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leur concours aux Persans : ils fournirent au scbah les moyens d’accomplir une expédition navale contre l’Ile, objet de sa convoitise, et Ormuz fut attaquée. Les Portugais se défendirent courageusement ; ils ne se rendirent qu’épuisés et affamés. Leur magnifique établissement fut dépouillé de ses richesses ; mais, contrairement à ses calculs, Abbas ne fut après la conquête ni plus riche ni plus puissant, car Ormuz perdit toute son importance en passant sous lu domination persane (1622). Quant aux Anglais, ils durent se repentir de leur sotte complaisance lorsqu’ils virent le schah dénoncer sans délai le traité dont il avait été le promoteur.

Nous ne nous étendrons pas davantage sur les actes militaires de Schah-Abbas Ier, et nous nous occuperons maintenant de son administration et de son caractère. Voici d’abord le portrait qu’a tracé de ce monarque Antoine ds Gouvea : • Au temps que nous arrivâmes en sa cour, il était âgé de trente-deux ans, gai de visage, de petite taille, robuste, peu ou point curieux de ses vêtements, accostable et pitoyable, aimé du peuple, extraordinairement craint et redouté des grands, sobre en son manger, excessif k boire (vice excusable entre les Persiens, puisque personne ne s’en abstient, quelque défense qu’en fasse leur loi), auquel il est tellement accoutumé que, pour quelque excès qu’il fasse, il n’en perd point le jugement. Il est superstitieux en sa secte, et fait tous les jours cinq fois son oraison avec plus de loisir qu’aucun. Il a le jugement très bon, parle peu et hait tellement le mensonge, et est si rigoureux s châtier ceux qu’il surprend en menteries, qu’à plusieurs il a fait couper la langue pour cela. Il est ennemi mortel des voleurs, lesquels il châtie très sévèrement, au moyen de quoi il en a si bien nettoyé son royaume, que je crois qu’il n’y a lieu au monde où les voyageurs marchent avec plus de sûreté. Il est convoiteux de gloire et de renommée, ne se soucie pourtant que de celle qu’il acquiert par les armes. Il n’est point libéral, peut-être à cause que son royaume n’est pas riche et des grands frais qu’il a, été contraint de faire en guerre, ou peut-être pour ce que tous les rois mahométans sont accoutumés à recevoir toujours et ne donner à personne, ce qu’il témoigne bien par la facilité de laquelle il reçoit tout ce qu’on lui présente. Nous ajouterons qu’Abbas 1er était enjoué, spirituel, aimable parfois, mais cruel dans ses vengeances, barbare dans les châtiments qu’il infligeait, soupçonneux à l’excès, capable de tout sacrifier, même sa famille, même ses fils, à l’intérêt du trône. Et pourtant, malgré ses crimes, il fut adoré de ses sujets, qui demeuraient étrangers aux intrigues de la cour et ne jugeaient le souverain que d’après ses actes publics. Or, son administration intérieure dépassa de beaucoup en perfection et en sagesse celle de ses prédécesseurs. Ispahaû, choisie comme capitale, se remplit de merveilles dont les voyageurs Chardin et Tavernier nous ont laissé la description fidèle. Une chaussée fut construite qui traversa le Mazenderan dans toute sa longueur et rendit cette province accessible. Des caravansérails s’élevèrent de tous côtés et de nombreux travaux publics embellirent la Perse ; l’agriculture même reçut les encouragements d’Abbas. Equitable et sévère,

il chassa des administrations et des tribunaux les prévaricateurs et les gens tarés. Très attaché à la religion chiite, Abbas eut, enfin, l’esprit assez large pour laisser aux Arméniens le libre exercice de leur culte, et pou> se montrer bienveillant envers les chrétien) qui vinrent s’établir dans ses États. On lai reproche avec raison d’avoir fait assassiner in de ses fils et crever les yeux aux deux autres.

Il mourut en 1628, dans son palais favori de Ferhabad, à l’Age de soixante-dix ani et après quarante-trois ans de règne.

— Bibliog. Kakascb de Za]onkeroe«y, ./fcf Persicum, trad. par Ch. Schefer (Paris, 1877, in -18) ; Antoine de Gouvea, Belatiot des

?randes guerres et victoires obtenue ! par e roy de Perse Châ-Abbas (Rouen, 1646, in-4<>) ; l’Ambassade de D. Gardas di Silva Figueroa en Perse, trad. de l’espagnol, par M. de Wicquefort (Paris, 1667, in-4<>) ; Pietro délia Valle, Histoire apabgétiçue d’Abbas, roy de Perse, trad. de l’itaien par J. Baudouin (Paris, 1631, in-12) ; Sir John Malcolm, Histoire de la Perse, trad. de l’anglais par M. Benoist (Paris, 1S !1, 4 vol. in-8<», t. II) ; Evelyn Philip Shir.ey, Stemmata Sftirleiania, or the armais of the Skirley family (London, 1841, in-4») ; tes Six voyages de J.-B. Tavernier, éan/er, baron d’Aubonne, qu’il a fait (sic) en Turquie, en Perse et aux Indes (Paris, 1676,3 vol. in-4o).

ABBAS II, schah de Perse, ce la dynastie des Sophis (1642-1666), monta sur le trône k l'âge de dix ans.— Les ministres investis de la régence étaient, au dire des contemporains, pieux, austères, désireux d’acclimater de nouveau à la cour la moralité et la retenue dont les grands s’étaient départis sous le règne du triste Scliah-Sephi, père d’Abbas II, En dépit des prescriptions religieuses, les souverains et leurs favoris, qui auraient dû donner l’exemple des vertus, n’avaient jamais pris la peine, même sous le grand Schah-Abbas, de commander à leurs appétits, à leurs instincts ou à leurs vices :] ivrognerie avait acquis droit de cité dans le palais royal. Dès l’a-


vènement d’Abbas H, les chose»changèrent : on n’arriva plus aux emplois publics sans être foncièrement, ou en appaence, pieux, sobre, rigide, honnête. Les 'onctionnaires prévaricateurs furent révoquéi, les juges recrutés parmi les sujets répités pour leur droiture. Malheureusement, i mesure que le jeune roi grandit, il cherchai plus en plus à s’affranchir d’une tutelle gênante, et il abusa de la liberté morale iont il avait été si longtemps privé. On lui ivait interdit l’usage du vin : il s’adonna i l’ivrognerie, et cela à un tel point que, nrtureUement doux et humain, il en arriva siuvent, sous l’empire de la boisson, k comnettre les actes les plus barbares ; c’est ainsi ju’il convoquait les seigneurs à venir boire-n sa compagnie et qu’il les punissait cruellement, lorsque, après les avoir fait enivrer, il.es voyait prendre la moindre familiarité. Ce déplorables excès, qui le transformaient pr instant en un tyran dégradé et abêti par ivresse, n’étaient pas connus du peuple, qu’aimait son souverain parce qu’il ne le ju/eait que d’après sa vie publique ; et il est ortain que l’administration d’Abbas II futle nature k lui concilier toutes les sympathes. Lorsqu’il fit la conquête de Kandahir, prise autrefois par Abbas 1er, mais reorabée depuis sous la domination mogole, les paysans furent bien étonnés de voir -s ofâciers préposés à la fourniture des viTes payer convenablement ce qu’ils achetaient, ne laisser le soldat manquer de rien et Itur éviter ainsi le pillage, ce fléau jnsépanble de lu guerre. Ce fut la seule expéditioi militaire d Abbas II qui sut entretenir avef la Porte des relations pacifiques et gagmr l’alliance des Uzbeks. Les nations européennes, les princes de l’Inde et de la Tartarii accréditèrent auprès de lui des ambassadeurs. Son règne, en somme, fut heureux poufla Perse. Encouragés par son affabilité, de étrangers s’établirent en grand nombre dans un pays où leur liberté de conscience étai respectée. • C’est à Dieu, disait-il, et n-n à moi de juger la conscience des hommé et je ne me mêlerai jamais de ce qui appartint au tribunal du grand créateur — et seigneir de l’univers, » Enfin, il donna des exemplesle générosité : il renvoya avec des présents à prince de Géorgie, avec lequel il avait toujours été en termes hostiles et qui était p=r hasard devenu son prisonnier. Commeon l’a dit souvent, il ne fut injuste et méchait que dans ses heures d’ivresse ; mais cet ignoble vice ne parait pas de nature à pallierses fautes, puisque la sobriété les lui auraitépargnées. Il mourut tant des suites de ses e : cès que de celles d’une maladie honteuse en 1666, à l'âge de trente-quatre ans. Son mccesseur fut Safi-Mirza.

ABBATI-MARESCOTTI (Paul, comte), poète italsn, né à Modèue en 1812. Lorsqu’il eut terniné ses études au collège des nobles, da>s sa ville natale, il se livra k ses goûts litêraires et s’adonna pendant quelque temps à a poésie lyrique. Plus tard, il composa des tngédies qui furent jouées avec suceès.et dans bsquelles il a fait preuve d’un talent vigoureux. Nous citerons de lui : Galéas Sforza ; Childebért 11 ; Pyrrhus ; Clarisse Visconti (1842) ; Ermenegilde (1848) et laVierge grecque (1850). L’auteur a joint à cette dernière pièce quelques-unes de ses poésies lyriques.

* ABBATUCCI (Charles), général français, le second et le plus célèbre des quatre fils de Jacques-Pierre Abbatueci, né à Zicavo, en Corse, le 15 novembre 1771, mort le 2 décembre 1796. — A l'âge de 15 ans, il entra à i’école militaire de Metz, et en sortit quelques mois après avec le grade de SOUs-lieutenant dans l’artillerie k pied. Nommé capitaine, il passa dans l’artillerie k cheval. Ses actions d’éclat, pendant la campagne de 1792, lui valurent le grade de lieutenant-colonel. Devenu aide de camp du général Pichegru, Abbatueci prit une part glorieuse aux combats du Cateau-Cambrésis, de Landrecies et de Menin (1794). Après la défaite du général Clairfayt à Hooglede, il fut nommé adjudant général, et c’est en cette qualité qu Abbatueci se distingua, par tant de bravoure, au premier passage du Rhin, qu’il y gagna le grade de général de brigade. Ce fut lui qui tira sur les bords du fleuve les premiers coups de canon qui ouvraient la campagne d’Allemagne.

Le Rhin franchi, Abbatueci, qui faisait partie del’avant-garde de l’armée de Rhin-et-Moselle commandée par le général Moreau, ne cessa de combattre heureusement ; sa marche de Rastadt k Augsbourg fut une suite de succès. À Kamlach (13 août 1796), ses troupes se heurtèrent contre une division de l’armée ennemie, composée d’émigrés que commandait le prince de Condé. Un combat terrible s’engagea, au milieu d’une obscurité profonde ; la victoire resta à l’intrépide Abbatueci.

Après cet engagement, le corps qu’il commandait se réunit k l’armée qui avait pénétré en Bavière sous les ordres de Moreau. Au corabatdeFriedberg (24 août) ce fut lui qui, au péril de sa vie, entraîna les bataillons au passage du Lech et mit les Autrichiens eu déroute en leur enlevant leur artillerie.

Le 80 août, Abbatueci chassait de Mosach les avant-postes ennemis établis sur la rive droite de 1 Isar et refoulait les troupes du général Deway jusqu’aux portes de Munich. La route devienne semblait ouverte, lorsque de mauvaises nouvelles arrivèrent de l’armée


de Jourdan. Moreau crut prudent de battre en retraite ; le poste périlleux d’arrièregarde, confié k Abbatueci, lui donna lieu de déployer ; encore sa brillante valeur.

Près de Neubourg, il protégea, par un combat opiniâtre, la retraite de 1 armée française et culbuta les régiments du prince de Condé ; il fut promu général de division pour sa belle conduite.

En rentrant en France par Huningue, Moreau choisit Abbatueci pour se maintenir dans la tête de pont de cette place. Le premier soin de celui-ci fut de réparer cet important ouvrage, construit primitivement d’après les dessins et sous la direction de Vau-Dan, mais qui avait été démantelé après le traité de Bade. Les travaux n’étaient pas encore terminés, lorsque le prince de Furstemberg vint investir la place. Le général autrichien proposa k Abbatueci de rendre la ville avec des conditions honorables : Gagnez-lai, répondit laconiquement le jeune officier français. La tête du pont fut emportée par le prince, après une attaque formidable. Abbatueci se réfugia dans l’ouvrage à cornes, qu’il quitta bientôt pour reprendre l’offensive, chasser les Autrichiens et sauver la place. Il paya ce glorieux succès de sa vie ; blessé mortellement, il expira peu après à Blotzheim, dans sa vingt-sixième année (£ décembre 1796).

Officier de la plus grande espérance, il était aussi recommandable par ses qualités morales que par ses talents militaires. Marceau et lui mouraient k peu près au même âge et à la même époque. Les alliés détruisirent, en 1815, l’humble monument que Moreau avait fait élever k la place où était tombé Abbatueci ; mais une statue, produit d’une souscription nationale, fut élevée au jeune héros, à Ajaccio, en 1854.Cette statue est due k l’habile ci3eau de Vital Dubray.

ABBATUCCI (Charles), homme politique français, neveu du précédent, né k P«ris le 25 mars 1816. — Il est mort à Paris le 29 janvier 1885. Aux élections de 1877, qui suivirent la dissolution de la Chambre, il avait été élu député à Sartène : mais moins heureux aux élections du 21 août 1881, il fut remplacé, comme député, par M. Bartoli, candidat républicain. Il resta jusqu’à la fin de sa vie un bonapartiste.ardent et toujours militant. — Son neveu, M. Jacques Abbatucci, né le 26 décembre 1857, fut porté candidat par les bonapartistes de la Corse aux élections du 4 octobre 1885 étélu député par 26.367 voix au scrutin de ballottage du 14 octobre. Les élections de ce département ayant été invalidées par la Chambre, il ne fat pas réélu député le 14 février 1886.

ABBATUCCI (Antoine-Dominique), général français, né k Zicavo (Corse) en 1818, mort en 1878. Il était fils de J.-P.-Charles Abbatucci, qui fut ministre de la justice sous l’empire. Engagé volontaire au 2° zouaves en 1840, il devint capitaine en 1852, se distingua k Laghouat, klaânde cette même année, puis fit la campagne de Crimée et fut blessé deux fois devant Sébastopol. Lieutenant-colonel en 1856, colonel en 1859, il eut un cheval tué sous lui k Solferino. Promu général de brigade en 1868, il servit, en 1870, à l’armée du Rhin, fut blessé k Beaumont et fait prisonnier k Sedan. De retour en France, il reçut un commandement dans l’armée de Versailles, et devint général de division, le 24 juin 1871. Il était k la tête de la 9« division militaire, k Nancy, lorsqu’il mourut dans cette ville.

ABBÉ***, pseudonyme de l’abbé Michon, auteur du Maudit, de la Religieuse, etc.

Abbé Constantin (l'), par Ludovic Halévy (1882, 1 vol. in-18). Les propriétaires du château de Longueval, près Louvigny, sont morts, et l’immense propriété est en vente. Qui l’achètera ? Grave question, dont la solution importe fort a l’abbé Constantin, curé de la petite ville. Les anciens châtelains étaient les meilleures gens du monde, secourabies aux malheureux, aimables pour le bon pasteur ; quels se montreront les nouveaux acquéreurs ? Rencontre-t-on deux fois d’aussi aimables propriétaires ! C’est in vraisemblable, et le bon curé éprouve de cruelles inquiétudes, non pourlui-même, mais pour ses pauvres, unique objet de ses constantes sollicitudes. Il fait part de ses tourments à son filleul Jean Reynaud, lieutenant d’artillerie en garnison dans la ville voisine, qui vient souvent le voir au presbytère. Justement une mauvaise nouvelle arrive ; Longueval et toutes ses dépendances ont été achetés en bloc par une richissime Américaine, Mme Scott, sur laquelle on raconte les histoires les plus extraordinaires. C’est jouer de malheur I adieu les bonnes relations de la cure et du château, partant adieu les larges aumônes aux malheureux, car qui dit Américaine dit protestante. Et celle-ci, qui pis est, a été saltimbanque, écuyère dans un cirque, que sait-on encore 1 Comme le curé et son filleul vont se mettre k table, un landau superbement attelé s’arrête devant le presbytère, et deux femmes en descendent : c’est MmB Scott et sa sœur Bettina, qui viennent prendre langue et faire connaissance avec le pays. Du premier coup, elles conquièrent l’abbé Constantin, qui, de l’enfer des perplexités, monte jusques au septième ciel : M°>c Scott est Canadienne et catholique, elle


n’a jamais été ni saltimbanque, ni écuyère ; mais elle est immensément riche et elle entend faire le bien autour d’elle dans la plus large mesure possible : «Voici, comme entrée de jeu, deux mille francs pour vos pauvres, monsieur le curé, et vous recevrez régulièrement pour eux cinquante louis par mois. » Si MmB Scott est bonne et séduit l’abbé, sa sœur Bettina est délicieusement jolie et produit la plus vive impression sur le cœur du lieutenant. Ici commence l’idylle du roman, idylle d’un charme discret et pénétrant, faite de scènes d’une adorable simplicité, riche de détails gracieux ou attendrissants. Un instant elle fait mine de tourner au drame. Jean Reynaud, en effet, ne tarde pas k constater qu’il est éperdument amoureux de Bettina, et ila ne peut songer k l’épouser pour deux raisons : d’abord un mariage est impossible aux yeux de l’honnête garçon entre une jeune fille plusieurs fois millionnaire et un officier de fortune, c’estk-dire sans fortune ; de plus, en admettant même que la question d’argent ne rendît pas cette union impossible, il ne peut offrir k Bettina de devenir la femme d’un soldat ; or pour rien au monde il ne renoncerait à sa carrière, car son père, un brave médecin, a été tué par les Allemands k Villersexel, et il a juré de le venger un jour. Jean Reynaud, dont les qualités maitresses sont la droiture et l’honnêteté, n’hésite pas : il demandera son changement, et, en l’attendant, il s’éloignera sans retard. Son mérite est d’autant plus grand, qu’il a reconnu k de certains indices, auxquels le cœur ne se trompe pas, que Bettina partage son amour. Heureusement le douloureux sacrifice n’a pas le temps de s’accomplir : Bettina a pressenti le coup de tête de son ami, et, avec sa crânerie américaine, elle se présente elle-même au presbytère en disant : • Monsieur Jean, voulez-vous être mon mari ? « Répondre non devient difficile, impossible ; Bettina d’ailleurs a réplique k tout, aplanit d’un mot charmant toutes les difficultés : être la femme d’un soldat français ne l’épouvante eu aucune façon, elle préfère de beaucoup son épaulette aux couronnes de marquise, de duchesse, voire de princesse, qu’on lui a offertes jusqu’alors, et qui lui ont toujours paru fort mal portées. Jean Reynaud reste donc lieutenant, mais n’en obtient pas moins de l’avancement quand même, puisqu’il devient le mari d’une femme charmante, k laquelle, en somme, il ne saurait faire un crime de sa richesse ; le moins heureux de tous n’est pas l’abbé Constantin. Ce livre, dès son apparition, a joui d’une vogue immense, nous pouvons dire a été l’objet d’un engouement particulier, qu’il convient d’attribuer k des causes diverses. Sans doute c’est justice de citer en première ligne l’habileté et le rare talent de l’auteur ; mais il faut compter autre chose encore parmi ses éléments de succès. Et d’abord le public, dont le palais est journellement emporté par les épices de la littérature k la mode, se montre toujours d’humeur débonnaire et de grand appétit, quand un écrivain a l’heureuse idée de l’inviter k ce que nous serions tentés d’appeler, pour continuer notre métaphore, un repas de famille ; il se précipite alors avec avidité, sans trop regarder k la qualité des mets qu’on lui offre. Le menu de M. Halévy n’est pas très varié, il faut en convenir : il ne nous sert que des anges accommodés k la sauce vertu. L’abbé Constantin, Jean Reynaud, M. Scott, Mme Scott, Bettina, sont tous dignes du prix Montyon ; il n’est pas jusqu’aux personnages épisodiques qui ne fassent exactement Ta même figure dans cet ensemble étonnant : un bon notaire, la bonne vieille servante Pauline, etc. Il y a bien, dans un coin, un jeune viveur ; mais lui-même ignore jusqu’au nom de la méchanceté. Heureux le pays qui possède une si exceptionnelle réunion de gens parfaits, pays o, ui craint sans doute, et avec raison, 1 invasion des intrus, car il s’obstine k rester soigneusement caché. Il faut dire enfin que ce qui ajoute encore k l’attrait d’un tel régal, c’est le nom même de l’amphitryon qui T’a offert au public ; la surprise a été sans seconde,

Quand on a appris que l’historiographe de la lunille Cardinal était subitement devenu l’émule de Berquin, et chacun s’est empressé de constater de ses yeux un si merveilleux prodige. M. Halévy n’avait cependant aucun besoin de cette métamorphose pour être digue de s’asseoir sous la coupole de l’Institut.

Nous avons signalé ce qui nous a paru le côté faible de la composition du spirituel académicien ; mais il nous semblerait injuste de ne pas terminer en disant que sa pastorale, délicieusement écrite, est une œuvre pleine de grâce et de délicatesse.

Abbé Tigrano (l', par Ferdinand Fabre(1873, 1 vol.). M. Fabre a entrepris d’écrire, à côté de la Comédie humaine, ta Comédie ecclésiastique. Dans ce volume, il nous montre, en l’abbé Ru fin Capdepont, — Tigrane n’est qu’un surnom, dérivé de tigre, — un farouche représentant de l’orgueil sacerdotal qui, chez le prêtre, se complique presque toujours d’ambition.

L’abbé Capdepont était un homme grand, sec et maigre. Il avait cinquante ans environ. Ses yeux étaient profondément enfouis ; son nez, renflé comme celui de Pascal, avait une ampleur monumentale ; sa bouche, aux lèvres minces, sinueuses, était sévère. Une