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cras. Cependant les deux voyageurs avaient hâte de poursuivre leur route ; mais Gilles de Retz se montra si pressant et surtout si aimable, que le soir vint sans que l’on y songeât à partir. Tout à coup, sur un signe du châtelain, des archers s’emparèrent du comte Odon de Tréméac, qu’ils jetèrent dans un cachot profond. Puis, Gilles de Retz parla à la jeune fille de l’épouser. Blanche versa d’abondantes larmes, tandis que la chapelle s’éclairait de mille cierges, que la cloche tintait joyeusement et que tout se préparait pour la noce. Blanche fut conduite au pied de l’autel ; elle était pâle comme un beau lis, et toute tremblante. Monseigneur de Laval, vêtu superbement, et dont la barbe était du plus beau rouge, vint se placer auprès d’elle. — Vite, messire chapelain, mariez-nous. — Je ne veux pas de monseigneur pour époux ! s’écria Blanche de l’Herminière. — Et moi, je veux qu’on nous marie. — N’en faites rien, messire prêtre, reprit la jeune fille en sanglotant. — Obéissez, je vous l’ordonne. Puis, comme Blanche essayait de fuir, Gilles de Retz la saisit dans ses bras. « Je te donnerai, dit-il, les parures les plus belles. — Laissez-moi. — À toi mes châteaux, mes bois, mes champs, mes prés. — Laissez-moi. — À toi tous mes biens, à toi tout ce que je possède. — Laissez-moi. — À toi mon corps, à toi mon âme !… — J’accepte ; j’accepte, entends-tu bien, Gilles de Retz ; j’accepte et désormais tu m’appartiens. Blanche venait de se métamorphoser en un diable bleu d’azur qui avait pris place aux côtés du baron. — Malédiction ! s’écria ce dernier. — Gilles de Laval, poursuivit le démon avec un éclat de rire sinistre, Dieu s’est lassé de tes forfaits ; tu appartiens maintenant à l’enfer, et dès ce jour tu en as revêtu la livrée. » En même temps, il fit un signe, et la barbe de Gilles de Laval, de rouge qu’elle était prit une teinte bleue des plus foncées. Ce n’est pas tout ; le démon dit encore : « Tu ne seras plus, à l’avenir, Gilles de Laval ; tu seras la Barbe-Bleue, le plus affreux des hommes, un épouvantail pour les petits enfants. Ton nom sera maudit de toute éternité, et tes cendres, après ta mort, seront livrées au vent ; tandis que ta vilaine âme descendra dans les profondeurs de l’enfer. » Gilles cria qu’il se repentait. Le diable lui parla de ses victimes, de ses sept femmes, dont les cadavres gisent dans les caveaux du château. Il ajouta : « Le sire Odon de Tréméac, que j’avais accompagné sous les traits de Blanche, chevauche en ce moment sur la route d’Elven, en compagnie de tous les gentilshommes du pays de Redon. — Et que viennent-ils faire ? — Venger la mort de tous ceux que tu as tués. — Alors, je suis perdu ? — Pas encore, car ton heure n’a pas sonné. — Qui les arrêtera ? — Moi, qui ai besoin de ton concours et de ton aide, mon bon chevalier. — Tu ferais cela ? — Oui, je le ferai, car, vivant, tu me serviras mille fois plus que mort. — Et maintenant, au revoir, Gilles de Retz, et souviens-toi que tu m’appartiens corps et âme. » Et le diable bleu disparut dans un nuage de soufre. Il tint parole, en empêchant l’intervention des gentilshommes du pays de Redon ; mais aussi, à partir de ce moment, Gilles ne fut plus connu dans le pays que sous le nom de l’homme à la barbe bleue. Telle est la légende que Perrault, sans aucun doute, connaissait. Déjà, de son temps, des pièces féeriques, représentant l’histoire de la Barbe-Bleue et de ses femmes, se jouaient avec le secours de ces marionnettes dont raffolait Goethe, et qui tiennent une si grande place dans Wilhelm meister. En France et en Angleterre, le théâtre n’a pas manqué de s’emparer du héros breton. L’Angleterre avait eu, elle aussi, son Barbe-Bleue en la personne de Henri VIII, roi cruel et débauché, qui se défaisait ingénieusement de ses femmes. Colman, dont le John Bull, par un mélange heureux du rire et des larmes, a le don d’émouvoir tour à tour et d’égayer les spectateurs, Colman fit courir Londres pendant longtemps par un Barbe-Bleue, dans lequel on remarque un effet théâtral fort curieux : un tableau qui représente Abomélique (Barbe-Bleue) aux genoux d’une femme est placé au-dessus de la porte de la chambre bleue interdite à la curiosité de Fatima ; aussitôt qu’elle a mis la clef dans la serrure, le tableau change, et l’on voit Abomélique tranchant la tête à la même femme qu’il adorait auparavant. M. Hippolyte Lucas s’étonne que nos féeries n’aient pas encore employé ce moyen de terreur. V. ci-après la Barbe-Bleue de Sedaine et Grétry.

Barbe-Bleue, titre et nom du principal personnage d’un conte de Perrault, dont le souvenir nous rappelle ce vers de Scarron :

Ah ! j’en frémis encor d’horreur.

Barbe-Bleue, ainsi appelé parce qu’il avait la barbe bleue, a déjà épousé six femmes, qu’il a égorgées successivement, et dont il a suspendu les cadavres sanglants dans un cabinet noir. Il épouse une septième victime, dont il veut mettre la curiosité à l’épreuve. Il feint donc de partir pour un voyage, et lui confie la clef de l’affreux cabinet, avec défense expresse d’y pénétrer. Il n’en fallait pas tant pour engager Pandore à ouvrir la boîte fatale. À la vue de ces six cadavres, la clef lui tombe des mains et va rouler dans le sang. Or, la tache est indélébile ; et plus la malheureuse fait d’efforts pour rendre la clef à son état naturel, plus la tache s’élargit. Enfin Barbe-Bleue revient, réclame son dépôt, et, en acquérant la preuve de l’indiscrétion de sa femme, lui annonce que sa dernière heure est arrivée. Il ne lui accorde qu’un quart d’heure pour se recommander à Dieu. Ce temps écoulé, il lui crie à plusieurs reprises : « Descendez bien vite, ou je vais monter là-haut. » C’est alors que la malheureuse femme, qui a envoyé chercher ses frères, demande à sa sœur, montée au sommet d’une tour : « Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? — Non, répond celle-ci, je ne vois rien que le soleil qui poudroie et l’herbe qui verdoie, » Enfin, les deux frères arrivent et délivrent leur sœur en égorgeant Barbe-Bleue, qui levait déjà son coutelas pour lui trancher la tête.

C’est à juste titre que Barbe-Bleue est resté le type des maris féroces et sanguinaires. On fait aussi allusion à la curiosité féminine dont son indiscrète épouse faillit être victime ; à la question répétée : « Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? » et enfin, à la réponse de sœur Anne :


« Si dur et si méchant qu’il soit, j’ai bien de
la peine à croire que le comte des Fougères
repousse sans pitié une pauvre petite créature
comme moi. Quoi qu’on dise, ce n’est pas un
ogre, et nous ne sommes point ici à la porte
du château de M. Barbe-Bleue. »
                    J. Sandeau.

« Soyez étranger, anglais ou allemand, et
aussitôt toutes les portes du Jardin des Plantes
vont s’ouvrir devant vous, portes des
bêtes, portes des serres. Toutes les portes ! je
me trompe : il en est une dont l’entrée est absolument
interdite aux profanes ; c’est celle
du cabinet de Barbe-Bleue, la serre aux plantes
redoutables, dont le simple contact vous
fait gonfler le corps comme le venin du boïquira,
et vous prive de la vue. »
                  Toussenel.

« Pendant que l’ancienne maîtresse de son
mari fouillait la cendre des plaisirs éteints pour
y trouver quelques charbons, Mme Félix de
Vandenesse éprouvait ces violentes palpitations
que cause à une femme la certitude
d’être en faute et de marcher dans le terrain
défendu ; émotions qui ne sont pas sans
charme et qui réveillent tant de puissances
endormies. Aujourd’hui, comme dans le conte
de la Barbe-Bleue, toutes les femmes aiment
à se servir de la clef tachée de sang ; magnifique
idée mythologique, une des gloires de
Perrault. » H. de Balzac.

« Que m’importent les causes et les motifs
du bien dont je ressens les effets, et de quel
droit irais-je m’en informer avec une sotte et
orgueilleuse curiosité, quand tout m’avertit
que je suis né pour jouir de ma vie et de mon
imagination, et pour en ignorer le mystère ?
Funeste instinct, qui ouvrit à Ève les portes de
la mort, et à Pandore la boîte où dormiraient
encore toutes les misères de l’humanité, et à
je ne sais quelle noble châtelaine, dont j’ai
oublié le nom, le cabinet sanglant de la Barbe-Bleue'
                      Ch. Nadar.

« Pour quelle cause maintenant pourrais-je
aller combattre ? Dans mes voyages, j’ai vu
les nationalités ; elles étaient couchées sur le
dos, râlantes, saignantes et mourantes ; elles
se tournaient l’une vers l’autre avec effort et
se disaient à voix basse, en écoutant le coq
qui chantait la nuit : « Ma sœur, ma sœur, ne
vois-tu rien venir ? » Les temps ne sont pas
encore arrivés où celui qui veut être réuni à
ses pères pourra glorieusement escompter sa
mort ! Comme je les envie, à cette heure, ceux
qui combattirent pour la Grèce ! »
                     Max. du Camp.

« Toute l’après-midi se passa dans l’attente.
Les heures s’écoulaient, le vicomte n’arrivait
pas. Laure avait changé trois fois de toilette,
M. Levrault, en costume de gentilhomme
campagnard, allait du perron à la grille ; et,
comme sœur Anne, ne voyait rien venir. »
                      J. Sandeau.

Madeleine. Mais quel bruit dans la rue !
Qu’est-ce que c’est que ça ? Voyez donc, messieurs.
D’Estival. En vérité, je ne sais. Je ne vois
que la neige qui poudroie, quelque chose d’indistinct
qui verdoie, et une grande foule qui se coudoie…
                      Oct. Feuillet.

Barbe-Bleue (raoul), comédie en trois actes, mêlée d’ariettes, de Sedaine, musique de Grétry, représentée pour la première fois à Paris, sur le théâtre des Italiens, en 1789. — Cette pièce est une copie dialoguée du conte de Perrault. La principale différence est que le rôle de la sœur Anne est rempli par un amant de la belle Isaure, qui s’est introduit chez elle, sous le nom et les habits de cette sœur. Vergy, c’est le nom de l’amoureux, a cédé, on ne sait pourquoi, sa future à son odieux rival, et, le lendemain des noces, il vient s’établir dans le castel de Barbe-Bleue, déguisé comme nous venons de le dire. Sa charmante Isaure a juré de lui rester fidèle, malgré le contrat qui la lie au lugubre châtelain ; Cependant Raoul Barbe-Bleue, qui a de l’expérience, la séduit par l’offre de bijoux et de pierreries, et il ne tarde pas à régner, malgré ses moustaches bleu de Prusse, sur le cœur de la charmante Isaure ; mais ce n’est pas impunément qu’on porte un nom si terrible. Barbe-Bleue n’aime pas les lunes de miel qui durent longtemps ; il se dispose à trancher la tête de la charmante Isaure, pour punir cette fille d’Ève du péché de curiosité ; déjà le coutelas fraîchement repassé est tiré de sa gaîne, quand surviennent les frères de madame, qui la sauvent. Une lutte a lieu, on se tue pendant que l’orchestre joue un air de circonstance ; Barbe-Bleue est haché menu comme chair à pâté, dans la coulisse, et la charmante Isaure vole dans les bras de sa sœur Anne, ou plutôt du tendre Vergy, qui n’a pas de préjugés. Les auteurs de Raoul Barbe-Bleue ont été mieux inspirés lorsqu’ils ont écrit Richard Cœur-de-Lion. Ce conte de Croquemitaine, signé de deux noms célèbres, est aujourd’hui complètement oublié, et c’est justice ; aussi n’en parlons-nous ici que pour mémoire.

Barbe-Bleue, opéra bouffe en trois actes et quatre tableaux, de MM. Henry Meilhac et Ludovic Halévy, musique de M. Offenbach, représenté pour la première fois, à Paris, sur le théâtre des Variétés, le 5 février 1866. — Le sire de Barbe-Bleue mis en scène par les auteurs de la Belle Hélène n’a rien de commun avec le Barbe-Bleue de Perrault, si ce n’est sa barbe et ses nombreux veuvages. Henri VIII jovial, il n’égorge pas lui-même ses femmes, il les fait empoisonner par son chimiste Popolani. Ce n’est pas, d’ailleurs, pour les punir du péché de curiosité qu’il leur offre le verre d’eau sucrée destiné à lui ouvrir doucement les voies du convol ; c’est afin de pouvoir donner carrière à sa passion pour le changement. Amoureux de tout ce qui porte une cornette, rien ne lui plaît, nouveau don Juan, comme de passer de la brune à la blonde. Cependant, après le trépas de sa cinquième épouse, il n’a vu aucune demoiselle des environs dont il eût envie d’obtenir la main ; faute de mieux, il envoie quérir une rosière au village. Mais les rosières sont rares, et Nanterre est éloigné ; Popolani, pour se donner moins de fatigue, a l’idée de tirer sa rosière au sort. Il invite donc toutes les jeunes paysannes à se faire inscrire chez le bailli. Boulotte, une grosse fille qui se vante de connaître tous les hommes et qui les embrasse tous, se fait inscrire comme les autres, et c’est justement son nom qui sort le premier de l’urne. Elle est proclamée rosière, aux cris de toutes les filles et aux éclats de rire des garçons : Honni soit qui mal y pense ! Popolani lui fait revêtir le costume de son emploi, et la présente au sire de Barbe-Bleue. Barbe-Bleue, qui n’aime pas à attendre, pose immédiatement la couronne d’oranger sur le front de Boulotte, qui devient madame Barbe-Bleue. Une seconde intrigue traverse le premier acte. Pendant que Popolani cherche une rosière, un de ses anciens camarades, le comte Oscar, favori du roi Bobèche, qui règne sur le vaste pays où se passe l’action principale, cherche l’héritière du trône. La jeune princesse a été exposée, dès le berceau, sur le fleuve qui traverse la contrée. Le trône du roi Bobèche n’est pas soumis à la loi salique. Un fils lui est né après cette fille, et c’est pour assurer la couronne à son fils qu’il a perdu le premier fruit de son union. Hélas ! ce fils est devenu idiot ; le roi regrette sa fille. Oscar la retrouve dans une jeune fleuriste, mademoiselle Fleurette, recueillie par un vieux soldat. Fleurette est la seule personne qui eût pu, dans le village, prétendre au titre de rosière, et c’est la seule dont le nom a été oublié. Elle aime un petit berger, le berger Saphir, et elle ne consent à suivre le comte Oscar qu’à la condition qu’il emmènera aussi celui que son cœur préfère. Le second acte nous introduit à la cour du roi Bobèche, et nous offre la peinture grotesque, mais piquante, d’une monarchie absolue. Le comte Oscar indique aux courtisans comment ils doivent se comporter s’ils veulent rester en faveur :

Il faut, s’il ne veut tomber,
Qu’un bon courtisan s’incline
Et qu’il courbe son échine
Autant qu’il la peut courber.

Le roi Bobèche fait son entrée. Un gentilhomme a osé parler à la reine, il faut qu’Oscar le fasse disparaître. — Mais, sire, dit le confident, ce sera le cinquième ! — N’importe ! il le faut ! reprend le roi. Cependant Barbe-Bleue désire présenter à Sa Majesté sa sixième femme. Bobèche le trouve par trop effronté. Il lui prend envie de savoir comment il a eu la chance de perdre ses cinq premières. — Mais, sire, répond Oscar, vous-même, voilà cinq gentilshommes que vous m’ordonnez d’expédier dans l’autre monde. — Eh ! quoi ! s’écria le roi, tu oses comparer les droits d’un puissant monarque à ceux d’un seigneur de village ! — Mais, sire, le seigneur Barbe-Bleue a des canons. — J’en ai aussi, dit le roi. — Non, sire, vous les avez fait fondre pour vous élever une statue équestre. — C’est vrai ! mais j’ai ordonné à mon surintendant des finances de lever un nouvel impôt, afin que mon grand maître de l’artillerie me fasse fabriquer d’autres canons. — Oui, sire, et votre surintendant a remis une grande partie de l’argent à votre grand maître de l’artillerie ; mais le grand maître dépense tout cet argent avec des femmes à qui il paye à souper. — C’est indécent ! s’écrie le monarque ; encore s’il nous invitait ! — Il m’invite, sire, réplique Oscar. — À la bonne heure ! mais cela ne suffit pas, ajoute le roi Bobèche. « Ce dialogue est digne de l’Ours et le Pacha, dit M. de Biéville. Bobèche est aussi bête et aussi despote que Schahabaham ; malheureusement, tout n’est pas aussi simplement comique. » Le berger Saphir, que Fleurette a emmené avec elle, était lui-même un prince qui s’était déguisé pour se rapprocher de Fleurette. Le roi Bobèche et la reine Clémentine consentent à unir les deux amoureux. Le mariage est annoncé pour minuit. Les réceptions commencent. Le sire de Barbe-Bleue, superbement vêtu, amène sa nouvelle épouse richement parée, et la présente au roi : mais Boulotte n’est occupée qu’à contempler le prince Saphir, dans lequel elle reconnaît le petit berger qu’elle poursuivait autrefois dans la montagne pour l’embrasser de force. Cependant le baise-main a lieu sur un chœur qui imite le bruit des baisers. « Embrasse, dit Barbe-Bleue à sa femme. » Et Boulotte court embrasser Saphir sur les deux joues. Grand émoi ! Barbe-Bleue arrête sa femme : « C’était le roi que je te disais d’embrasser, lui dit-il à l’oreille. — Le roi ? reprend-elle ; volontiers. » Et elle embrasse le roi. Les courtisans se récrient. Elle croit qu’ils réclament, et veut les embrasser tous. Barbe-Bleue perd patience ; il entraîne Boulotte en lui disant : « Prenez garde, madame Barbe-Bleue, ma sixième femme ! » Et il sort, en jetant un regard de convoitise sur la princesse Fleurette. Rentré dans son castel, il ordonne à son chimiste de le défaire de Boulotte par le procédé ordinaire ; puis il revient chez le roi annoncer son nouveau veuvage, et sollicite la main de Fleurette ; tout le monde frémit d’indignation. Barbe-Bleue se contente, pour toute justification, d’établir le bilan de son matériel de guerre : Saphir le provoque, on tire l’épée. Mais le félon Barbe-Bleue s’écrie : « Les gendarmes ! » Le petit prince se retourne à ces mots, et son adversaire profite de ce mouvement pour l’atteindre traîtreusement ; Saphir tombe. Bobèche accepte le jugement de Dieu et consent à avoir Barbe-Bleue pour gendre ; Fleurette sanglote. Cependant Popolani survient, amenant les six femmes de Barbe-Bleue, déguisées en bohémiennes ; au lieu de les empoisonner, il les endormait avec un narcotique, et les gardait pour lui tenir compagnie dans la tour du nord. Cette tour se transformait, en faisant jouer un panneau de boiserie, en un harem délicieux. On y faisait chère exquise, on y chantait les couplets en vogue, et l’on y dansait le cancan. Notre chimiste était le sultan de ce lieu charmant ; chaque fois qu’il recevait l’ordre de mettre à mort la femme dont son maître était rassasié, il se contentait d’annoncer aux autres veuves qu’elles auraient, le soir même, une nouvelle compagne, et l’on mettait un couvert de plus à souper. Aujourd’hui, Popolani veut se retirer des affaires et vivre de ses économies ; n’ayant plus besoin de Barbe-Bleue, il vient le dénoncer. D’un autre côté, Oscar amène les cinq gentilshommes que le roi lui avait commandé d’occire ; il les avait cachés chez une de ses cousines. Sa Majesté arrange tout, en ordonnant à Barbe-Bleue de reprendre Boulotte, et en mariant ses cinq défuntes aux cinq gentilshommes ; quant à Fleurette, il lui rend son Saphir, que le saisissement seul avait fait évanouir. « Le dénoûment n’est pas des plus ingénieux et ne s’accorde pas avec le caractère prêté à Barbe-Bleue, dit M. de Biéville. Il faut, même dans une bouffonnerie, une certaine suite et une certaine logique. Quoi qu’il en soit, il y a dans la pièce assez de drôleries, de lazzis, de scènes bouffonnes, de mots spirituels, de jolie musique, pour qu’en dépit de ses défauts, elle ait un succès prolongé. » De son côté, M. Jouvin a écrit : « La partition de Barbe-Bleue a les qualités et les défauts des cent partitions signées de ce nom qui a la vogue : Jacques Offenbach… M. Offenbach avait écrit des finales très-développés dans la Belle Hélène ; dans Barbe-Bleue, il a surtout multiplié les petits airs ; mais la veine mélodique pour être fragmentée, n’en est pas moins abondante. Je crois pourtant devoir mettre le compositeur en garde contre sa tendance à reproduire sans cesse les mêmes rhythmes ; mais j’ai un bien faible espoir de le convertir, attendu qu’il réussit beaucoup, qu’il réussit surtout par le défaut que je m’efforce de reprendre. Le Bu qui s’avance a plus fait, pour le succès de la Belle Hélène, que le duo délicieux :

Oui, c’est un rêve d’amour !

Et au moment où je fais cette moralité, une voix attardée dans la nuit chante sous mes fenêtres :

Il faut qu’un courtisan s’incline,
        San s’incline ;

j’écoute en souriant, et me voilà désarmé. » Citons le duettino de l’introduction, la chanson de la batifoleuse, le motif de valse du tirage au sort des rosières ; au deuxième acte, les couplets du bon courtisan, le morceau du baise-main. La page la plus musicale de l’ouvrage, c’est le grand duo de M. et Mme Barbe-Bleue, au troisième acte. L’introduction, au quatrième acte, est une charge bouffe délicieuse. — Acteurs qui ont créé Barbe-Bleue ; MM. Dupuis, Barbe-Bleue ; Kopp, Bobèche ;