ans, considérée dans sa marche et son ensemble, est, avec d’inévitables variantes, une reproduction assez effacée, mais fidèle, de ses phases successives depuis 1789 jusqu’à l’Empire. Ce rapport est d’une si frappante réalité, malgré de nombreuses différences de détail, qu’il se retrouve dans l’ordre des faits comme dans celui des idées, et qu’un simple rapprochement chronologique suffit pour l’établir ; telle est la thèse que soutient M. Lanfrey avec un certain succès. Quant au style de l’Essai sur la Révolution française, il est tel que le comportait le sujet, grave, simple, clair, correct, et parfois pénétré de l’émotion éprouvée par l’historien. Somme toute, le livre de M. Lanfrey est un digne hommage à la Révolution française et aux principes de liberté, d’égalité et de progrès qu’elle a proclamés.


Révolution (LA), par Edgar Quinet (1865, 2 vol. in-8o). Cet ouvrage est moins un livre d’histoire qu’une œuvre se rattachant à la philosophie de l’histoire. Ce n’est pas en effet un récit, mais une suite de réflexions et de jugements sur les événements depuis le début de la Révolution française, lors de la convocation des états généraux, jusqu’au lendemain du 18 brumaire. « Le livre de M. Quinet, dit M. Vapereau, est bien celui d’un exilé ; il rappelle les souffrances morales de l’auteur par le ton de tristesse qui y domine ; c’est avec le désenchantement du présent qu’il retourne ses regards vers le passé. Il voit autour de lui la cause de la démocratie libérale abandonnée par les uns, insultée par les autres, trahie par ceux-ci, mal servie par ceux-là ; il voit les événements donner aux idées de cruels démentis, des formules pompeuses dissimuler le vide des choses, des dupes volontaires s’efforcer de duper les autres, celui-ci faisant bon marché du fond tant que l’on conserve la forme, celui-là sacrifiant les idées aux mots. Les fautes du présent ne sont d’ordinaire que la conséquence et l’expiation des fautes du passé. Il faut résolument remonter à celles-ci, ne pas craindre de dévoiler les faiblesses, les erreurs, les malentendus, les trahisons mêmes et en répudier la complicité ; l’héritage de la Révolution ne doit être accepté, malgré notre respect filial, que sous bénéfice d’inventaire. Comme Mme de Staël, comme Monnier, Quinet croit pouvoir montrer les fautes révolutionnaires, tout en restant l’ami de la Révolution. » — « D’autres, dit-il, ont eu à raconter les triomphes qu’ils croyaient définitifs, les enthousiasmes, les droits, les conquêtes politiques et morales. Venu plus tard, je n’ai eu en partage que les revers, les chutes, les défaites, les reniements. C’est cette face des choses surtout que je suis condamné à expliquer. J’ai écrit cet ouvrage en pleine paix, comme du fond de la mort. Le bruit des opinions m’arrive de si loin que j’espère ne pas me passionner pour elles. La solitude m’aidera à l’impartialité, ou, si j’entre dans les partis, ce sera pour chercher comment ils ont concilié leurs principes avec leurs actions. »

C’est à ce point de vue élevé que Quinet se place constamment pour prononcer ses jugements. Après avoir exposé les idées générales et les vœux de la nation exprimés dans les cahiers envoyés en 1789 aux états généraux, il cherche à dégager les causes qui ont fait obstacle à cet admirable mouvement d’émancipation et de liberté et « trouve, dit M. Vapereau, l’explication des échecs de la Révolution dans les faits et les sentiments que les siècles précédents léguaient au XVIIIe siècle. Rien ne préparait la France à l’établissement et au développement régulier des institutions libérales. Tout le passé réservait à l’ordre de choses nouveau des résistances, des luttes, de terribles tempêtes contre lesquelles on irait fatalement chercher un refuge dans une restauration plus ou moins complète de l’ordre ancien. Les Français de la Révolution ont été punis des fautes de leurs pères plus encore que de leurs propres fautes. »

En se plaçant à son double point de vue, c’est-à-dire en proclamant la supériorité de ceux qui ont une croyance et en expliquant les fautes du présent par celles du passé, Edgar Quinet a été entraîné à une certaine indulgence pour des hommes que le parti démocratique a l’habitude de juger avec rigueur, et, d’autre part, il s’est prononcé avec une grande énergie contre la Terreur. « L’idolâtrie ne nous est plus permise, s’écrie-t-il dans un passage qui contient l’esprit de tout son ouvrage. Plus de parti pris, plus de système de sang, plus d’histoire fétiche, César ou Robespierre, plus de peuple-Dieu ! Que nos expériences nous apprennent du moins à rester hommes ! » Quinet s’attache à démontrer que la terreur peut être le ressort d’une aristocratie, d’une monarchie absolue, d’une théocratie ; mais il est contradictoire de prétendre associer la démocratie avec la terreur. Ces deux termes s’excluent mutuellement et infailliblement : ceci tuera cela. La terreur est incompatible avec un mandat qui est de sa nature essentiellement temporaire ; elle suppose un pouvoir irrévocable et irresponsable. « Il y a ceci de fatal dans la terreur, dit-il, que celui qui l’emploie est condamné à l’employer toujours ou à périr sitôt qu’il y renonce. Les terroristes, dit-on, attendaient une heure propice pour se dépouiller de la Terreur. Illusion ! cet instant favorable ne devait jamais arriver. Ils ne pouvaient ni renoncer à leur arme ni en être dépouillés sans périr au même moment. L’heure de clémence qu’ils se promettaient, ils eussent été obligés de l’éloigner toujours, sous la fatalité de leurs propres actions. Quel système que celui qui ne pouvait ni continuer sans user, ni s’interrompre sans détruire ses auteurs ! C’est une des grandes difficultés, d’autres diront infirmités de la liberté, qu’elle est obligée d’être humaine. Elle ne peut se servir de tous les moyens comme les tyrannies, et même les religions. Voilà pourquoi elle est si rare dans le monde ; pourquoi si peu de