Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 2, part. 1, B-Bd.djvu/120

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<poem> — Aide, Seigneur ! qui te connaît, mon Père, Sait qu’en tous lieux ton secours est certain. Ma chère enfant, pour calmer ta misère. Approche-toi du sacrement divin. — Ma mère, il n’est, pour éteindre ma flamme, Ni sacrement ni remède ici-bas ; Nul sacrement ne peut rappeler l’âme D’un bien-aimé, victime du trépas !

— Écoute, enfant ! ne pourrait-il se faire Que le perfide eût abjuré sa foi, Pour épouser une femme étrangère, Et qu’en Bohême il vécût sous sa loi ?... Crois-moi, renonce au cœur de ce parjure ; Il paîra cher tant de déloyauté ! Au jour fatal, Dieu, vengeur de l’injure, Saura punir son infidélité.

— Oh ! c’en est fait ! Wilhelm est mort, ma mère ! Il est perdu, oui, perdu sans retour : Je n’ai sans lui plus d’espoir sur la terre ; Périsse l’heure où je reçus le jour ! Mort ! frappe-moi, brise mon existence, , Que mon nom soit à jamais oublié ! Jouis, ô Dieu ! jouis de ma souffrance ; Malheur à moi ! tu n’as point de pitié !

— Pardon, Seigneur ! oh ! puisse ta justice Ne pas juger ton enfant aujourd’hui ! De ses transports son cœur n’est point complice ; Pitié pour elle ! ô Dieu ! pardonne-lui !... Ma fille, oublie enfin ta peine amère, Songe à Dieu seul, au salut éternel ; Si ton amour est trahi sur la terre, Eh ! n’as-tu pas un époux dans le ciel ?

— Laissons, ma mère, un salut chimérique ! Eh ! que m’importe un époux dans les cieux ! Wilhelm, Wilhelm est mon bonheur unique ; Vivre sans lui, c’est l’enfer à mes yeux ! C’en est fait, viens, viens, ô Mort ! je t’appelle ; Éteins mes jours dans l’horreur et l’effroi ! Je ne veux point de la vie éternelle ; Ô cher Wilhelm, je n’en veux point sans toi ! »

Rien ne calmait son désespoir extrême ; Son sang brûlait par la fièvre irrité ; Sa bouche impie exhalait le blasphème Et s’attaquait à la Divinité. La pauvre enfant, défaite, échevelée, Meurtrit son sein, versa des pleurs amers, Jusqu’au moment où ta nuit étoilée Dans le sommeil vint plonger l’univers.

Chut !... au dehors quels pas se font entendre ? C’est un coursier qui s’approche au grand trot. Un cavalier, bruyamment, vient descendre Près du perron et le monte aussitôt... Que vient-il faire à cette heure avancée ? Chut !... écoutez !... il sonne à petits coups ; Puis on entend une voix empressée Jeter ces mots à travers les verrous :

« Holà ! holà ! viens, ouvre-moi, ma belle ! Dors-tu ? réponds ; c’est moi, ton fiancé ! Ton cœur m’est-il toujours resté fidèle ? Lève-toi vite !... Ouvre, je suis pressé ! — Oh ! cher Wilhelm ! se peut-il ? est-ce un rêve ? Est-ce bien toi ?... Je te croyais perdu ! J’ai bien souffert, mais ta voix me relève... Pourquoi si tard ?... Mon ami, d’où viens-tu ?

— Minuit pour nous est l’heure de la route ; Il m’a fallu bravement chevaucher ! Je viens de loin, de la Bohême... Écoute ! Il faut me suivre, et je viens te chercher. — Entre d’abord, cher Wilhelm, je t’en prie ; Le vent du nord siffle dans les bouleaux ; Viens te chauffer auprès de ton amie, Viens dans mes bras, viens goûter le repos ?

— Laisse siffler le vent du nord, ma bonne ! Mon cheval noir se démène et hennit, Et l’on entend l’éperon qui résonne ! Dépêchons-nous ! tout ici me trahit. Chausse-toi vite, allons, suis-moi, ma chère ! Viens, monte en croupe et partons à l’instant, Car nous avons bien cent milles à faire, Pour arriver au lieu qui nous attend.

— Quoi ! tu voudrais m’emmener tout à l’heure Et cette nuit faire un si long chemin ? Déjà la cloche a sonné l’onzième heure ; N’entends-tu pas vibrer encor l’airain ? — Lénore, vois ! la lune nous éclaire ; Nous et les morts nous voyageons bon train. Si loin que soit notre asile, ma chère, Nous l’atteindrons, je gage, avant demain.

— Dis-moi, Wilhelm, où donc est ta chambrette ? — Bien loin d’ici ! — Comment est fait ton lit ? — Six ais cloués composent ma couchette, En un lieu frais, silencieux, petit.-. — Puis-je y loger ? — Oh ! deux y trouvent place ; Viens, hâtons-nous, prends ton élan, voyons ! Des conviés l’attente enfin se lasse, La chambre est prête, amie, allons, partons ! »

À peine il dit, que Lénore s’avance ; Un doux frisson l’agite en ce moment ; Sur le coursier, légère, elle s’élance ; Ses bras de lis étreignent son amant. Au grand galop ils volent hors d’haleine ; Le feu jaillit et brille sous leurs pas ; À bonds forcés le coursier fend la plaine, Et du gravier lance au loin les éclats...

À leurs regards, dans ce fougueux voyage, Tout semblait fuir, prés, champs, vastes forêts ; Les ponts tonnaient, tonnaient sous leur passage ; Pour eux les monts abaissaient leurs sommets. « M’amie a peur ? Vois ! la lune rayonne ; Courons, hourrah ! tout cède à nos efforts ! Les morts vont vite ! en as-tu peur, ma bonne ? — Non, mon ami ; mais laisse en paix les morts ! »

— Quel bruit la-bas, quels chants dans les ténèbres ? Vois ! dans les airs tournoyer ces corbeaux... J’entends le glas !... j’entends ces mots funèbres : « Portons le corps dans les champs du repos. » Lors un convoi s’approche et se déroule, Cercueil en tête à sombres ornements. Les chants confus et plaintifs de la foule Semblaient former de sourds croassements...

« Après minuit mettez le corps en terre ! Cessez vos chants et le glas sépulcral ! J’emporte ici la femme qui m’est chère ; Suivez-mot tous au festin nuptial... Viens, sacristain ! viens réciter l’office, Fais chanter l’hymne et ronfler le serpent. Toi, prêtre ! viens, que ta voix nous unisse ! Le temps nous presse ; au gîte on nous attend. »

À cet appel, plus de glas, de cantique ; Le noir cercueil a disparu sans bruit, Et sur-le-champ le convoi fantastique Rejoint le couple et bravement le suit... Au grand galop ils volent hors d’haleine ; Le feu jaillit et brille sous leurs pas ; À bonds forcés le coursier fend la plaine. Et du gravier lance au loin les éclats.

De tous cotés, dans leur fougueux voyage, Les monts, tes bois, les hameaux, les cités, Confusément s’envolent au passage. Et comme un trait sont loin d’eux emportés... , ■ M’amie a peur ?... Vois ! la lune rayonne ; Courons, hourrah ! tout cède à nos efforts ! Les morts vont vite ! en as-tu peur, ma bonne ? •

— Ah ! laisse donc, laisse en repos les morts !

— Mais devant nous quelle plaisante scène ! Au clair de lune aperçois-tu là-bas

Sous les gibets la gent aérienne,

Qui danse en rond et qui prend ses ébats ?...

« Ah çà ! venez, enfants de la potence ! Rire & ma noce et gambader au bal ; Venez ! venez ! vous ouvrirez la danse. Et nous suivrez jusqu’au lit nuptial. •

Il dit. La bande accourt, les environne A flots bruyants, ainsi que dans les bois La feuille sèche, en sifflant, tourbillonne, Quand tous les vents mugissent à la fois. Au grand galop ils volent hors d’haleine ; Le feu jaillit et brille sous leurs pas ; A bonds forcés le coursier fend la plaine, Et du gravier lance au loin les éclats.

Dans leur essor, à peine ils touchent terre ; Tout disparaît et s’envole à leurs yeux, Et les objets qu’au loin la lune éclaire, Et les flambeaux de la voûte des cieux.

« M’amie a peur ?... Vois ! la lune rayonne ; Courons, hourrah ! tout cède à nos efforts ! Les morts vont vite ! en as-tu peur, ma bonne ? •

— De grâce, ami, laisse en repos les morts !

— Ça ! mon coursier, le coq se fait entendre ; Je sens déjà la fraîcheur du matin ; Courage, allons ! ne te fais pas attendre ;

Le sablier va tirer à sa fin...

Nous voici donc au terme du voyage !

Les trépassés vont d’un train sans égal ;

11 est fini, notre pèlerinage ;

Je vois s’ouvrir notre lit nuptial ! ■

Disant ces mots, il vole à toute bride Vers une grille à deux vastes battants ; De sa houssine il frappe un coup rapide, Et les verrous tombent obéissants : Avec fracas la double porte s’ouvre ; D’un bond subit les voilà dans l’enclos. Au clair de lune, autour d’eux se découvre Un vaste champ de croix et de tombeaux.

Riais tout à coup, ciel ! comment le redire ? La scène change... Oh ! quel prodige affreux ! Du cavalier le manteau se déchire, Et, comme usé, tombe en flocons poudreux... Wilhelm n’est plus qu’un objet d’épouvante, Un blanc squelette assis sur son coursier ; Il est armé d’une faux menaçante, Et tient en main le fatal sablier.

Le coursier noir en frémissant se dresse, De ses naseaux un trait de feu jaillit ; La terre tremble et sous ses pieds s’affaisse ; Soudain le sol s’entr’ouvre et l’engloutit... Des hurlements descendent de la nue ; Et des tombeaux s’élève un long soupir, Lénore lutte, et par la mort vaincue. Ferme les yeux pour ne plus les ouvrir.

Puis les esprits dansèrent autour d’elle, Au clair de lune en se tenant la main. Et pour finir là ronde solennelle, Tous d’une voix hurlèrent ce refrain : . Quand la douleur vient accabler ta vie, Résigne-toi, n’accuse point le ciel ! Ton. âme enfin du corps est affranchie ; Que la pitié désarme l’Eternel ! •

Traduction de M. P. Leur.

M. E. Deschamps a écrit sur cette célèbre ballade une imitation que nous donnons ici :

LE SPECTRE.

Allons, flambez, torches fatales !

Bruyants démons, peuplez les salles !

Grincez, frappez, aigres cymbales !

Mugissez tous, clairons de fer ! Sombre galop, ruez-vous dans la fête ; Plus fort, plus fort !... Et comme la tempête !

Il est minuit : sans qu’on s’arrête,

Jusqu’au matin le bal d’enfer !

Vois, je suis Mendoce.. Ne tremble pas ainsi,

C’est ta nuit de noce. C’est donc la mienne aussi.

Tournonset bondissons !...N’es-tu pas bien heureuse, Ma Lénore, si près de moi ?

LA MARIÉE.

Comment ! toi là ! toi, mort !.... Mendoce !.., . Nuit Cette voix funèbre ! Tais-toi ! [affreuse !

LE SPECTRE.

Jamais !

Allons, flambez, torches fatales ! Bruyants démons, peuplez les salles ! Grincez, frappez, aigres cymbales ! Mugissez tous, clairons de fer ! Sombre galop, ruez-vous dans la fête !... Plus fort, plus fort !... Et comme la tempête ! * 11 est minuit : sans qu’on s’arrête, Jusqu’au matin le bal d’enfer ! Tu m’as dit : • Je t’aime, La mort n’y’fera rien. •

J’en fis vceu de même ; Je viens prendre mon bien.

Tournons et bondissons !... Prends mon anneau, cher Et qu’un baiser m’unisse à toi !... [ange !

LA MARIÉE.

Ton bras me glace... Dieu ! ma raison se dérange ! Mon cœur se brise... Ah ! lâche-moi !

LE SPECTRE.

Jamais !

Allons, flambez, torches fatales !

Bruyants démonB, peuplez les salles !

Grincez, frappez, aigres cymbales !

Mugissez tous, clairons de fer ! Sombre galop, ruez-vous dans la fête !... Plus fort, plus fort !... Et comme la tempêtel

11 est minuit : sans qu’on s’arrête.

Jusqu’au matin le bal d’enfer !

Mais quel est ce comte Qu’ils disent ton mari ?

Dis-leur donc sans honte. Mendoce est mon chéri.

Tournons et bondissons ! la lune nous invite... Viens dans les champs, suis ton époux !

LA MARIÉE.

Je n’y vois plus !... je meurs !... Ciel !... où vas-tu si Quand donc nous arrêterons-nous ? [vite ? LB SPECTRE. Jamais !

Dehors, dul’.ors ! torches fatales ! •

BAL

Bruyants démons, quittez les salles !

Grinçant toujours, sonnez, cymbales !

Et vous aussi, clairons de fer ! Roule, galop ! roule, folle tempête !... J’entends le coq !... Allons, sans qu’on s’arrête,

Allons ! c’est là-bas notre fête.

Là-bas, les noces de l’enfer ! ! !

Passons maintenant a l’analyse de quelques autres ballades de Bilrger ;

LE CHASSEUR FEROCE.

Une légende que la superstition accrédite encore aujourd’hui en Allemagne a fourni à Bilrger le sujet de cette ballade. Bien souvent dans les nuits sombres on entend dans les airs les aboiements d’une même furieuse, le son des cors et les cris des chasseurs, c’est le chasseur féroce qui passe, dit-on ; voici comment Bùrger a dramatisé, dans la forme la plus poétique, l’origine de cette croyance. Un noble comte, malgré la solennité du dimanche, part pour la chasse avec ses valets et sa meute.À peine a-t-il quitté son château qu’un chevalier avec une tunique blanche arrive au grand galop et, se plaçant à sa droite, le conjure de ne pas profaner le jour du Seigneur ; mais un autre chevalier, revêtu d’une armure noire, a pris la gauche du comte, et lui fait honte de se soumettre à ce qu’il appelle des préjugés de vieillard et de bonne femme. Le comte n’est que trop disposé à céder aux mauvaises inspirations, et quand il a fait lever un magnifique cerf, il ne respecte plus, dan3 la poursuite furieuse qu’il donne à la bête, ni nommes ni moissons. Il arrive à un champ de blé, l’unique fortune d’un pauvre laboureur ; celui-ci se jette à genoux devant le cheval du chasseur et le supplie de ne pas dévaster son champ. Le chevalier à la tunique blanche se joint à lui pour implorer la pitié du comte, mais le sombre compagnon de sa gauche prend encore le dessus avec ses railleries, et la récolte du pauvre, sa seule ressource, est saccagée complètement. Il en arrive de même à un troupeau de bœufs et de moutons, toute la richesse d’un village ; les bêtes et le berger sont massacrés. Enfin le cerf poursuivi se réfugie dans ta cabane d’un vieil ermite ; le saint homme suppliant demande grâce pour la bête ; les deux chevaliers s’en mêlent pour la troisième fois, pour la dernière fois, dit le bon ange du comte, qui n’était autre que le cavalier de droite. Le chasseur, enivré de sang ? n’écoute plus rien, il fond sur l’ermite, le glaive levé-, mais voilà que tout disparait devant lui. Il ne voit plus ni cabane, ni ermite, ni chevaliers, ni meute, ni chasseurs ; il est seul au milieu de la forêt et le ciel s’obscurcit. Une terreur mortelle le saisit, il ne peut ni avancer, ni reculer ; et, cloué à cette place, il entend une voix formidable prononcer sur lui un arrêt terrible, qui le condamne à la chasse l’éternité durant. Désormais ce sera lui le poursuivi, et les chasseurs seront tous les monstres de l’enfer déchaînés à sa suite, et pour qu’il ait ce spectacle horrible éternellement devant les yeux, une main gigantesque lui a saisi le cou et lui a retourné la tête. Il verra donc ces furies toujours près de l’atteindre, et toujours en fuyant devant elles, il éprouvera les mêmes angoisses. Et à peine la voix a-t-elle parlé, que la chasse infernale commence. La passion du chasseur est peinte de main de maître ; dans l’enivrement de sa force, il arrive jusqu’au crime. Les deux chevaliers, son bon et son mauvais génie, répètent, comme les oracles de l’antiquité, toujours la même formule, et ce procédé n’est pas sans produire un grand effet. On dirait qu’on sent mieux toute leur puissance mvstérieuse et leur supériorité surnaturelle, grâce a ces paroles qu’une inflexible nécessité semble avoir coulées dans un moule inaltérable. La description enfin de la solitude qui environne tout à coup le comte donne le frisson au lecteur le plus insensible. On pourrait dire d’une pareille ballade ce que Boileau, dans son Art poétique, disait d’un sonnet bien fait : cela vaut tout un poëme épique.

LA CHANSON DU BRAVE HOMME.

Le chant raconte l’action héroïque d’un pauvre paysan qui sauve une famille dans une inondation. La neige fond sur les montagnes, le fleuve grossit et monte. Sur des piliers massifs s’élève un pont de pierre, au milieu est une maisonnette où habitent le gardien, sa femme et son enfant. La destruction menace la maison. Dieu du ciel, ayez pitié d’eux I Un noble comte arrive au grand galop : « Deux cents pistoles à qui sauve ces malheureux. » Voici venir un paysan ; il éconte le comte, regarde le péril et hardiment, au nom de Dieu, saute dans une barque. La malheureuse famille est sauvée, mais le brave homme refuse l’or du comte. Ce récit est d’un intérêt saisissant, il semble que nous sommes spectateurs, et la sueur coule sur nos fronts comme sur le front des témoins de cette scène.

LA FILLE DD PASTEUR.

Une jeune personne séduite par un grand seigneur, voilà tout le thème de la fille du pasteur de Taubenhein. Mais quel talent dans la peinture de chaque phase de la séduction 1 C’est encore le flot, qui monte et monte toujours, prend les proportions les plus tragiques. Chaque vers augmente l’effet, qui grandit jusqu’au dénoûmlbnt. Bùrger n’a pas toujours cherché à exciter la terreur ; quelques-unes de ses ballades sont même écrites sur un ton quelque peu goguenard et trivial. En général

BAL

ses poésies manquent d’élévation, et il s’appesantit trop souvent sur les descriptions, genre dans lequel il excelle. Son style Drille par la clarté, 1 énergie et une élégance naturelle, bien qu’elle soit le fruit du travail, et toutes les qualités propres à rendre un poète populaire.

De tous les poëtes allemands, Schiller est celui que nous sentons le mieux, car il faut désespérer de rendre jamais dans notre langue les beautés propres à l’idiome souple et profond de la Germanie. M"10 de Staël a essayé, dans son livre de VAllemagne, de donner une idée de l’impression que produisit sur elle la lecture de la Cloche, qu’elle déclare intraduisible. M. E. Deschamps l’a essayé cependant. Nous mettrons plus loin nos lecteurs à morne de juger jusqu’à quel point il a réussi. Le chant de la Cloche est une revue poétique des principales phases de la vie humaine, telles que la naissance, le mariage, etc., solenmsées par la voix de la cloche ; il se divise en deux parties : dans l’une, on assiste à l’opération de la fonte, et toute l’habileté du poète se révèle dans le talent d’imitation, dans ce qu’on appelle l’onomatopée ; mais qu’on n’aille pas croire à une puérile imitation de sons, c’est dans la pensée que se fait ce curieux travail. Analyser une telle sensation est presque impossible, La seconde partie nous fait assister à toutes les grandes scènes de la vie dans lesquelles la cloche va jouer un rôle solennel : la naissance, le mariage, la mort ; puis l’incendie et l’émeute ; enfin toutes les circonstances qui datent dans la vie de l’homme. On pressent quel parti un poëte comme Schiller a pu tirer de ces images, dans une langue si maniable, si pittoresque et si énergique.

LE CHANT DE LA CLOCHE. Vivos voco, mortuos plango, fulgura frango.

Le moule d’argile est encore plongé et scellé dans la terre ; aujourd’hui, la cloche doit être faite. A l’œuvre, compagnons, courage ! la sueur doit ruisseler du front brûlant. L’œuvre doit honorer le maître ; mais il faut que la bénédiction-vienne d’en haut.

Il convient de mêler des paroles sérieuses à l’œuvre sérieuse que nous préparons ; le travail que de sages paroles accompagnent s’exécute gaiement. Considérons gravement ce que produira notre faible pouvoir ; car il faut mépriser l’homme sans intelligence qui ne réfléchit pas aux entreprises qu’il veut accomplir. C’est pour méditer dans son cœur sur le travail que sa main exécute que la pensée a été donnée à l’homme : c’est là ce qui l’honore.

Prenez du bois de sapin ; choisissez des branches sèches, afin que la flamme plus vive se précipite dans le conduit. Quand le cuivre bouillonnera, mêlez-y promptement l’étain, pour opérer un sûr et habite alliage.

La cloche que nous formons à l’aide du feu, dans le sein de la terre, attestera notre travail au sommet de la tour élevée. Elle sonnera pendant de longues années ; bien des hommes l’entendront retentir à leurs oreilles, pleurer avec les affligés et s’unir aux prières des fidèles. Tout ce que le sort changeant jette parmi les enfants de la terre montera vers cette couronne de métal et les fera vibrer au loin*

Je vois jaillir des bulles blanches. Bien 1 la masse est en fusion. Laissons-la se pénétrer du sel de la cendre qui’ hâtera sa fluidité. Que le mélange soit pur d’écume, afin que la voix du métal poli retentisse pleine et sonore ; car, la cloche salue avec l’accent solennel de la joie l’enfant bien-aimé à son entrée dans la vie, lorsqu’il arrive plongé dans le sommeil. Les heures joyeuses et sombres de sa destinée sont encore cachées pour lui dans les voiles du temps ; l’amour de sa mère veille avec de tendres soins sur son matin doré ; mais les années fuient, rapides comme la flèche. L’enfant se sépare fièrement de la jeune fille ; il se précipite avec impétuosité dans le courant de la vie, il parcourt le monde avec le bâton de voyage et rentre étranger au foyer paternel, et il voit devant lui la jeune fille charmante dans l’éclat de sa fraîcheur, avec son regard pudique, son visage timide, pareille à une image du ciel. Alors un vague 1 désir, un désir sans nom, saisit l’âme du jeune | homme ; il erre dans la solitude, fuyant les | réunions tumultueuses de ses frères et pleurant à l’écart. Il suit, en rougissant, les traces ’ de celle qui lui est apparue, heureux de son sourire, cherchant pour la parer les plus belles fleurs du vallon. Oh 1 tendre désir, heureux espoir, jour doré du premier amour 1 les yeux alors voient le ciel ouvert ; le cœur nage dans la félicité. Oh I que ne fleurit-il à tout jamais, l’heureux temps du jeune amour !

Comme les tubes bruissent déjà I J’-y plonge cette baguette : si nous la voyons vitrifier, il sera temps de couler le métal. Maintenant, compagnons, alerte ! Examinez le mélange et voyez si, pour former un alliage parfait, le métal doux est uni au métal fort.

Car de l’alliance de la douceur avec la force, de la sévérité avec la tendresse, il résulte la bonne harmonie. C’est pourquoi ceux qui s’unissent à tout jamais doivent s’assurer si le cœur répond au cœur. Courte est l’illusion, long est le repentir. La couronne virginale se marié avec grâce aux cheveux de la fiancée, quand les cloches argentines de l’église invitent aux fêtes nuptiales. Hélas ! la plus belle solennité de la vie marque le terme du prin-