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cis, nous n’osions nous abandonner à aucun mouvement. Mme Talma, qui était au nombre des spectateurs, partageant notre inquiétude, se trouva mal à la fin du spectacle. »

Mme Talma, dont il est question ici, n’était plus Julie Carreau ; les deux époux, si vivement épris au commencement de leur union, avaient usé, en 1801, des facilités de la loi du divorce, et Talma avait épousé, l’année suivante (16 juin 1802), Charlotte Vanhove, artiste distinguée de la Comédie-Française.

Jamais artiste n’a joui au même degré que Talma d’une gloire incontestée. Mme de Staël, Ducis, Chénier, tous les écrivains célèbres du commencement de ce siècle ont parlé des rôles qu’il a créés, de la réforme qu’il a introduite dans le costume et dans la diction, de la puissance étonnante de son jeu, de sa voix, de son accent. Quelques-uns de nos contemporains ont pu le voir dans les dernières années de sa vie, toujours aussi puissant, aussi complet. C’était plus qu’un acteur, c’était un grand poète, peut-être le seul vraiment tragique de son temps ; il créait véritablement ses rôles, par l’interprétation qu’il en faisait ; il donnait du relief aux plus plates conceptions de la pâle école dramatique de l’Empire, si vide et si boursouflée ; il illuminait les grandes scènes et les types principaux d’un rayonnement d’exaltation et d’idéal qui manquait complètement à l’œuvre du poëte et que nous y cherchons en vain aujourd’hui.

La page suivante du livre De l’Allemagne marque bien le caractère de ce talent unique, d’une nature toute particulière, réunissant à l’audace, qui fait sortir de la route commune, le tact et le bon goût, qui empêchent l’originalité de dégénérer en bizarrerie. « Il me semble que Talma, dit Mme de Staël, peut être cité comme un modèle de hardiesse et de mesure, de naturel et de dignité. Il possède tous les secrets des arts divers ; ses attitudes rappellent les belles statues de l’antiquité ; son vêtement, sans qu’il y pense, est drapé dans tous ses mouvements comme s’il avait eu le temps de l’arranger dans le plus parfait repos. L’expression de son visage et de son regard doivent être l’étude de tous les peintres. Quelquefois, il arrive les yeux à demi ouverts et tout à coup le sentiment en fait jaillir des rayons de lumière qui semblent éclairer toute la scène. Le son de sa voix ébranle quand il parle, avant que le sens même des paroles qu’il prononce ait excité l’émotion. Lorsque, dans les tragédies, il s’est trouvé par hasard quelques vers descriptifs, il a fait sentir les beautés de ce genre de poésie, comme si Pindare avait récité lui-même ses chants. D’autres ont besoin de temps pour émouvoir et font bien d’en prendre ; mais il y a dans la voix de cet homme je ne sais quelle magie qui, dès les premiers accents, réveille toute la sympathie du cœur. Le charme de la musique, de la peinture, de la sculpture, de la poésie, et par-dessus tout du langage de l’âme, voilà ses moyens pour développer dans celui qui l’écoute toute la puissance des passions généreuses ou terribles... Cet artiste donne autant qu’il est possible à la tragédie française ce qu’à tort ou à raison les Allemands lui reprochent de n’avoir pas, l’originalité et le naturel. Il sait caractériser les mœurs étrangères dans les différents personnages qu’il représente, et nul acteur ne hasarde davantage de grands effets par des moyens simples. Il y a, dans sa manière de déclamer, Shakspeare et Racine artistement combinés. Pourquoi les écrivains dramatiques n’essayeraient-ils pas aussi de réunir dans leurs compositions ce que l’acteur a su si bien amalgamer par son jeu ? »

Un seul homme protestait contre l’admiration enthousiaste que soulevait le jeu de Talma ; c’était Geoffroy. Il avait entrepris dans le Journal des Débats, devenu le Journal de l’Empire, une guerre à outrance contre la philosophie et la littérature du XVIIIe siècle, et c’était surtout Voltaire qu’il voulait atteindre à travers son brillant interprète ; il se mit à harceler Talma d’épigrammes et de calomnies ridicules, dont celui-ci eut le tort de s’irriter, au point de provoquer, au théâtre même et dans la loge du journaliste, une scène violente, qu’il regretta beaucoup. Geoffroy a raconté en ces termes cet incident regrettable, mais qu’il s’était bien justement attiré. « Mercredi dernier, rapporte-t-il dans son numéro du 15 décembre 1809, j’étais dans une petite loge du rez-de-chaussée, lorsque tout à coup la porte s’ouvre ; un homme entre brusquement, l’air furieux, l’œil égaré... « C’est vous que je cherche, » me dit-il en me serrant la main bien plus fort que ne fait un ami, sortez ! » Il s’est fait un grand mouvement dans la salle ; tout le monde s’est levé. Talma a continué à nous battre avec la grosse artillerie des menaces et des injures, jusqu’au moment où les gens sages se sont emparés de sa personne et ont soustrait son délire aux regards des curieux, auxquels il donnait une scène de fureur sur un théâtre qui ne devait pas être le sien... » Ce petit récit, où perce l’embarras de la victime elle-même, est certainement un peu en dehors de la vérité ; l’incident n’en est pas moins fâcheux ; mais l’exaspération de Talma s’explique par ce qu’il y avait d’acrimonieux, de personnel et d’injuste dans la critique du journaliste. L’illustre tragédien fut, au reste, dédommagé amplement de cette unique opposition par la sympathie et l’admiration universelles.

Talma mourut en 1826, honoré de tous et au moment où son talent, loin de décliner, semblait prendre plus d’ampleur et de maturité. Son dernier triomphe fut le rôle de Charles VI, dans la tragédie de Delaville (mars 1826). La physionomie qu’il avait su donner à ce personnage, à peine ébauché, selon les régies de la tragédie classique, par un auteur de troisième ordre, est restée dans la mémoire des contemporains comme l’expression la plus énergique de la dégradation humaine. Un incident pénible marqua sa dernière représentation. Talma, étant allé à Rouen donner quelques représentations, y perdit sa fille, l’enfant qu’il affectionnait le plus. De retour à Paris, il continua de jouer, mais secrètement atteint dans sa fibre la plus sensible ; il était, en outre, affecté d’une maladie d’entrailles qui lui causait depuis plusieurs années de vives souffrances. Comme il jouait ce rôle de Charles VI, dont il n’avait jamais aussi bien rendu l’égarement (26 juin), « il se trouvait, dit un témoin oculaire, Mme Paradol, disposé à un attendrissement extraordinaire. Au moment où, un accès de folie saisissant le malheureux roi, il demande ses enfants, le cœur et la voix de Talma se brisèrent de telle sorte que la raison des spectateurs ne put tenir ferme en présence des égarements de la sienne. Les personnes en scène avec lui (Mme Paradol en était) se trouvèrent incapables de mouvement, de se rappeler quoi que ce fût, de dire un mot. Nous nous regardâmes, nous ne vîmes que des larmes dans nos yeux et, pensant que le public était aussi peu en état de nous entendre que nous l’étions de parler devant lui, nous le saluâmes en silence et nous nous retirâmes de même. » On baissa la toile, et le public sortit tristement, sentant bien qu’il venait d’assister au dernier effort de son grand tragédien. Talma n’expira que le 19 octobre suivant ; toute sa famille était autour de lui ; vers dix heures du matin, sa vue, qui avait toujours été faible, s’obscurcit presque complètement ; à six heures, deux de ses amis, Arnault et Jouy, lui dirent un dernier adieu ; il les reconnut, et d’une voix encore assez forte il prononça ces mots : « Voltaire !... comme Voltaire !... » Peut-être pensait-il aux funérailles du grand philosophe, célébrées sous la Révolution. On lui amena ses deux jeunes filles ; il put leur donner sa main défaillante et articuler un dernier adieu.

Chose qui parait étrange à qui a lu ses démêlés avec le clergé lors de son premier mariage, l’Église voulut le revendiquer à son heure dernière et faire surgir de l’agonie une conversion ou du moins une rétractation. L’archevêque de Paris se présenta, avec tout le faste épiscopal de l’époque, à la porte du moribond. Talma refusa de le recevoir, « Tous ceux qui l’ont approché, dit un de ses biographes, savent combien il s’irritait à la seule pensée de l’espèce de flétrissure dont les conciles, en France seulement, ont frappé la profession dans laquelle il s’était illustré. Banni du sein de l’Église pendant sa vie, il avait formellement déclaré qu’il ne voulait point qu’on l’y présentât après sa mort. Aussi les visites, les instances de l’archevêque n’eurent-elles aucun résultat ; Sa Grandeur ne fut pas même admise au chevet du malade. » Un affront récent avait encore contribué à exaspérer Talma. Ce même prélat, étant allé présider la distribution des prix à l’institution Morin, où le tragédien avait placé ses deux fils, ces jeunes enfants reçurent l’ordre de ne pas paraître à la cérémonie, sous le prétexte de l’infamie de leur père, et ne reçurent qu’après le départ de l’archevêque, et en secret, les récompenses qu’ils avaient méritées. C’était inepte et ridicule. Cet affront détermina Talma à faire élever ses enfants dans la religion réformée.

Ses funérailles eurent lieu le 21 octobre, au milieu d’un immense concours de peuple. Conformément à ses volontés, le cortège se rendit de la maison mortuaire, rue de la Tour-des-Dames, au Père-Lachaise, sans aucun appareil religieux.

Talma, comme acteur tragique, n’avait pas eu de prédécesseur et n’eut pas d’héritier ; son immense talent, qui était tout intime et personnel, qui reposait sur sa propre sensibilité, ne pouvait ni se démontrer ni faire école. Quelques-unes de ses traditions sont restées à la Comédie-Française ; mais le souffle qui animait sa voix, l’ampleur et le naturel de ses gestes, le feu de son regard, qu’il savait rendre à volonté terrible ou tendre, la mobilité de sa physionomie, l’étude qu’il avait faite de sa démarche et du moindre mouvement, tout cela lui appartenait en propre et n’a pu se transmettre. Ses grandes créations sont restées gravées d’une manière ineffaçable dans la mémoire de ceux qui ont pu le voir sur la scène ; ses contemporains ont essayé de nous rendre l’effet terrible qu’il produisait dans Oreste en prononçant le vers fameux :

Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ?

dans Hamlet, lorsqu’il se précipitait aux pieds de l’ombre paternelle et repoussait le poignard destiné à sa mère, et s’écriait :

Grâce ! je suis son fils !

dans Manlius, où, par ces simples mots : « Qu’en dis-tu ? » il faisait frissonner toute la salle. Nous ne donnerons pas la liste entière de ses créations ; voici seulement ses rôles les plus remarquables ; parmi ceux de l’ancien répertoire : Cinna, Néron, Joad, Abner, Oreste, Achille, Œdipe, Hérode, César et Manlius ; parmi ceux qu’il créa dans les pièces nouvelles, Charles IX, dans la tragédie de Chénier (4 nov. 1789) ; Jean, dans Jean sans Peur, de Ducis (28 juin 1791) ; Othello, dans le Maure de Venise, de Ducis (26 nov. 1792) ; Pharan, dans Abufar, de Ducis (12 avril 1795) ; Égisthe, dans Agamemnon, de Lemercier (25 avril 1797) ; Marigny, dans les Templiers, de Raynouard (24 mai 1805) ; Leicester, dans Marie Stuart, de Lebrun (6 mars 1820) ; Charles VI, dans la tragédie du même nom de Delaville (6 mars 1826). Il s’essaya aussi dans la comédie, mais avec peu de succès, son talent brillant surtout dans le sombre et le pathétique ; cependant il créa d’une manière heureuse le Danville de l’École des vieillards, de Casimir Delavigne (6 déc. 1823).

Talma nous a laissé un volume intéressant, concernant les études de toute sa vie ; ses Réflexions sur Lekain et sur l’art théâtral (1825, in-8o), placées en tête des Mémoires de Lekain, sont écrites en très-bon style, remplies d’observations judicieuses, dont tout acteur tragique pourrait faire son profit. Talma a donné dans cet écrit la mesure de l’étendue de ses connaissances dans l’art qu’il a cultivé avec tant de succès.


TALMA (Cécile Vanhove, dame), actrice française. V. Vanhove.


Talma (café), ancien café littéraire, situé à Paris, à l’angle de la rue Neuve-des-Petits-Champs et du passage Choiseul. Il fut longtemps le rendez-vous des hommes de lettres et des artistes à la sortie ou pendant les entr’actes du théâtre de la Renaissance, aujourd’hui disparu (salle Ventadour ou théâtre des Italiens). Alexandre Dumas et Frédéric Soulié laissèrent des souvenirs profonds au théâtre Ventadour. C’est là, dit-on, que le premier conçut l’idée de cette gasconnade célèbre qu’il a depuis résumée en volume et qui a pour titre : le Capitaine Pamphile. Dumas a causé son livre au café Talma avant de l’écrire, et plus d’un chapitre d’une bouffonnerie exhilarante s’est perdu, dit-on, dans le trajet de la causerie à l’écritoire. Méry, Balzac, le bon Antony Béraud, et bien d’autres, emportés depuis par la mort, étaient aussi des habitués du café Talma. Aujourd’hui ce café a quitté jusqu’à son nom et n’est plus qu’une brasserie.


TALMAY, village de la Côte-d’Or, cant. et à 6 kilom. de Pontaillier, sur la rive gauche de la Vingeanne ; 1,089 hab. Ruines d’une ancienne forteresse ; beau château construit en 1762 et entouré d’un parc magnifique.


TALMELIER s. m. (tal-me-lié — du vieux français taler, battre, mêler). Boulanger. || Vieux mot qui s’écrit aussi talmellier, et talemelier : Une fruitière me donnait une prune par-ci, un talmelier me jetait une croûte par-là. (V. Hugo.) Ainsi, bon frère, vous me refusez un sou parisis pour acheter une croûte chez un talmellier ? (V. Hugo.)


TALMELLIER s. m. (tal-mè-lié). V. TALMELIER.


TALMONT, bourg de France, ch.-l. de cant. du département de la Vendée, à 14 kilom. des Sables-d’Olonne, au pied d’une colline, sur la petite rivière de Pairaq ; pop. aggl., 933 hab. — pop. tot., 1,040 hab. Ce bourg est dominé par les ruines d’un très-beau et très-pittoresque château de la Renaissance. Au moyen âge, Talmont était un port de mer. Le soulèvement graduel de la côte a élevé l’ancien port de Talmont à plusieurs mètres au-dessus de la mer.


TALMONT (princes de). V. La Trémoille.


TALMONTIERS, village de France (Oise), cant. du Coudray, arrond. et à 31 kilom. de Beauvais, sur l’Epte ; 530 hab. « Dans l’église, dit M. Gédéon Dubreuil, assez ancienne déjà, les deux sexes sont séparés pour assister aux offices. Toutes les femmes entrent dans l’église par le portail principal et se tiennent dans la nef ; les hommes par une porte latérale et restent dans le chœur et les chapelles adjacentes. » Fabrication de dentelles ; usine à zinc.


TALMOUSE s. f. (tal-mou-ze. — Quelques-uns tirent ce mot du latin tabula, planche, rouleau, parce que c’est avec un rouleau que l’on pétrit la pâte, et de musa, d’où nous avons fait mouse, sorte de bouillie. D’autres prétendent que talmouse, pâtisserie, a la même origine que talmouse, soufflet, et signifie proprement casse-museau ; cette tarte farcie de fromage serait ainsi nommée parce que le nez s’y enfonce bien avant quand on la mange. Talmouse paraît avoir la même origine que talmelier, savoir taler, battre, mêler ; au sens de battre, il a pu donner naissance à un mot qui signifie soufflet, et au sens de mêler on en a tiré tout naturellement talemelier, pétrisseur, boulanger, et talmouse, pâtisserie). Petite pâtisserie qui se prépare en enfermant dans des morceaux de feuilletage une pâte composée de lait, de beurre, de fromage, d’œufs et de farine, ou de la pâte à choux additionnée d’œufs et de frangipane : Le voiturier s’arrêta devant la porte de l’aubergiste qui vend les célèbres talmouses et où tous les voyageurs descendent. (Balz.) Bernerette tira de sa poche une talmouse qu’elle avait prise en passant à Saint-Denis. (A. de Musset.)

— Fig. Soufflet, coup de poing sur la face : Il a reçu là une fière talmouse.

— Encycl. Longtemps, la ville de Saint-Denis a tiré vanité de ses talmouses, pâtisserie indigeste qui ne pouvait plaire qu’à des estomacs grossiers. Au commencement de notre siècle, nul voyageur, nul touriste ne serait passé par Saint-Denis sans s’y approvisionner de talmouses. Voici les différentes manières de préparer ces pâtisseries. Mettez dans une casserole deux verres de lait avec 2 onces de beurre fin ; au premier bouillon, ajoutez 4 ou 5 onces de farine tamisée ; remuez, faites bouillir quelques minutes, changez de casserole. Broyez dans un mortier deux fromages affinés de Neufchâtel, ou 6 onces de bon fromage de Brie, peu salé ; mettez ce fromage dans la pâte avec deux cuillerées de bonne crème fouettée, puis trois ou quatre œufs, de façon à obtenir une pâte mollette. On abaisse ensuite de la pâte fine un peu ferme ; lorsqu’on l’a abaissée aussi mince que possible, on la détaille à l’emporte-pièce, en une trentaine de ronds de 2 pouces de diamètre ; au milieu de chaque rond, placez gros comme une petite pomme d’api de votre préparation. Il faut ensuite relever les bords des ronds, de manière à former une espèce de petit godet à trois cornes, dont vous repliez chaque pointe sur elle-même, afin que cette espèce de pyramide triangulaire ne soit pas pointue. Dorez légèrement le tour et le dessus de vos gâteaux et mettez-les au four chauffé modérément. Lorsqu’ils sont cuits de belle couleur, servez chaud.

Au lieu de fromage de Brie ou de Neufchâtel, on peut employer un petit fromage de Viry du poids de 6 onces ; alors, quand les talmouses sont cuites, on les saupoudre de sucre et l’on obtient un entremets qui se sert chaud.


Talmud. Sous ce nom, les juifs désignent le livre qui contient les doctrines et les préceptes enseignés par leurs docteurs les plus autorisés. Le Talmud comprend les lois traditionnelles des juifs, par opposition aux lois écrites données par Moïse, ou mieux l’interprétation que les rabbins ont faite des lois mosaïques en ce qui touche la doctrine, la politique et les cérémonies. Il y a deux Talmuds.-le Talmud de Jérusalem, émané des écoles de Palestine, et le Talmud de Babylone, qui vient des écoles de Babylone. Les Talmuds sont de vastes compilations dans lesquelles entrent différents recueils. Nous allons exposer, en prenant pour guide un hébraïsant fort distingué, M. Neubauer, comment ils se sont formés et quelles sont les parties dont ils se composent.

Il faut d’abord distinguer deux sortes d’interprétations ou commentaires des textes bibliques : l’Agadah et le Halakha. Le mot Agadah (on dit aussi Haggadah) vient probablement de la racine nagad, dire, réciter. L’Agadah est un commentaire de tel ou tel prophète, de tel ou tel récit biblique ; M. Neubauer en explique très-bien l’origine. « Depuis Esdras, dit-il, la lecture du Pentateuque avait lieu dans les synagogues trois fois par semaine. Il est possible que pendant un certain espace de temps, sans doute très-court, les interprètes aient été d’accord, puisqu’ils sortaient tous de l’école d’Esdras. Mais peut-on dompter à jamais l’imagination des hommes ? Peut-on supposer que d’obscures prophéties dont on faisait également lecture sous le nom de Haphtara, aient été constamment exposées de la même façon dans toutes les synagogues ? Évidemment non. Nous n’avons qu’à consulter les explications de l’Apocalypse de Saint Jean par les Pères de l’Église, ou celles de quelques passages du Coran par les sounnètes, pour nous convaincre que l’accord ne peut longtemps subsister sur de pareils sujets. La fantaisie du methourgoman (on appelait ainsi les interprètes) trouvait un vaste champ dans l’application d’un passage des Prophètes à un événement contemporain. Le pays commençait à s’inquiéter peu à peu : Alexandre chassait les Perses, la dynastie syrienne remplaçait Alexandre ; des querelles intestines dévoraient l’État ; en somme, le temps de calme fut assez court pour les Juifs après le retour de la captivité. Quoi de plus naturel que de voir les chefs des différentes synagogues ou quelques érudits sortis du peuple, s’élever pour consoler les habitants chassés de leur foyer, pour encourager les débris des familles massacrées par l’étranger, et leur faire entrevoir un avenir plus heureux ? Et quels sujets se prêtaient le mieux à cet usage ? Assurément, c’étaient les sujets bibliques, par exemple, Joseph en Égypte, la sortie des Israélites de ce pays, la délivrance par les juges, et d’autres narrations semblables, accommodées aux circonstances de l’époque et assaisonnées de paraboles adressées au peuple illettré de la campagne. Ces sortes d’interprétations sont connues sous le nom de l’Agadah. »

L’Agadah fait le sujet des Midraschim et remplit plus du tiers du Talmud de Babylone. Le Talmud mentionne des traités spécialement agadiques sous le nom de Siphré agadatha (livres de l’Agadah). À cette même classe appartiennent d’autres écrits qu’il cite, un livre d’Adam, le rouleau des dévots (Meguillath hassidim) et d’autres ouvrages