Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 17, part. 1, A.djvu/179

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fait do grands sacrifices pécuniaires pour repeupler les campagnes ravagées par la guerre, pour établir parmi les Polonais des centres plus ou moins allemands. Dans ce but, ils ont ouvert un asile à tous les persécutés pour cause religieuse : huguenots, sociniens, habitants de Salzbourg, etc. Ces réfugiés furent distribués dans les centres les moins populeux des campagnes de la Prusse orientale. En outre, les agents d’enrôlement dans les pays étrangers ne négligeaient rien pour recruter partout des colons. Ces colons recevaient de l’argent de route, des outils agricoles, des chevaux et du bétail, les premières semailles et une ferme plus ou moins grande. Ils furent de plus affranchis du service militaire pendant plusieurs générations, et formèrent des propriétaires libres parmi des paysans asservis. Sur 40O.000 immigrants environ, qui se sont établis en l’russe au xvn6 et au xvm« siècle, 200.000 au moins étaient des agriculteurs. Sous Frédéric II, de 1740 à 1786, on a distribué parmi les colons de 625 à 750.000 hectares, soit 6.250 à 7.500 kilom. carrés de terrain, et une somme de 75.000 francs. Aujourd’hui, l’empire allemand poursuit cette politique économique qui avait tant contribué au développement de l’agriculture, de l’industrie et du commerce en Prusse. Il veut empêcher les petits propriétaires d’être absorbés par les grands. La loi d’avril 1886 a réglé cette question d’une grande importance pour l’Allemagne. L’émigration vers les États-Unis est une perte considérable pour l’empire allemand ; non seulement elle augmente la force de l’industrie et de l’agriculture dans la grande République fédérative, mais elle crée encore une concurrence sérieuse pour l’Allemagne, où la population de la campagne diminue. En 1884, la Prusse occidentale a perdu 9.821 campagnards ; la Poméranie, 11.390, et la Posnanie, 9.784. Les provinces qui donnent le plus d’émigrants sont celles où domine la

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frande propriété. Pour remédier à cet état e choses, le gouvernement impérial vendit, de 1873 à 1876, les domaines de la couronne par petits lots afin de créer une classe de petits propriétaires. Ce fut sans aucun résultat. Au mois de décembre 1885, les Chambres prussiennes votèrent la somme de 125 millions de marks, soit 156.250.000 francs, pour l’établissement de colons allemands dans deux provinces polonaises. M. Steesow, propriétaire des terres de Steesow, ayant environ 750 hectares, a fait un essai de colonisation intérieure. Il a divisé 720 hectares en petites propriétés de 20 hectares environ ; les ouvriers agricoles reçoivent des lots plus petits. Il a demandé l’autorisation de transformer la terre de Steesow, qui forme une unité locale, une commune seigneuriale, en commune rurale. Les lots de 20 hectares, avec du bois, ont été évalués à 11.250 francs. Il choisit lui-même l’acquéreur qui doit payer le quart comptant ; les trois autres quarts restent hypothéqués, et il se réserve le droit de se faire rembourser un second quart au bout de dix années. Il s’agirait, dès maintenant, de réduire peu à peu la grande propriété à un maximum de 40 pour 100, ce qui donnerait pour les provinces prussiennes de la Poméranie, de la Silésie et du Brandebourg un terrain de 1 million 1 /2 d’hectares sur lequel on pourrait établir 80.000 petites propriétés. Mais cette opération est si vaste qu’elle demandera deux ou trois générations pour s’accomplir. On peut dire que le but de la colonisation intérieure de l’Allemagne est de ramener une partie de la population des villes vers les campagnes, pour y établir d’une manière permanente une classe de petits propriétaires.

En ce qui concerne la colonisation extérieure, nous nous bornerons ici à donner un tableau des colonies allemandes à la fin de 1886. Nous en reparlerons plus longuement a l’article colonik.

Histoire.L’unité allemande. Le véritable vaincu de Sadowa, c’était Napoléon III. L’empereur des Français, persuadé d’abord que les Autrichiens triompheraient de la Prusse, avait résolu de rester neutre et fort, puis d’intervenir comme arbitre entre les deux adversaires affaiblis par la lutte ; il aurait rendu la Silésie à l’Autriche, la Vénétie aux Italiens, une partie du Schleswig au Danemark, et, tandis que le roi Guillaume aurait annexé à la couronne les petits États de l’Allemagne du Nord, Napoléon aurait donné à la France la rive gauche du Rhin. Ces beaux rêves, dont la réalisation devait consolider la dynastie napoléonienne sans qu’elle eût besoin de tirer l’épée, s’évanouirent & Sadowa. Déçu mais non découragé, le souverain des Tuileries se crut en droit de demander une « compensation > : il réclama le Palatinat bavarois et la Hesse rhénane, par conséquentLandau et Mayence. Naturellement, M. de Bismarck refusa. Napoléon s’arrêta alors à ia célèbre théorie des trois tronçons, c’est-à-dire qu’il fit insérer dans le traité de Prague (24 août 1866) une disposition portant que les États allemands

du Sud (Bavière, Wurtemberg, Bade) ne pourraient se réunir à la Prusse ; et, comme M. de Bismarck défendait auxdits États de s’allier & l’Autriche, il en résultait, aux yeux de l’empereur et de ses ministres, que • l’Allemagne était désormais partagée en trois tronçons qui ne sa rejoindraient jamais •. Cette belle phrase de M. Rouher était à peine connue à Berlin que les feuilles germaniques publièrent le texte de traités secrets, signés depuis peu de temps, et aux termes desquels le roi de Prusse était le commandant en chef de tous les États allemands, qu’ils fussent au N. ou au S. du Mein. Napoléon III ne devait plus s’arrêter sur le chemin qui devait le conduire à Sedan et faire crouler son trône.

Le Grand Dictionnaire a consacré d’importants articles à la guerre de 1870-71 ; nous ne pouvons qu’y renvoyer le lecteur et nous ne nous occuperons ici que de l’action exercée par cette mémorable campagne sur les destinées intérieures des pays d’outreRhin.

La nouvelle des victoires remportées successivement et comme coup sur coup par

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les armées germaniques produisit dans tous les États allemands un enthousiasme croissant, même au S. du Mein. Les nationaux wurtembergeoîs firent tenir à M. de Bismarck une adresse où ils lui demandaient de réunir l’Alsace à la Prusse. Le 2 septembre

1870, le gouvernement badois réclama l’entrée du Sud dans l’Union du Nord. Aussi, le chancelier, qui avait vu dans la guerre un moyen de « prussifter ■ l’Allemagne, entamât-il incontinent des négociations avec le Sud. La Hesse et Bade entrèrent le 15 novembre dans la confédération du Nord ; la Bavière, après bien des hésitations, donna son adhésion le 23, de peur de rester isolée, le Wurtemberg se rallia le 25 ; en moins d’un mois les derniers obstacles à l’hégémonie de la Prusse avaient été supprimés, etl’Allemagne ne formait plus qu’une seule Confédération. La proclamation de Guillaume comme empereur donna au vieux souverain, le 18 janvier

1871, un titre en rapport avec son omnipotence.

Les élections qui eurent lieu sous l’impression des victoires remportées en Fiance amenèrent au premier Reichstag allemand une majorité de nationaux-libéraux. Le Parlement dut s’occuper tout d’abord de mettre la Constitution fédérale en harmonie avec le nouvel état de choses : la revision fut votée le 14 avril à l’unanimité, moins les sept voix de six députés polonais et du professeur Ewald. • La nouvelle confédération, avait dit M. de Bismarck, portera le nom d’« Empire allemand », c’est-à-dire qu’on pose ainsi comme principe fondamental une continuation de l’institution fédérale. La question à mes yeux n’a pas d’importance essentielle comme principe, mais seulement une valeur verbate. Notre but a été d» trouver le mot qui convint le mieux pour rendre l’idée juridique sur laquelle notre État est fondé. Nous avons admis en. principe de n’employer le mot empire que lorsqu’il s’agit d exprimer en substance les attributs politiques et souverains qui s’étendent à la totalité de l’État allemand et de nous servir du mot confédération lorsqu’il s’agit surtout des droits des différents États des membres de la communauté fédérale... Là où la distinction des deux termes se dessine suivant moi le plus nettement, c’est entre les mots de conseil fédéral (Bun desrath) et celui de conseil de l’empire (Reichstag). Le conseil fédéral n’est pas proprement une autorité de l’empire ; il ne représente pas, comme tel, l’empire. Au dehors, l’empire est représenté par S. M. l’empereur ; le peuple tout entier a pour représentant le Reichstag. Tel que nous le comprenons, le conseil fédéral est essentiellement un corps au sein duquel les différents États trouvent leur représentation, un corps que je désignerai non pas comme élément centrifuge, mais comme l’ensemble des représentations de tous les intérêts particuliers légitimes». Le Parlement examina ensuite la question de l’Alsace-Lorraine ; il décida, conformément à l’avis de M. da Bismarck, que ces deux provinces ne devaient être ni neutralisées ni rattachées à la Prusse, mais devenir provinces immédiates de l’empire.

20 Les lois de mai. Pendant la tenue du célèbre concile de 1870 qui, en votant l’infaillibilité du pape, avait déclaré [la guerre au progrès scientifique, M, da Bismarck avait invité le ministre de Prusse près le saint-siège a faire bien comprendra aux évêques allemands que des changements trop profonds dans la constitution de l’Église catholique ne seraient pas sans influence sur les rapports de l’Église et de l’État. Malgré cet avertissement, les prélats germaniques, quoiqu’ils eussent d abord protesté à Fulda contre le dogme de l’infaillibilité, déclarèrent, quelques jours après sa proclamation, qu’ils l’acceptaient dans toutes ses conséquences. Alors se formèrent en Allemagne deux partis religieux et politiques, les vieux-catholiques et les infaillibilistes :es premiers protèges par le chancelier, les seconds en lutte avec le pouvoir. Les violences de langage du clergé ultramontain donnèrent bientôt à M. de Bismarck un prétexte plausible de sévir et, le 15 novembre 1871, le Parlement adopta un projet de loi tendant à punir de la prison ou de la réclusion dans une forteresse tout ecclésiastique qui, dans l’exercice de ses fonctions, « ferait une communication ou présenterait des développements ayant pour objet les affaires de l’État et mettant en péril la paix publique». En

1872, une loi porta que les jésuites pourraient être exclus du territoire par simple mesure de police et que la société de Jésus, ainsi que les congrégations y affiliées, étaient bannies de l’empire. Sur ces entrefaites, le pape, dans un discours solennel, maudit les agissements du gouvernement prussien, ce qui entraîna le rappel immédiat du chargé d’affaires d’Allemagne auprès du saint-siège, et quelque temps après, la promulgation des lois ecclésiastiques des 11, 12, 13 et 14 mai

1873, Ces lois, au nombre de quatre, étaient relatives : 1° à l’éducation des ecclésiastiques et à leur nomination aux emplois de l’Église ; 2° au pouvoir disciplinaire ecclésiastique et à la création d’une cour royale pour les affaires ecclésiastiques ; 3° aux limites de l’emploi des moyens de punition et de correction ecclésiastiques ; 4* au passage d’une église dans une autre. Ces lois, que nous

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étudierons en détail ailleurs (v. culturkampk), étaient de la plus haute importance. Soustrait dès son plus jeune âge à l’influence de l’évêque par la suppression des bas séminaires et le passage sur les bancs de l’école commune, puis ramené autant que possible des hauts séminaires vers les universités, le futur prêtre devait en outre recevoir l’estampille officielle ; un examen final, d’un caractère et d’une portée scientifiques, jouait le rôle d’un tamis dont les trous ne laissent passer que le grain voulu. Pour mettre en harmonie la constitution avec le nouvel état de choses, on en modifia les articles 15 et 18, qui se trouvèrent ainsi libellés (nous indiquons en italique les modifications) : « Art. 15. L’Église évangélique et l’Église catholique romaine, ainsi que toute autre société religieuse, administrent et règlent leurs affaires en pleine liberté, mats elles restent soumises aux lois de l’État et à la surveillance légale de l’État. Dans les mêmes conditions, chaque société religieuse conserve la possession et la puissance des institutions, des fondations et des fonds destinés au culte, à l’instruction et à la bienfaisance.

— Art. 18. Le droit de nomination, de proposition, d’élection et de confirmation pour les places de l’Église est supprimé eu tant qu’il appartient à l’État et ne repose pas sur le patronat ou sur des titres légaux particuliers. Cette disposition ne s’applique pas à l’emploi des ecclésiastiques dans l’armée et dans des établissements ecclésiastiques. Du reste, la loi fixe les droits de l’État relativement à l’éducation, à l’emploi et au renvoi des ecclésiastiques et fixe les limites du pouvoir disciplinaire ezctésiastigue. »

Le résultat des délibérations parlementaires était h peine connu que l’on vit se réunir à Fulda, autour du tombeau de saint Boniface, les évêques prussiens pour protester contre les lois de mai et arrêter en commun les résolutions commandées par la situation. Le gouvernement, ayant reçu une protestation collective, la considéra comme un acte séditieux et frappa avec une sévérité extrême les moindres infractions aux nouvelles lois, dès que celles-ci furent promulguées- En même temps, M. de Bismarck s’appuya sur les vieux-catholiques, leur témoigna une sympathie d’autant plus vive qu’elle était intéressée, et prétendit même imposer les services de leurs ministres à la majorité catholique infailUbiliste. Le pape Pie IX s’éleva en termes indignés contre l’attitude du gouvernement germanique, et les évêques français, en communiquant à leurs diocésains l’encyclique du pontife, l’accompagnèrent de commentaires si acerbes que les feuilles d’outre-Rhin s’en émurent ; la France, déclaraient - elles officieusement, deviendra l’ennemie jurée de l’Allemagne si elle s’identifie avec Rome. • Une politique purement française, disait la • Gazette de l’Allemagne du Nord », peut se concilier d’une façon durable avec notre politique de paix. Une France sonmise à la théocratie papale est inconciliable avec la paix du monde. » Malgré ses dispositions plus que bienveillantes, le cabinet de Broglie, qui, pour éviter un conflit déjà diplomatique, avait onctueusement prié le haut clergé français de se montrer plus réservé, dut suspendre d’Univers», dont les violences avaient dépassé toute limite. La théocratie papale, voilà en effet l’ennemi que M. de Bismarck voulait réduira à néant, et, pour arriver à ses fins, rien ne lui coûta. Archevêques et évêques furent emprisonnés ou frappés de peines sévères. Le pape, dans une encyclique en date du 6 janvier 1875, ayant «déclaré publiquement au monde catholique tout entier ■ que les lois de mai étaient nulles ■ comme entièrement contraires à la divine constitution de l’Église », M. de Bismarck, pour toute réponse, saisit le Parlement de projets que les députés catholiques qualifièrent, non sans raison, de lois da vengeance. D’abord, le gouvernement subordonnait à l’acceptation des lois de mai par le clergé le payement de toute allocation budgétaire et le versement du revenu des biens ecclésiastiques dont l’État prussien est l’administrateur permanent. Les évêques protestèrent, en alléguant que les allocations budgétaires consenties aux évêchés ou accordées aux ecclésiastiques ne provenaient pas de la pure libéralité de l’État envers l’Église, mais avaient pour base légale une obligation, soit établie sur des droits seigneuriaux ou des dotations souveraines, soit acceptée par l’État en vertu de stipulations expresses et sous la garantie de l’honneur prussien, à la suite da la sécularisation des biens épiscopaux ou des biens da certains couvents ou abbayes. La loi fut néanmoins votée par les deux Chambres à une majorité considérable (avril 1875) ; mais M. de Bismarck voulait avant tout exercer sur le clergé orthodoxe une domination complète, absolue. Aussi fit-il adopter par le Parlement une loi faisant intervenir avec voix prépondérante l’élément laïque dans l’administration des biensde l’Église romaine, biens dont les revenus eussent suffi au cierge pour combler le vide résultant de la suppression des allocations budgétaires. L’oeuvre anti-ultramontaine du chancelier fut complétée enfin par la déposition et le vote da deux projets relatifs aux mêmes matières. Le premier supprimait les articles 15,16 et 18 da la constitution prussienne. On a lu plu» haut les articles 15 et 18 ; l’article 18 était