Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 2, part. 1, B-Bd.djvu/274

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

minie. Après la mort de la comtesse, il se remaria et eut un fils qui devint colonel.

Pour les autres détails, voyez l’article ci-dessous, consacré à la comtesse Du Barry.

Le plus jeune des trois frères, Élie du Barry, créé comte d’Hagicourt et lieutenant général, devint capitaine des cent suisses du comte d’Artois, et mourut en 1830.

On compte encore quelques autres membres de cette famille, qui s’élevèrent à des emplois assez importants pendant la faveur de Mme Du Barry.


BARRY (Marie-Jeanne Gomard de Vaubernier, comtesse du), née à Vaucouleurs le 19 août 1743, décapitée le 18 frimaire an II (8 décembre 1793). Nous avons inscrit ici son nom officiel de Gomard de Vaubernier ; mais, en réalité, ce nom ne lui appartenait point, et c’est par une erreur longtemps consacrée qu’on le fait figurer dans toutes les biographies et dans les ouvrages sur l’histoire de ce temps. Certains écrivains, comme M. Capefigue, qui se sont donné pour mission de réhabiliter, de glorifier même les anciennes prostituées royales, ont cru sans doute rehausser Mme Du Barry en acceptant complaisamment l’espèce de généalogie qu’elle s’était faite elle-même, et en la faisant même descendre, par les femmes, de Jeanne Darc. La vérité est qu’elle était fille naturelle d’une pauvre femme, nommée Anne Bécu, dite Quantigny, et qu’elle-même se nommait simplement Jeanne Bécu. Lors de son mariage, comme elle était déjà la maîtresse du roi et qu’il s’agissait, pour la produire à la cour, de lui constituer une position, un état, comme on disait alors, on produisit un faux acte de naissance, fabriqué par les soins d’un pauvre abbé nommé Gomard, qui fit placer dans cet acte le nom de son propre frère, Jean-Jacques Gomard de Vaubernier, mort depuis longtemps, comme père de Jeanne Bécu. L’occasion parut bonne également pour rajeunir l’idole de trois ans et la faire naître en 1746 ; détail caractéristique et où se trahissent bien les préoccupations de la femme. L’abbé Gomard, qui semble avoir bien connu le père de Mme Du Barry, s’il ne l’était lui-même, fut récompensé de son zèle par des largesses dont il avait le plus pressant besoin (il manquait de tout, même d’habits), et par la place d’aumônier du roi. Les preuves incontestables de tout ceci se trouvent à la bibliothèque de Versailles, où sont déposés quinze dossiers de papiers relatifs à Mme Du Barry et à sa famille, et qui proviennent, en grande partie, du château de Luciennes (ou Louveciennes), appartenant, comme on le sait, à la célèbre favorite. Le savant bibliothécaire de Versailles, M. Le Roy, qui a étudié tous ces documents en érudit, en a tiré des renseignements d’un vif intérêt pour un des morceaux de son excellent ouvrage : Curiosités historiques (in-8°, 1804, Paris, H. Plon), auquel nous emprunterons encore quelques détails dans le cours de cette notice.

Bien des années après la mort de Mme Du Barry, des héritiers se disputèrent longtemps les lambeaux de sa fortune : les Gomard d’un côté, et de l’autre les Bécu. Ces derniers contestèrent même à leurs rivaux le titre d’héritiers. Ils démontrèrent que l’acte de naissance produit lors du mariage de Jeanne Bécu avec le comte Du Barry et déposé à la paroisse Saint-Laurent, à Paris, était une pièce fausse, et ils produisirent l’acte réel, levé à Vaucouleurs le 25 septembre 1827, et constatant que Mme Du Barry était fille naturelle d’Anne Bécu. Un jugement du tribunal civil de première instance de la Seine, du 9 janvier 1829, confirmé par arrêt de la cour royale de Paris, du 22 février 1830, leur donna gain de cause et les reconnut comme seuls et légitimes héritiers. Ces faits authentiques, attestés non-seulement par les pièces de la bibliothèque de Versailles, mais encore par les collections et les journaux judiciaires, n’ont pas empêché des historiens-romanciers, comme M. Capefigue, de donner à Mme Du Barry une naissance noble, comme si, d’ailleurs, les turpitudes de sa vie pouvaient être atténuées par le plus ou moins d’éclat de son origine.

Il faut que les chevaliers de cette héroïne du vice en prennent leur parti : elle était bâtarde et de race populaire, et c’est tant pis pour la roture. Quant à son père, il n’existe aucune pièce authentique pour fixer les conjectures, et les suppositions ont désigné tour à tour cet abbé Gomard, cité plus haut, et un certain religieux minime de Picpus, nommé frère Lange (on sait qu’elle-même commença sa carrière galante sous le nom de mademoiselle Lange). Quelques années après sa naissance, sa mère épousa un petit commis aux aides, nommé Rançon, que la favorite pensionna plus tard.

Amenée jeune à Paris, la petite Bécu fut placée d’abord dans un couvent par la protection du frère Lange, puis chez un sieur Labille, marchand de modes rue Saint-Honoré ; enfin elle entra, comme demoiselle de compagnie, chez une dame de La Garde, veuve d’un fermier général, puis chez Mme de la Verrière, autre salon financier fréquenté par une nombreuse compagnie de gentilshommes spirituels et libertins. On sait ce qu’était alors la haute société : l’exemple du vice et de la corruption descendait du trône, et la vieille monarchie s’éteignait, comme les antiques empires de l’Asie, dans les paroxysmes d’une débauche sans frein. Douée d’une beauté éclatante, dévorée de la passion du luxe, née pour ainsi dire avec l’instinct du vice, la future favorite trouva sa place naturelle dans cette saturnale et passa par la prostitution pour arriver à la fortune. Suivant le témoignage à peu près unanime des contemporains, elle fut une des pensionnaires de la Gourdan, entremetteuse célèbre, dont la maison peuplée de beautés vénales était le rendez-vous de tous les riches débauchés. C’est pendant cette période de sa vie qu’elle fut distinguée par un roué fameux, le comte Jean Du Barry, qui lui donna, dit-on, le surnom de l’Ange, à cause de sa beauté. Il parait d’ailleurs plus probable qu’elle-même avait pris ce nom en souvenir de son protecteur, le moine de Picpus, comme nous l’avons remarqué plus haut, et sans doute aussi parce que son propre nom de Bécu ne brillait pas précisément par la grâce et la distinction. Nous savons déjà que celui de Vaubernier ne lui fut attribué que par le faux acte de naissance qui servit pour son contrat de mariage.

Une chose encore qui était alors de notoriété publique, c’est que le comte Du Barry exploita la beauté de sa maîtresse pour soutenir le train de sa maison, et qu’il l’offrit au fameux valet de chambre Lebel, dont le principal emploi est suffisamment connu. Mme Lange (ou l’Ange, peu importe) fut présentée au roi par l’ignoble pourvoyeur. Le débauché sexagénaire fut subjugué dès la première entrevue, et la pensionnaire de la Gourdan s’éleva, sans transition, de la condition de fille publique au rang si envié de maîtresse royale (1768). Depuis la mort de Mme de Pompadour (1764), Louis XV n’avait plus de maîtresse en titre, et il commençait à se fatiguer de ses obscures amours du Parc-aux-Cerfs. La beauté du nouvel objet de sa passion, et sans doute aussi l’expérience immonde qu’elle avait acquise dans sa vie de libertinage, plongèrent le vieillard dans une ivresse qui débordait en confidences où sa dépravation s’étalait avec naïveté. La petite Lange, qui avait passé par l’école d’équitation du lupanar, en faisait voir au vieux roi de toutes les façons. C’est ainsi qu’il avouait à ses intimes que jamais il n’avait trouvé tant de charme dans l’amour. « On voit bien, dit avec une gaieté cynique le duc d’Ayen, que Votre Majesté n’est jamais allée voir les filles. » Parfois, cependant, il paraissait sentir son abjection, et, un jour, il dit au duc de Noailles : « Je sais bien que je succède à Sainte-Foix… — Sire, reprit le duc en s’inclinant, comme Votre Majesté succède à Pharamond. » D’autres fois, l’épigramme revêtait la forme poétique ; en voici une, que l’on attribue généralement au duc de Nivernais :

Lisette, ta beauté séduit
    Et charme tout le monde ;
En vain la bourgeoise en gémit
    Et la duchesse en gronde :
Chacun sait que Vénus naquit
    De l’écume de l’onde.

Ces boutades montrent assez fidèlement quelle était, dans l’origine, l’opinion de la cour sur l’étrange liaison du roi. Malgré sa profonde immoralité, cette société, par un reste de dignité qui s’alliait à des répugnances aristocratiques, ne prit point d’abord le soin de dissimuler son dégoût. En outre, trait de mœurs curieux à noter, les grandes dames étaient outrées de voir le souverain choisir une maîtresse d’une si basse extraction.

Cependant Louis XV, emporté, comme toujours, par son sensualisme effréné, s’attachait de plus en plus à cette Vénus impudique qu’on chansonnait, dans toute la France, sous le nom de la Belle Bourbonnaise. Il brûlait du désir de l’afficher comme maîtresse en titre (la maîtresse en titre était une véritable institution dans l’ancienne monarchie) ; mais, pour produire une telle femme à la cour, il fallait qu’elle eût un nom, un titre, un état. Le comte Jean Du Barry était marié, et, ne pouvant réserver pour lui-même les avantages d’une nouvelle infamie, il résolut de marier Mme Lange à son propre frère, le comte Guillaume Du Barry, afin de conserver par cette alliance son ascendant sur l’esprit de la nouvelle favorite, dont il avait préparé la fortune. Le frère Guillaume était un pauvre officier gascon qui n’était pas plus scrupuleux que le comte Jean. À la première ouverture, il accourut de Toulouse, muni du consentement de sa mère, accepta, les yeux fermés, toutes les conditions, et enfin épousa, le 1er septembre 1768, à la paroisse Saint-Laurent, Mlle Lange, devenue Jeanne Gomard de Vaubernier. Le contrat de mariage, qui existe à la bibliothèque de Versailles et dont M. Le Roy a reproduit le texte dans l’ouvrage que nous avons cité plus haut, stipulait une entière séparation de biens entre les deux époux, et laissait la nouvelle comtesse Du Barry absolument libre de ses actions. Le comte ne figurait dans cet acte singulier que pour donner son nom. La comédie matrimoniale achevée, il retourna à Toulouse, grassement renté, pendant que Mme Du Barry venait s’établir définitivement à Versailles. Elle eut un hôtel en ville pour ses équipages et ses gens, et un appartement dans le château, au-dessus de celui du roi, qui pouvait, par diverses communications, lui rendre visite à toute heure et sans être vu (cet appartement fut, dans la suite, approprié pour Marie-Antoinette). Cependant, si la favorite était installée au château, elle ne voyait le roi qu’en particulier ; elle ne pouvait monter dans les carrosses de la cour ; elle ne paraissait point aux dîners, aux grandes réceptions ; en un mot, elle ne faisait point partie des dames ; il fallait pour cela, qu’elle fut présentée. Le roi le désirait aussi ardemment qu’elle. Mais cette présentation dut être laborieusement négociée comme une affaire d’État, et les femmes les plus décriées de la cour s’y montraient opposées, sinon par délicatesse, au moins par orgueil. Elle eut lieu cependant, en avril 1769, en présence de toute la cour et devant les filles du roi. Mme Du Barry eut, dès lors, une position officielle, une maison, une liste civile, une cour ; et le grand Frédéric put baptiser, en son langage soldatesque, la nouvelle souveraine du nom de Cotillon III. (Les deux autres étaient Mmes de Châteauroux et de Pompadour.)

Tous les Du Barry des deux sexes accoururent du fond du midi, pour prendre part à la curée ; moins, toutefois, l’époux honoraire, qui dut continuer à s’engraisser de sa honte à deux cents lieues de Versailles. Il exploitait, d’ailleurs, en conscience sa situation, et il fatigua si souvent la comtesse de ses exigences pécuniaires, qu’elle finit par le mettre à la portion congrue, en lui constituant une rente de 5,000 livres et en obtenant une sentence du Châtelet de Paris, du 1er avril 1772, qui prononçait la séparation de ces deux époux qui jamais n’avaient été réunis. Quant au comte Jean, le ruffian émérite, il eut l’art de conserver sa position et de rester auprès de la comtesse, comme une manière de directeur spirituel. Il en retira plus d’un million, comme cela résulte des comptes aujourd’hui déposés aux archives de Seine-et-Oise. En outre, par l’influence de Mme Du Barry, il maria son fils, le vicomte, personnage aussi mal famé que lui, à une fille de grande maison apparentée aux Soubise et aux Condé. Le roi et la famille royale signèrent le contrat de mariage, et le vicomte Du Barry fut nommé capitaine des suisses du comte d’Artois, pendant que sa femme trouvait, dans sa corbeille, 200,000 livres, petit cadeau de la favorite. Cette dernière n’oublia pas non plus sa propre famille ; par ses soins, la mère Bécu fut transformée en Mme de Montrable et installée au domaine de la Maison-Rouge, à Villiers-sur-Orge. Le beau-père Rançon eut également part à ces largesses, et, lorsqu’il fut devenu veuf, il reçut une pension de 2,000 livres, que la Révolution eut l’inconcevable distraction de lui continuer, et qu’il toucha jusqu’à sa mort, arrivée en 1801. Une nuée d’oncles, de tantes, de cousins, etc., reçurent également des pensions.

Quant à ce que Mme Du Barry reçut elle-même et dévora pendant les six années où elle fut reine de France, il serait, croyons-nous, difficile de l’indiquer d’une manière précise. M. Le Roy, d’après les comptes des archives de Seine-et-Oise et de la bibliothèque de Versailles, porte à 12,500,000 livres le total des sommes que reçut la favorite, ce qui représenterait aujourd’hui au moins 30 millions. Malgré l’énormité de cette somme, elle est certainement bien au-dessous de la réalité. Beaucoup de papiers, mémoires de fournisseurs, états de dépense, etc., ont été dispersés. Parmi ceux qui restent dans les collections publiques, on n’a qu’à jeter un coup d’œil sur les seuls mémoires de fournisseurs, dont MM. de Goncourt, Le Roi et autres ont publié de nombreux extraits, et l’on sera épouvanté de la prodigalité inouïe, du luxe féerique, des dépenses fabuleuses de la trop fameuse comtesse, qui occupait constamment une armée de sculpteurs, de peintres, de joailliers, d’orfèvres, de modistes, etc. La simple description des objets énumérés dans ces mémoires formerait une véritable encyclopédie du luxe, des modes et de la fantaisie, à cette époque où la passion des ruineuses futilités, des bijoux, des pierreries, des étoffes précieuses, etc., fut poussée, comme on le sait, jusqu’à la folie. On y voit figurer, par exemple, entre des milliers d’articles, un moutardier de 5,184 livres, deux cuillers à sucre de 2,054 l., quatre flambeaux de 11,837 l., quelques douzaines d’assiettes et plusieurs flambeaux de 30,174 l., une tasse à lait de 2,687 l., un tapis de 12,196 l., un portrait de la comtesse de 15,000 l., un buste en porcelaine de 12,000 l., une pomme de canne pour un valet de 546 l., des boucles d’oreilles en diamants de 120,000 l., et ces robes lamées d’or et d’argent, mordorées, soutachées d’or, relevées de broderies, de la valeur de 12,000 l. ; ces manchettes de 1,000 l. ; ces garnitures de peignoir de 3,000 l. ; ces déshabillés de 5,000 l. ; ces toilettes de point d’Argentan de 9,000 l. ; ces coiffes de nuit de 2,000 l., etc., et ces notes de parfumeurs de plus de 50,000 l., et ces monceaux de joyaux, de bijoux, de diamants, de perles, d’émeraudes, de rubis ; ces meubles précieux, ces tableaux, ces sculptures, dont l’énumération donne le vertige et qui eussent suffi à remplir un musée. Il faut rappeler encore que la favorite avait une maison vraiment royale, ses pages, sa musique, son aumônier, un peuple de valets qui occupaient, avec les équipages, toute la rue de l’Orangerie à Versailles, plus deux vastes hôtels en ville, enfin son pavillon de Luciennes, qui était une merveille de richesse et d’art. On sait aussi qu’elle puisait à pleines mains dans le Trésor, où ses bons étaient reçus comme ceux du roi.

Toutes ces profusions venaient s’ajouter aux 40 millions et plus qu’avait coûtés Mme de Pompadour, aux dépenses secrètes du Parc-aux-Cerfs, et autres menus frais de galanteries royales. Il ne faut pas oublier qu’alors, outre la dette exigible, les dépenses publiques excédaient les revenus de près de 70 millions par an. La France mourait de faim, mais les plaisirs du roi n’en souffraient heureusement point d’interruption.

Quand on vit que le roi était entièrement et définitivement subjugué par Mme Du Barry, une grande partie de la cour se tourna vers l’astre nouveau, jusqu’au duc d’Ayen, méchante langue qui avait décoché de sanglantes épigrammes, jusqu’à un prince du sang, le comte de La Marche, cadet des Conti. La bassesse des courtisans apparut là dans tout son jour. Mais, on le sait, c’était moins les vices de la comtesse que le néant de sa naissance que ce monde-là lui reprochait, et les grandes dames ressentaient moins d’indignation contre son immoralité que de jalousie contre ses succès. Elle tint son cercle, elle eut son parti ; le maréchal de Richelieu, le prince de Soubise, le chancelier Maupeou et le duc d’Aiguillon étaient les coryphées de cette coterie, qui devint le centre de l’opposition contre le ministre Choiseul. Chose piquante, cette courtisane qu’on accusait publiquement de sortir des plus mauvais lieux, devint l’espoir et l’appui du parti jésuite, le drapeau de la cabale dévote et antiphilosophique. Déjà, lors de la grande affaire de la présentation, le duc de La Vauguyon, l’âme damnée de la compagnie, jugeant qu’il était plus habile d’exploiter les vices du roi dans l’intérêt de la bonne cause que de les combattre de front, s’était lestement rangé du côté de la Du Barry et avait entraîné l’adhésion de Mesdames, les pieuses filles du roi, en leur représentant que cette femme pouvait devenir un instrument utile au renversement de Choiseul et des parlements, et au rappel des jésuites. L’ancienne pensionnaire de la Gourdan se prêta d’assez bonne grâce à restaurer la religion, l’autorité et les bonnes mœurs. Comme toutes les filles, elle avait d’ailleurs une tendance au bigotisme, qui pouvait passer pour de la piété, et elle profitait trop largement de l’absolutisme royal pour n’en pas désirer l’affermissement. En outre, elle avait elle-même besoin d’appui contre Choiseul, qui ne dissimulait point la répugnance qu’il ressentait pour elle, moins peut-être par un scrupule de moralité que par rivalité d’influence, car il avait, dit-on, espéré la même position pour sa sœur, l’altière et spirituelle duchesse de Grammont. On sait que cet avilissant honneur était alors le rêve de toutes les femmes de la cour.

Telle était cette société.

La puissance de la favorite se manifesta par un fait caractéristique : le roi ferma le Parc-aux-Cerfs et fit vendre à un sieur Sévin la maison de Versailles désignée sous ce nom. On expliquait cette influence non-seulement par la beauté de la comtesse, mais encore par ses boutades de courtisane, par ses emportements de bacchante, par les trivialités pittoresques de son langage, par son ton hardi, ses gravelures et ses familiarités joviales, singularités nouvelles et piquantes pour le vieux débauché saturé d’ennui. On sait qu’elle traitait souvent le roi comme un valet de comédie, l’appelant la France, le tutoyant, agaçant par mille malices d’enfant gâté ce demi-dieu, fatigué des plates adulations des courtisans. On connaît cette anecdote : Un jour que Louis XV, oubliant un moment son café, qu’il avait coutume de faire lui-même, papillonnait autour de la comtesse occupée à se poser des mouches devant sa psyché, la liqueur, en bouillant, déborda sur le feu ; sans se détourner, la jolie effrontée cria au vieux Céladon : « Eh ! la France, va donc voir ; ton café f… le camp ! »

C’était par des échappées de cette nature, par des saillies préméditées qu’elle secondait les efforts de la cabale. Un jour, en racontant qu’elle avait renvoyé un de ses laquais, elle disait au roi : « J’ai chassé mon Choiseul, quand chasserez-vous le vôtre ? » Une autre fois, elle faisait sauter des oranges dans ses mains et s’écriait en riant : « Saute, Choiseul ! saute, Praslin ! »

Choiseul sauta en effet, et avec lui Praslin. En décembre 1770, il fut brutalement congédié par le roi, absolument comme Mme Du Barry avait congédié son valet. À l’article consacré à ce ministre, on verra que d’autres causes encore ont déterminé sa chute ; mais il est certain que la favorite y contribua largement par ses obsessions.

Il s’agissait de faire sauter aussi le parlement, en lutte contre la cour. Le roi hésitait à frapper un coup décisif. Bien stylée par Maupeou, la comtesse ne perdit aucune occasion pour exciter la colère du roi contre les robes noires. Un jour, entre autres, elle le plaça devant un tableau que lui avait, à dessein, donné Maupeou, et qui représentait Charles Ier : « Tu vois, la France, si tu laisses faire ton parlement, il te fera aussi couper la tête. »

On sait les grands coups qui furent frappés sur ce corps puissant, l’établissement du parlement Maupeou, la création de nouvelles cours, etc. Ici encore, sans ajouter une foi entière à toutes les anecdotes de ce temps, on ne peut mettre en doute l’influence de Mme Du