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tion, qui lui a permis de devenir l’entrepôt d’une grande partie du Mexique et du Guatemala. La coupe de bois n’est plus son unique industrie ; depuis plusieurs années, il fait un commerce actif avec le Yucatan, la côte de Mosquitos, et l’intérieur des républiques voisines, qu’il inonde de produits anglais en contrebande. Les importations sont, année commune, de 422,000 liv. st. (10,550,000 fr.). Les exportations s’élèvent à 494,700 liv. st. (12,367,500 fr.), non compris l’or et l’argent, qui, dit-on, donnent annuellement le chiffre de 3,000,000 de gourdes (15,900,000 fr.). Le commerce avec la mère-patrie et avec les États-Unis peut être estimé, pour les importations annuelles, à 10 millions de francs, et à pareille somme pour les exportations. L’administration de la colonie est dirigée par un surintendant, et la justice y est rendue par sept magistrats électifs.


BALK (Daniel-George), médecin, publiciste et littérateur, né à Kœnigsberg en 1764, était professeur de médecine à l’université de Dorpat. Ses écrits les plus connus sont : Ce qu’était la Courlande, et ce qu’elle peut devenir sous le sceptre de Catherine ; la Grandeur humaine, poème didactique.


BALKANS (monts), Hœmus des anciens, Emineh-Dagh des Turcs. Chaîne de montagnes de l’Europe méridionale, qui s’étend dans la Turquie et dans la Grèce, sur un développement d’environ 800 kil., et forme, pour ainsi dire, un prolongement des Alpes, commençant dans la vallée de la Narenta, en Dalmatie, et se terminant au cap Emineh sur la mer Noire. Elle sépare les anciennes provinces turques de Bosnie, Servie et Bulgarie au N. de celles d’Herzégovine, Albanie et Roumélie au S. L’Eri-Sou (3,000 m.) en est le point culminant. De nombreux contre-forts se détachent des Balkans ; le plus considérable est celui qui court vers le sud et couvre de ses ramifications le sol de l’ancienne Grèce où elles forment le Pinde, l’Olympe et le Parnasse. Bien que la chaîne centrale des Balkans isole complètement les pays qu’elle domine, une seule grande route la traverse, c’est celle de Soulou-Derbend, ou Porte trajane, qui conduit de Constantinople à Vienne par Sophia et Belgrade ; il existe encore quelques passages moins praticables, ce sont : le Deinir-Kapou, ou Porte de fer, dans le voisinage de Selimnia, ou Islimnié ; ceux de Choumla à Andrinople, de Kostendil à Philippoli, de Scutari à Novibazar. Les passages qui traversent la chaîne hellénique sont moins importants, mais il y en a deux que nous devons citer à cause des beaux souvenirs qu’ils rappellent : celui de Tempé, à l’entrée de la belle vallée de ce nom, et celui des Thermopyles, sur les pentes escarpées de l’Œta. L’ossature des Balkans est granitique ; les régions supérieures présentent un grand nombre de cimes coniques de granit nu et d’enfoncements profonds et étroits ; elles sont presque toujours couvertes de neige et n’offrent d’autre végétation que des mousses et quelques plantes alpines. Les régions moyennes sont couvertes de forêts très-épaisses, particulièrement sur le versant septentrional, en Servie et en Bulgarie ; du côté du sud, la culture occupe une plus grande étendue, à cause de la douceur du climat.


BALKH, ancienne Bactres, ville de l’Asie centrale, dans le Turkestan, cap. de la province du même nom, dépendant du khanat de Boukhara et au S.-E. de cette ville, sur la rivière d’Ardisiah. Cette ville, ceinte d’une muraille moderne, est entourée des ruines de l’ancienne et renferme une population de 7,500 hab. — Grand commerce de soieries. || Province du Turkestan, ou Tartarie indépendante, sur les frontières et au N. de l’Afghanistan, au sud de la grande Boukharie ; elle a pour cap. la ville du même nom. Son territoire, arrosé par le fleuve Amou, occupe une partie de l’ancienne Bactriane ; il fut soumis, au XVIIe siècle, par les Grands-Mogols, au XVIIIe par les Afghans, et a été conquis, en 1825, par le khan de Boukharie, qui le possède actuellement. Pop. 300,000 hab.


BALKIS. Nom que les Arabes donnent à la reine de Saba, qui, dans le livre des Rois, vient rendre visite à Salomon. Cette reine, de la race de Iaraf, fils de Khatan, régnait dans la ville de Mareb, capitale de la province de Saba. La brillante imagination des Arabes s’est avidement emparée de cet épisode, et y a brodé de fantastiques variations, qui nous ont été conservées par des traditions, des contes, etc.


BALL ou BALÉE (Jean), prêtre anglais du XIVe siècle, disciple de Wiclef, se créa une immense popularité en prêchant que l’inégalité des rangs et des fortunes était contraire aux maximes de l’Évangile. Arrêté et mis en prison, il fut bientôt délivré par ses partisans, et se joignit aux cent mille serfs révoltés qui prirent Londres en 1381, massacrèrent l’archevêque de Cantorbéry et firent trembler le roi Richard et toute la noblesse. Le chef de cette jacquerie anglaise était Watt Tyler ; Jean Ball en était l’orateur et le poète. C’est lui qui avait composé la ballade qui fut le chant de guerre de ce soulèvement contre le despotisme féodal : « Quand Adam labourait et qu’Ève filait, qui donc était gentilhomme ? » Arrêté à Coventry, Bail fut envoyé au supplice (1381).


BALLA s. f. (bal-la). Sorte de jarre dont on se sert en Égypte.


BALLA (Joseph-François), conventionnel, né à Vallerangue (Gard) en 1737, mort en 1806. Il était juge royal avant 89. Dans le procès du roi, il vota avec le parti modéré pour la détention et le bannissement à la paix. Sous le consulat il fut nommé président du tribunal civil du Vigan.


BALLABENE (Grégoire), compositeur italien, né à Rome en 1730, mort en 1800. Il a écrit beaucoup de musique d’église ; son ouvrage le plus célèbre est une messe composée seulement du Kyrie et du Gloria, mais écrite à quarante-huit parties réelles divisées en douze chœurs. Le Christe est a seize parties. Cette composition, chef-d’œuvre de patience, ne fut exécutée qu’une fois par cent cinquante chanteurs, à la cour de Portugal, et produisit peu d’effet, sans doute à cause de l’extrême complication d’un si grand nombre de parties, et sans doute aussi parce que les exécutants n’étaient pas assez nombreux.


BALLADE s. f. (ba-la-de — rad. ballet, danse). Chanson à danser : Chanter une ballade. Les mélodies des ballades écossaises et irlandaises sont d’un caractère mélancolique ; il y en a de charmantes. || Danse exécutée sur l’air de cette chanson : La demoiselle du château dansait une ballade avec le fiancé, (Chateaubr.)

— Par ext. Dans certaines contrées, bal public : Une jeune fille qui parait à la ballade sans un garçon est méprisée de ses compagnes. (A. Hugo.)

— Litt. Sorte d’ode divisée en stances égales, plus un dernier couplet plus court appelé envoi, et dans laquelle le dernier vers ou deux des vers de la première stance sont répétés à la fin de toutes les autres : Les ballades de Marot.

La ballade, à mon goût, est une chose fade.
Ce n’en est plus la mode ; elle sent son vieux temps.
                  Molière.

La ballade, asservie à ses vieilles maximes,
Souvent doit tout son lustre au caprice des rimes.
                  Boileau.

Du son se fit sonnet, du chant se fit chansons,
Et du bal la ballade en diverses façons.
                 Lafrénaie-Vauquelin.

|| Ballade redoublée, ballade dans laquelle chaque stance a un ou deux vers répétés en guise de refrain. Il n’est pas indispensable que le vers ou les vers répétés dans chaque strophe soient identiquement les mêmes.

— Aujourd’hui, ode d’un genre familier et le plus souvent légendaire et fantastique : Les ballades de Schiller, de Goethe, de Burger, de Uhland, etc. Les ballades suédoises, allemandes, écossaises, etc. Il n’est pas de ballade plus populaire que celle de Lénore. (Th. Gautier.)

— Prov. C’est le refrain de la ballade, C’est ce qu’on ne cesse de répéter.

Mais, monsieur, me donnez-vous cela ?
C’est toujours le refrain qu’ils ont à leur ballade.
               Régnier.

— Encycl. Dans sa forme la plus régulière, la ballade est un petit poème composé de trois strophes et d’un envoi, avec un refrain. Les trois strophes, symétriquement égales, soit pour le nombre des vers, soit pour l’enlacement des rimes, forment des stances de huit, dix ou douze vers, disposés en deux parties. L’une de ces parties, ordinairement la seconde, est le type que les formes de l’envoi doivent reproduire. Tous les couplets sont sur les mêmes rimes ; tous les vers doivent avoir la même mesure, le plus souvent huit ou dix syllabes ; ces vers peuvent être au nombre de huit, dix ou douze dans chaque strophe ; mais le poëte avait sur ce point une certaine latitude, ainsi que pour ce qui regarde l’envoi. Ce petit poëme ne manque pas de grâce dans sa forme régulière, et quand le refrain est heureusement amené à la fin des stances, et quelquefois aussi au milieu, il leur donne un tour trës-piquant. Nous ne pouvons mieux le faire connaître que par l’exemple suivant de Marot :

FRÈRE LUBIN.

Pour courre en poste par la ville,
Vingt fois, cent fois, ne sais combien ;
Pour faire quelque chose vile,
Frère Lubin le fera bien ;
Mais d’avoir honnête entretien,
Ou mener vie salutaire,
C’est affaire à un bon chrétien :
Frère Lubin ne le peut faire.

Pour mettre, comme un homme habile,
Le bien d’autrui avec le sien,
Et vous laisser sans croix ni pile,
Frère Lubin le fera bien ;
On a beau dire : je le tien,
Et le presser de satisfaire,
Jamais ne vous en rendra rien ;
Frère Lubin ne le peut faire.

Pour amuser par un doux style
Quelque fille de bon maintien,
Point ne faut de vieille subtile,
Frère Lubin le fera bien.
Il prêche en théologien ;
Mais pour boire de belle eau claire,
Faites-la boire à votre chien.
Frère Lubin ne le peut faire.

Envoi.

Pour faire plutôt mal que bien,
Frère Lubin le fera bien ;
Mais si c’est quelque bien à faire,
Frère Lubin ne le peut faire.

Cette disposition, presque aussi rigoureuse que celle du sonnet, appartient particulièrement à la ballade française. C’était primitivement un chant destiné à accompagner la danse. Son nom l’indique assez, puisqu’il dérive du français bal, de l’italien ballo, de l’espagnol bayle et de ballar, vieux mot castillan, qui tous expriment l’idée de la danse. Lafrénaie-Vauquelin, dans son Art poétique, explique de la même manière l’origine de ce mot :

   . . . .Des troubadours
Fut la rime trouvée en chantant leurs amours ;
Et quand leurs vers rimés ils mirent en estime,
Ils sonnaient, ils chantaient, ils ballaient sous leur rime.
Du son se fit sonnet, du chant se fit chansons,
Et du bal la ballade en diverses façons.
Ces trouvères allaient par toutes les provinces
Sonner, chanter, danser leurs rimes chez les princes.

Ce genre de poésie a dû naître en Provence, peut-être y remonte-t-il jusqu’à l’époque des Visigoths et des Arabes. Il semble, en effet, qu’une forme à la fois si gracieuse et si précise, un tel sentiment du rhythme et de l’harmonie, soit un double reflet du génie arabe et de l’instinct poétique des troubadours.

Les poètes provençaux sont les premiers à nous en offrir des exemples, dont quelques-uns sont très-remarquables. Ce n’est point un vain assemblage de strophes réunies sans art, c’est un ensemble, souvent parfait, dont les stances vives et légères bondissent avec une merveilleuse harmonie, reliées les unes aux autres par la mesure uniforme du vers, la répétition de la rime et le retour du même refrain.

La ballade semble appartenir aux langues les plus colorées, les plus souples, les plus riches en mots pittoresques et sonores, qui charment l’oreille la mieux exercée, par le double attrait des sons mélodieux et de la difficulté vaincue. Chez tous les peuples méridionaux, la ballade porte les mêmes traits caractéristiques, d’où l’on peut conclure que la ballata des Italiens, la balata des Castillans et la balada des Provençaux ont la même origine.

Après avoir pénétré dans le nord de la France, ce poème se transforma. Toujours gracieux et symétrique, il prit un caractère plus sérieux, tenant le milieu entre la gravité un peu rigide du chant royal et la naïveté moins soutenue du rondeau. Il se prête à tous les sujets, se faisant ici l’écho de la douleur ; là, servant de voile aux légères amours ou égayant d’une joyeuse boutade un trait satirique. Nous ne saurions mieux définir cette transformation qu’en empruntant les quelques lignes que lui a consacrées Pasquier dans ses Recherches sur la France : « Le chant royal se faisait en l’honneur de Dieu ou de la Vierge, sa mère, ou sur quelque autre grand argument..... Au chant royal, le fatiste (poëte) était obligé de faire cinq onzains en vers de dix syllabes que nous appelons héroïques, et sur le modèle de ces premiers, fallait que tous les autres tombassent en la même ordonnance qu’était la rime du premier, et fussent pareillement accolés, mot pour mot, du dernier vers qu’ils appelaient le refrain, et enfin fermaient leur chant royal par cinq vers qu’ils nommaient renvoi, gardant la même règle qu’aux autres..... Quant à la ballade, c’était un chant royal raccourci, au petit pied, auquel toutes les règles s’observaient et en la suite continuelle de la rime et en la clôture du vers et au renvoi ; mais il se passait par trois ou quatre dizains ou huitains, et encore en vers de sept, huit, dix syllabes, à la discrétion du fatiste et en tel argument qu’il voulait choisir. »

Selon Pasquier, la ballade commença d’être en usage sous Charles V. Froissart, en effet, fut l’un des premiers à la mettre en vogue. Alain Chartier, Charles d’Orléans, Villon, Christine de Pisan, et surtout Clément Marot, en ont laissé des modèles. Elle tomba sous le règne de Henri II, mais pour se relever encore avec un certain éclat jusqu’à celui de Louis XIV. Au XVIIe siècle, La Fontaine et Mme Deshoulières la cultivèrent avec des succès divers ; celle-ci la gâta par ses fadeurs accoutumées ; l’inimitable fabuliste retrouva la naïveté de Villon et la fine et spirituelle satire de Marot. Après eux, on ne peut citer aucun nom, et la ballade demeura dans l’oubli. Boileau, dans son Art poétique, ne lui consacra que ces deux vers dédaigneux :

La ballade, asservie à ses vieilles maximes,
Souvent doit tout son lustre au caprice des rimes.

Et Molière, dans les Femmes savantes, fait dire à Trissotin :

La ballade, à mon sens, est une chose fade ;
Elle sent son vieux temps.

Tout en trouvant cet arrêt un peu sévère, on peut s’étonner de ce long succès d’un genre si étranger au génie de nos poètes modernes. On l’expliquera toutefois assez facilement, si l’on se rappelle que, dans un temps où l’on sortait à peine de la barbarie du moyen âge, les poètes ne pouvaient guère chercher le succès dans l’abondance ni dans la grandeur des idées, et qu’ils devaient le chercher uniquement dans la difficulté vaincue et dans la forme plus ou moins piquante donnée à l’expression.

Dans la ballata italienne, l’envoi se met au commencement et, pour cette raison, s’appelle entrata. L’entrata est ordinairement de quatre vers, quand ceux de la strophe sont en nombre pair ; de trois, s’ils sont en nombre impair. Plusieurs poètes italiens divisent encore la ballade en quatre parties, qu’ils nomment ainsi : la première, epodo ; la deuxième et la troisième, mutazioni ; la dernière, volta. Généralement, c’est une espèce d’ode destinée à traiter des sujets délicats ou gracieux.

Les ballades de Pétrarque sont presque toutes des morceaux d’une harmonie et d’une délicatesse incomparables. Les poésies du même genre éparses dans les œuvres de Dante, particulièrement dans sa Vita nuova, quoique obscurcies trop souvent par des allusions dont on a peine à trouver le sens, peuvent rivaliser avec celles du chantre de Laure. On ne peut leur comparer en aucune façon celles que nous a laissées Boccace.

La balata castillane se compose de trois couplets avec un refrain sur les mêmes rimes. Il y en a aussi avec des rimes et des vers libres, mais il faut au moins que les strophes aient toujours la même coupe.

Nous avons déjà cité une ballade de Marot, parfaitement régulière. En voici quelques autres qu’on lira certainement avec plaisir : car, si notre gravité moderne dédaigne ces entraves que nos vieux poètes se créaient tout exprès pour avoir le plaisir d’en triompher, nous aimons encore à jeter quelquefois un regard curieux sur ces tours de force dans lesquels excellaient nos ancêtres, surtout quand nous y rencontrons le sentiment et la grâce unis à l’habileté du versificateur :

SUR LA DUCHESSE MARGUERITE D’ALENÇON.

Amour me veoyant sans tristesse,
Et de le savoir dégousté,
M’a dict que feisse une maistresse,
Et qu’il seroit de mon costé.
Après l’avoir bien escousté,
J’en ay faict une à ma playsance,
Et ne me suis poinct mescompté :
C’est bien la plus belle de Fronce.

Elle a un œil riant, qui blesse
Mon cuer tout plein de loyaulté,
Et parmy sa haulte noblesse
Mesle une doulce pryvauté.
Grand mal seroit si cruaulté
Fesoit en elle demourance :
Car quant à parler de beaulté,
C’est bien la plus belle de France.

De fuir l’amour qui m’oppresse
Je n’ay pouvoir ne voulunté ;
Arresté suis en cette presse.
Comme l’arbre en terre planté.
S’esbahit-on si j’ay planté
De peine, tourment et souffrance ?
Pour moins on est bien tourmenté :
C’est bien la plus belle de France.

Prince d’amour, par ta bonté
Si d’elle j’avois jouyssance,
Uncq homme ne fût mieulx monté :
C’est bien la plus belle de France.
              Cl. Marot.



Que vous semble de mon appel,
Gardier, fis-je sens ou folie ?
Toute beste garde sa pel ;
Qui la contraint, efforce ou lye,
S’elle peut, -elle se deslie.
Quant donc par plaisir volontaire
Chanté me fut cette homélie,
Estoit-il lors temps de me taire ?

Si fusse des hoirs Huc-Capel,
Qui fut extraict de boucherie,
On ne m’eust parmy ce drapel
Fait boire à cette écorcherie.
Vous entendez bien joncherie ;
Mais quant ceste peine arbitraire
On m’adjugea par tricherie,
Estoit-il lors temps de me taire ?

Cuidez-vous que sous mon cappel
N’y eust tant de philosophie,
Comme de dire : J’en appel ?
Si avoit, je vous certifie.
Combien que point trop ne m’y fie
Quant on me dit : Présent notaire.
Pendu serez, je vous affie,
Estoit-il lors temps de me taire ?

Prince, si j’eusse eu la pépie,
Pieça je fusse où est Clotaire,
Aux champs, debout comme un espie.
Estoit-il lors temps de me taire ?
                  Villon.

En la forest d’ennuyeuse mémoire
Un jour m’advint qu’à part moi cheminoye ;
Si rencontrai l’amoureuse déesse
Qui m’appela, demandant où j’alloye.
Je répondis que par fortune étoye
Mis en exil en ce bois, longtemps a,
Et qu’à bon droit appeler me pourvoye
L’homme esgaré qui ne sçait où il va.

En souriant, par sa très-grande humblesse,
Me respondit : Ami, si le savoye
Pourquoi tu es mis en cette détresse,
De mon pouvoir volontiers t’aideroye ;
Car jà piéçà je mis ton cœur en voye
De tout plaisir ; ne sais qui l’en osta.
Or, me déplaist qu’à présent je te voye
L’homme esgaré qui ne sçait où il va.

Hélas ! dis-je, souveraine princesse,
Mon fait sçavez ; pourquoi vous le diroye ?
C’est par la mort, qui fait à tous rudesse,
Qui m’a tollu celle que tant amoye,
Et qui étoit tout l’espoir que j’avoye,
Qui me guidoit, si bien m’accompagna
En son vivant, que point ne me trouvoye
L’homme esgaré qui ne sçait où il va.

Aveugle suis ; ne sais où aller doye ;
De mon baston, afin que ne fourvoye,
Je vais tastant mon chemin çà et là ;
C’est grand pitié qu’il convient que je soye
L’homme esgaré qui ne sçait où il va.
             Charles d’Orléans.

DE LA MISÈRE DES GOUTTEUX.

Le goutteux qui sa goutte sent
Fait pauvre chère et laide mine ;
De tels j’en ai vu plus de cent
(Beaucoup voit qui beaucoup chemine),