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intelligent et attaché à ses maîtres. Son dévouement devient même une source de bévues. Il advient a la fin qu’il se trouve être fils naturel de Matthieu Bramble. Cette galerie d’originaux se complète par la figure de la femme de chambre, personne naïve et vaniteuse, qui estropie vaillamment l’orthographe, à l’exemple de sa maîtresse.

Cet ouvrage est le plus agréable des romans de Smollett. Les saillies d’un esprit observateur, qui tempère sa causticité par un sentiment d’indulgence, abondent dans le récit. Cependant l’auteur n’a pas montré la même fertilité d’invention> ni la même verve de gaieté que dans les productions de sa jeunesse. Pour égayer et varier son sujet, il a eu recours à des rencontres de voleurs, à des incendies, à des scènes nocturnes, à des reconnaissances inattendues, etc. Il se permet fréquemment des digressions politiques et des allusions satiriques, et, suivant son habitude, il emploie des images rebutantes. Un des plus grands charmes du livre consiste dans la description de certains sites et localités de l’Angleterre. Les détails curieux qu’il donne sur la vie et les usages des montagnards écossais et sur les mœurs patriarcales des clans ont indiqué à Walter Scott l’existence de la riche mine qu’il a explorée. La gaieté humoristique de Smollett n’est pas toujours de bon goût, ses saillies ressemblent parfois a des grimaces. Toutefois, dans ce roman, le style est plus pur et plus soutenu que dans ses autres ouvrages.

Voyage autour de ma chambre, par le comte Xavier du Maistre (1795, in-8°).

C’est à un duel que nous sommes redevables de ce spirituel opuscule ; l’auteur lui-même nous l’apprend : « J’ai mené d’abord, dit-il un jour à un célèbre critique qui l’interrogeait sur sa vocation littéraire, la vie rie garnison consciencieusement, c’est-à-dire sans songer à éorire et assez rarement à lire, et il est probable que, sans le duel dont j’ai parlé au troisième chapitre de mon Voyage autour de ma chambre, vous n’auriez jamais entendu parler de moi. » II avait vingt-sept ans lorsqu’il composa cet ouvrage. Quelques allusions cependant semblent lui assigner une date postérieure ; c’est qu’il le garda quelques années dans son tiroir et y ajouta un chapitre de temps en temps. Dans une visite qu’il fit à son frère à Lausanne en 1795, il lui pprta le manuscrit : « Mon frère, dit-il, était mon parrain et mon protecteur ; il me loua de la nouvelle occupation que je m’étais donnée et garda le brouillon, qu’il mit en ordre après mon départ. J’en reçus bientôt un exemplaire imprimé et j’eus la surprise qu’éprouverait un père en revoyant arlulte un enfant —laissé en nourrice. J’en fus très-satisfait et je commençai aussitôt {’Expédition nocturne, opuscule destiné à faire suite au Voyage autour de ma chambre. Mon frère, à qui je fis part de mon dessein, m’en détourna ; il m’écrivit que je détruirais tout le prix que pouvait avoir cette bluette en la continuant ; il rne parla d’un proverbe espagnol qui dit que toutes les secondes parties sont mauvaises, » et me conseilla de chercher quelque autre sujet. »

En relisant cet agréable Voyage, on apprend à en connaître l’auteur mieux que s’il se confessait à nous directement ; c’est une manière de confession, d’ailleurs sous un air de demi-raillerie. Xavier de Maistre, sous prétexte de voyager chez lui et de’nous servir de cicérone dans cette excursion à domicile, nous t’ait réellement voyager dans l’empire des rêveries et des chimères et, tout en nous exposant les divers sentiments qu’excitent en lui les différents objets de sa chambre, se joue, dans un ingénieux badinage, du public et de lui-même. Ses impressions de voyage ne s’analysent pas ; elles perdraient tout leur charme ; nous ne pouvons qu’indiquer les points de vue les plus jolis et en détacher quelques tableaux. Une douce humeur y domine, rhais moins marquée que dans Sterne, ijue plusieurs chapitres rappellent, toutefois : le dix-neuvième, où l’auteur laisse échapper une larme de repentir pour avoir brusqué son tidéle serviteur Joanaetti, et le vingt-huitième, où tombe une autre larme pour avoir durement reçu le pauvre Jacques, un compatriote malheureux. On surprend les lectures et les goûts du jeune officier dans quelques pastels légers, dans sa passion de peindre et de disserter sur la peinture. Mais on sent, malgré ses raisonnements, que cet art était surtout pour lui un moyen de fixer des traits chéris, un site heureux, toute réminiscence de l’umour et de lapatrie. « La douce malice du voyage, dit Sainte-Beuve, se répand et se suit dans toutes les distractions de u l’autre, » comme il appelle « la bête » (le corps), par opposition à l’âme. » L’observation du moraliste, sans air d’étonnement et de découverte, s’y produit en une foule de traits que la naïveté du tour ne fait qu’aiguiser. « J’ai reconnu clairement que l’âme peut se faire obéir par la bête et que, par un fâcheux retour, celle-ci oblige très-souvent l’âme d’agir contre son gré. Dans les règles, l’une a le pouvoir législatif et l’autre le pouvoir exécutif, mais ces deux pouvoirs se contrarient souvent. Messieurs et Mesdames, soyez fiers de votre intelligence tant qu’il vous plaira ; mais défiez-vousbeaucoup de « l’autre, » surtout quand vous êtes ensemble. J’avnis couché mes pincettes sur la braise pour faire griller

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mon pain, et, quelque temps après, tandis que mon âme voyageait, voilà qu’une souche enflammée roule sur le fo.yer ; ma pauvre bête porta les mains aux pincettes et je me brûlai les doigts. »

Chez Xavier de Maistre, le moraliste est d’autant plus agréable qu’il semble vous prendre en jouant, au monient où l’on s’y attend le moins. Qu’on se rappelle ce portrait de Mme Hauteastel (ch. xv), qui, comme tous les portraits et peut-être biejj, comme tous les modèles, sourit à la fois à chacun de ceux qui regardent et a l’air de nu sourire qu’à un seul : pauvre amant, qui se croit uniquement regardé 1 Et cette rose sèche (ch. xxxv), cherchée, cueillie, autrefois si fraîche, d ; nis la serre un jour de carnaval, avec tant d’émotion offerte à Mme Hauteastel, à l’heure du bal, et qu’elle ne regarde même pas ! Car il est tard, la toilette s’achève ; elle en est aux dernières épingles. « Je tins un second miroir derrière elle pour lui faire mieux juger sa parure, et, sa physionomie se répétant d’un miroir à l’autre, je vis alors une perspective de coquettes, dont aucune ne faisait attention à moi. Enfin, l’avouerai-je ? nous faisions, ma rosé et moi, une fort triste figure. Au moment où la parure commence, l’amant n’est plus qu’un mari, et le bal seul devient l’amant. »

« Les divorces, querelles et raccommodements de l’âme et de « l’autre » fournissent, dit Sainte-Beuve, à l’aimable humoriste une quantité de réflexions philosophiques aussi fines et aussi profondes que le fauteuil psychologique en a jamais pu inspirer dans tout son méthodique appareil aux analyseurs de profession. L’élévation et la sensibilité s’y jo’gnent bientôt et y mêlent un sérieux —attendri. » Qu’on relise le touchant chapitre xxi, sur la mort d’un ami et la certitude de l’immortalité de l’âme. « Depuis longtemps, dit l’auteur, le chapitre que je viens d’écrire se présentait sous ma plume et je l’avais toujours rejeté. Je m’étais promis de ne laisser voir dans ce livre que la face riante de mon âme ; mais ce projet m’a échappé comme tant d’autres. » Chez Xavier de Maistre, en effet, la mélancolie n’est pas en dehors ; elle ne fait que se trahir par moments, mais sa bonhomie cache sa sensibilité et un fonds sérieux et mélancolique. D’ailleurs, ses qualités sont voilées, et à demi dérobées car cette bonhomie modeste ; à peine s’il se livre par quelques mots : « La mort d’un homme sensible qui expire au milieu de ses amis désolés et celle d’un papillon que l’air froid fait périr clans le calice d’une fleur sont deux époques semblables dans le cours de la nature. L’homme n’est qu’un fantôme, une-ombre, une vapeur qui se dissipe dans les airs. — Un lit nous voit naître et nous voit mourir ; c’est le théâtre variable où le genre humain joue tour à tour des drames intéressants, des farces risibles et des tragédies épouvantables. C’eut un berceau garni de rieurs. C’est le trône de l’amour. C’est un sépulcre ! »

Le Voyage autour de ma chambre renferme toutes les notes, depuis la plus aiguë jusqu’à la plus grave. Le style clair, simple, facile, élégant semble couler de source, malgré une certaine dose de malice qui en relève le goût. Cette fantaisie spirituelle à la manière de Sterne, dit M. N.David, repose du génie, trop souvent inaccessible à la moyenne des intelligences. » C’est, en efl’et, comme les Nouvelles genevoises de Topffer, une des plus charmantes récréations que nous connaissions. Xavier de Maistre se trouve un conteur gracieux, délicat et touchant, sans y avoir visé. Il écrit par hasard ; il communique son manuscrit à son frère, lui laisse le soin d’en faire ce qu’il jugera à propos, se soumet d’avance et les yeux fermés à sa décision, à ses censures, et se trouve un beau matin avoir acquis à côté de ce frère une humble gloire tout à fait distincte, qui rejaillit à son tour sur celle même de son frère et semble en atténuer par un coin l’éclatante rigueur en lui communiquant quel que chose de son charme. Le rôle de cadet d’un grand écrivain est toujours embarrassant ; Xavier de Maistre ne s’en est pas préoccupé ; il a tiouvé sa pince par le naïf, le sensible et le charmant.

Nous ne dirons qu’un mot de l’Expédition nocturne autour de ma chambre, suite du Voyage. L’auteur n’est pas inférieur à luimême dans cette nouvelle excursion ; il s’amuse avec la même grâce qu’autrefois de ses propres idées ; il séduit, il entraîne par l’aimable facilité de son esprit, les mouvements affectueux, l’inspiration naturelle et douce ; mais, sans donner tout a fait raison au frère aîné qui voulait dissuader Xavier de Maistre de publier cette suite, nous dirons qu’elle est moins naturelle que le Voyaye, que parfois l’esprit cherche un peu trop à (s’y montrer.

Voyage d’Anténor eu Grèce et en Asie, par Lantier (1798).

Le fameux comte de Saint Germain prétendait vivre depuis deux mille ans ; de cette existence imagi-, naire, Lantier lit un cadre pour décrire les mœurs des différents pays que cet aventurier disait avoir parcourus. La conformité du titre rappelait Anachàrsis, et c’est à la réputation, si justement acquise, de l’ouvrage de Barthélémy, cy&’Antënor dut une partie de sa faveur, comme aussi son discrédit auprès de quelques journalistes rebelles à l’engouement du public. Un cadre heureux, une étude profonde des mœurs et des usages des

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anciens, des détails curieux et peu connus, des portraits pleins de vérité, et surtout un style pur et brillant, avaient assuré le succès d Anacharsis ; dans Anténor, il est plus facile d’indiquer les beautés qui n’existent pas que d’énumérer les fautes que l’on rencontre. Rien n’a la couleur convenable ; les personnages n’ont de grec que le nom ; ils se ressentent du milieu social dans lequel vivait l’auteur : ces héros, au caractère moderne, font les actions et tiennent les discours des Français du xvine siècle ; les mœurs’et les coutumes des différents peuples n’offrent aucune différence ; les choses sérieuses sont livrées au ridicule ; la gaieté manque de naturel et de légèieté ; les tableaux les plus finis sont des ébauches superlicielles. C’est de l’érudition d’amateur, qui voit le monde grec d’une loge de l’Opéra-Comique. Les anachronismes abondent dans ce roman d’imagination : on y trouve pêle-mêle des personnages réels qui ont vécu à plus d’un siècle d’intervalle les uns des autres. En somme, Anténor, avec son esprit, ses connaissances, sa philosophie et son impiété, et Phanor, avec ses aventures scandaleuses et ses plaisanteries, ne conviennent guère qu’aux lecteurs attardés qui font cas des Lettres sur la mythologie par Demoustier et des Lettres sur la physique par Aimé Martin. On a fort justement appelé Anténor l’Anacharsis des boudoirs. Cet ouvrage eut un succès prodigieux ; il s’en est fait plus de vingt éditions, et il a été traduit dans toutes les langues de l’Europe. Ce succès incompréhensible devait tenir à quelque chose : un intérêt dramatique et de plus un style facile, aux grâces aujourd’hui fanées, captivèrent sans doute les gens du monde, les femmes, les lecteurs enfin qui cherchaient une fiction là où les critiques ne voulaient voir qu’une imitation impuissante d’Aiiackarsis, ouvrage à son tour dépassé par les beaux travaux de la L-ritique moderne.

Voyage de vingt-quatre heures (LE), par M. Kératry (Paris, 1860, in-12).

La manière de cet ouvrage rappelle celle du Voyage sentimental de Sterne. Il est du nombre des écrits qu’on ne peut pas analyser, parce que son mérite consiste dans les détails. On y trouve des faits qui éveillent des souvenirs agréables, des traits de morale placés à propos ; quelques autres qui, trop souvent, font oublier le sujet, si sujet il y a. Le Voyage de vingt-quatre heures est moins le récit d’un voyage qu’un résumé d’observations sur une infinité d’objets qu’il eût été difficile de mettre en action. C’est pour cela, sans doute, que l’auteur a divisé son livre en une foule de petits chapitres, dans lesquels il s’abandonne à son imagination. Ce n’est pas une histoire, mais un recueil de scènes, de dialogues, de tableaux plaisants ou touchants, entremêlés de maximes de morale et assaisonnés de beaucoup d’esprit. L’auteur, au milieu de scènes simples et attachantes, se met lui-même en scène avec une bonhomie qui nous charme d’autant plus que chacun de nous à sa place aurait pu éprouver les mêmes sensations. Profond sans y penser, philosophe sans chercher a l’être, il nous intéresse en nous initiant à tous les caprices d’une imagination vagabonde, et cache une douce morale sous l’apparence du récit exact et minutieux de ses sensations. Le style de M. Kératry est ordinairement pur et assez simple.

Voyage de Grèce (LE), poëme, par Pierre Lebrun (1828, in-8°).

Jusqu’alors les poètes qui avaient chanté la Grèce ou pleuré sur elle ne s’étaient inspirés que des souvenirs de l’antiquité et de quelques pages de Chateaubriand et de Byron. Peintres de sujets qu’ils n’avaient pas vus, ils ne trouvaient ni couleurs ni originalité ; ils redisaient des noms glorieux, ils s’épuisaient sur des émotions déjà vieilles, et si, bien rarement, de beaux vers leur échappaient, c’était en quelque sorte par hasard. P. Lebrun résolut de s’inspirer sur les lieux mêmes et de voir les choses qu’il voulait peindre. Jamais il n’avait été encore et jamais depuis il n’a été mieux et plus naturellement inspiré.

Le poëme est divisé en neuf chants : le Thémistocle (nom du navire sur lequel l’auteur s’était embarqué à Marseille), le Péloponèse, l’Attigue, Constantinople, [’Insurrection, l’Insurrection en Morée, les Montagnes, le Départ de la flotte, le Bazar de Smijrne. Ce sont autant de tableaux où le poète se place lui-même en scène, à peu près comme lord Byron dans Ckilde-Harold ; mais il n’y a là aucune idée d’imitation, aucune analogie de sentiments ; c’est uns forme toute naturelle et toute simple, toute nouvelle aussi. Lebrun a voyagé en Grèce, et il se montre voyageant. Les lieux, les hommes, les événements qu’il a eus sous les yeux, il les retrace avec toutes les émotions qu’ils lui ont données.

Voyage de Jeau Putyo à Borne (LE), poëme en patois du canton de Bayeux. (Pluquet, Rouen, 1834).

Ce poëme met.en scène la légende suivante. Le chapitre de Bayeux était obligé, de temps immémorial, d’envoyer tous les ans un chanoine à Rome pour y chanter l’épître de la messe de minuit. Quand vint le tour de maître Jean Putye, chanoine de la prébende de Cambremer, il parut si peu s’occuper de l’obligation qu’il avait à remplir, que, la veille même de Noël, il était encore

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à Bayeux. Tout le chapitre était dans l’angoisse, de peur d’une grosse amende, mais Jean Patye assurait formellement. » ses confrères qu’il serait à Rome en temps utile. En effet, il ouvrit son grimoire, et quelques paroles lui suffiront pour faire venir le diable, diable effroyable,

Qui moult estoit crueux (cruel) et fors,

Et fel (félon) et plus irous (en colère)

Que chiens dervés (enragés), ne leus warous (loups-garous)).

Jean Patye, sans se laisser intimider, lui donna ses ordres. « II faut, lui dit-il, que tu me portes cette nuit à Rome et que tu m’y portes en pensée de femme (en aussi peu de temps qu’une femme en accorde pour l’accomplissement d’un de ses désirs). Attendsmoi sous les orgues, et, au premier coup de neuf heures, je suis sur ton dos. » A l’heure dite, le chanoine grimpe sur sa monture,..et, en un clin d’œil, il plane dans les airs : le voilà au-dessus de la mer. Le tentateur essaye alors un tour de son métier ; il conseille au chanoine de se signer. On comprend qu’au premier signe de croix le churme était rompu ; le diable disparaissait et maître Jean Patye se trouvait précipité dans les flots. Le chanoine lit la sourde oreille. Le diable se mit alors en frais rie poésie et lui adressa, mais en vain, ces vers :

Signa le, signa, temere me langis et angis :

Roma tibi subito motibus ibit amor,

c’est-à-dire, en ne tenant pas compte des solccismes : « Signe-toi, signa-toi ; tu me touches et tu me tourmentes témérairement ; ton désir d’aller à Rome sera vite satisfait. » Ce qu’il y a de vraiment diabolique dans ce distique, c’est que les deux vers qui le composent peuvent se lire à rebours, sans changer de signification ; difficulté inouïe que s’était créée à plaisir l’auteur inconnu de ce conte. Bref, le malin chanoine arrive à Rome, laisse le diable sous le portail de Saint-Jean-deLatran, chante l’épUre de la inesse de minuit et réclame ensuite le titre qui constatait la sujétion imposée à son chapitre pour en vérifier l’authenticité. Mais a peine a-t-il entre les mains l’acte précieux, qu’il le brûle à un cierge, au nez des prélats romains stupéfaits, enfourche à la hâte son infernale mouture et revient à Bayeux. Il avait été quatre heures en route. Le clergé de Bayeux fut, au fond, enchamé du tour ; mais, pour la forme, Jean Patye dut faire amende honorable, pieds nus et corde au cou ; après quoi, Augustin de Trivulee, évêque de Bayeux, lui fit grâce et daigna même le nommer doyen de son chapitre. Ceci se passait en 1537. Les poëtes de Bayeux ont raconté dans leurs œuvres ce fait à jamais mémorable, et on le raconte encore, entre paysan ; dans les.veillées d’hiver.

Etienne Tabourot, dans ses Bigarrures, attribue la même aventure à suint Antide et rapporte également le fameux distique.

Voyage où il vous plaira, par Alfred de Musset et P.-J. Stahl (1836).

Ce petit ouvrage, qui n’a jamais eu la prétention d’être un livre, bien que la pensée qui l’a enfanté fût bonne et d’une excellente philosophie pratique, a eu tellement d’éditions et est si connu de notre génération, que nous voulons le lui remettre en mémoire plutôt que le lui expliquer. Les auteurs ne nous disent pas pourquoi ils partent, où ils vont, « parce que, lorsqu’on voyage, c’est surtout pour courir après l’imprévu et faire, en tout bien tout honneur, les yeux doux au hasard, u Aussi nous laissent-ils le petit bonheur des surprises, le bénéfice des rencontres. Ils nous invitent à les accompagner sans nous permettre autre chose que « la joie du départ et celle du retour, ce double gain de tout voyage, deux joies dont l’une vaut l’autre sans doute, et, entre ces deux joies si légitimes, les bonnes fortunes intermédiaires qui ne peuvent manquer à des voyageurs de bonne volonté. » Ce n’est pas tout ; ils ne veulent pas nous déranger : « Partir et rester, rester et partir, voilà le problème qu’ils entreprennent de résoudre. » Et, pour dernière gracieuseté, ils nous offrent de voyager où il nous plaira.

Pour ce faire, il nous suffira de suivre Franz, comme Franz suit Jacques. Qui Jacques ? qui Franz ? demanderez-vous. Deux intrépides voyageurs, qui ont parcouru le ’ monde en tous les sens. Mais, « à force de changer, comme il arrive à tout voyageur, son cheval borgne contre un cheval aveugle, son or contre de l’argent, et de courir deux lièvres à la fois sans jamais en attraper aucun, ils ont écorné tant soit peu leur patrimoine, » Franz est sur le point de se marier avec Marie, une charmante jeûna fille, et il est si décidé à ne plus se remettre en route qu’il brûle toute sa collection des voyages célèbres en rentrant chez lui. Au milieu de son premier sommeil, il entend, frapper ; c’est Jacques, tout botté, tout éperouné, qui vient le chercher. Et Marie ? Marie, il l’adore, mais, une force invincible l’entraîne à la suite de Jacques. Ils partent, et nous avec eux, chevauchant par monts’et par vaux, recueillant des légehiles et des impressions personnelles, tantôt dans l’eau, pour repêcher un amoureux qui veut noyer ses chagrins dans l’onde amère, tantôt dans le feu qui s’avise de brûler notre hôtel sans uoua avoir prévenus de sauver nos bagages.