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Il courut plus d’une fois des risques sérieux, notamment à la représentation de la Phèdre de Racine, qu’il défendait centre le prince ae Couti. La protection de Cuùàè ne sauva cas Despréaux, si l’on en croit certain sonnet tait à cette occasion :

Dans un coin de Paris, Boileau, tremblant et blême, Fut hier bien frotté, quoiqu’il n’en dise rien.

M. de Nemours l’avait aussi menacé. Le législateur du Parnasse faillit, en outre, s’attirer une grosse affaire avec son vers fameux. :

J’appelle un chat un chat, et Rolet un fripon.

Cent coups de bâton lui furent adressés par la poste, en attendant mieux, far un hôtelier blaisois, qui portait le nom de Rolet, et qui se crut insulté.

À l’étranger, le sort des satiriques n’était pas plus enviable. Dryden, après la publication d’un Essay on Satire, qu’on lui attribuait à tort, fut roué de coups par ordre de Rochester et de la duchesse de Portsmouth ; le duc de Buckingham se mit plus tard de la partie. L’Arétin, qui, avant Dryden, avait reçu, pour un sonnet amoureux... a une cuisinière, cinq coups de poignard, fut bâtonné par l’ambassadenr d’Angleterre à Venise. Nous ne parlerons pas de son aventure avec le Tintoret. Rappellerons-nous que Molière fut menacé du bâton par M. de Montausier, qui se reconnaissait, dit-on, dans l’Alceste du Misanthrope. Molière avait un double titre à l’insolence des grands : il était auteur et comédien. Or, les Humiliations que l’on faisait endurer aux gens de lettres n’étaient rien en comparaison de celles qu’essuyaient journellement les acteurs, placés par l’opinion commune, et par l’Église surtout, au dernier échelon de l’échelle sociale. Le parterre ne se gênait pas pour les humilier, et l’on connaît les paroles de cet acteur, condamné à faire des excuses au parterre : ■ Je n’ai jamais mieux senti qu’en ce moment la bassesse de mon état. » Les corrections de toutes sortes ne leur manquèrent pas. Le prince d’Harcourt, pour les empêcher de jouer une pièce de Scarron, ne voyait pas d’autre argument à mettre en avant que le bâton ; et Bellemore, dit le capitan Matamore, quitta le théâtre pour avoir reçu un coup de canne de la main du poète Desmarets, dont il n’osa se venger, parce que celui-ci appartenait au cardinal. L’Amadis gaulé, comédie, n’est que la mise au théâtre de ce qui arriva à 1 un des acteurs de YAmadis de Liante, qu’un homme de qualité, dont il osait être le rival, avait battn comme plâtre. Le comte de Livry ne se gênait pas davantage avec Dancourt : » Je t’avertis, disait-il à l’auteur-acteur, que si, d’ici à la fin du souper, —tu as plus d’esprit que moi, je te donnerai cent coups de bâton. » Notez que le comte de Livry était l’amant en titre de Mm« Dancourt. On sait que le même Dancourt fut souffleté en plein théâtre par le marquis de Sablé ivre. Les artistes, et entre tous les artistes les musiciens, subirent la loi commune. Maugars, l’excellent joueur de viole, et le chanteur Lambert eurentde fréquents démêlésavec letricot. Lulli, qui battait volontiers ses exécutants, reçut aussi maintes caresses désagréables.

Le cotret jouait, on le voit, un rôle immense dans les relations sociales ; aussi ne faut-il pas s’étonner qu’on l’ait employé si souvent au théâtre. C’est ainsi que, dans les Rodomontades, le duc Aymon dit a son fils : «Si j’empoigne un bâton, je te feray plus sage. » Au xvne siècle surtout, les coups de gaule pieuvent comme grêle dans les romans aussi bien que sur la scène, et la poésie épigrammatique joue partout le même air ; c’est là un des cachets curieux de la littérature de l’époque •-Martin-Bâton est le héros principal de toutes les intrigues en vers ou en prose. Cyrano de Bergerac n’a qu’un refrain : échiner son homme t C’était un de ces coupeurs d’oreilles, toujours prêts à mettre flamberge au vent contre ceux qui marchaient dans leur ombre. Montlleury, menacé par lui, ayant osé paraître sur la scène, notre matamore lui cria, du milieu du parterre, qu’il eût à se retirer au plus vite, sinon qu’il pouvait faire son testament et se regarder comme mort. Montileury obéit, car Cyrano était homme à l’embrocher sur-le-champ. Le poète Suint-Amand réserve de son côté une correction à son libraire dans Y Elégie au duc de Retz ; dans son Poète crotté, il dépeint la condition de certains auteurs « saouls de chiquenaudes et redoutant en diable la gaule. « La menace du bâton est d’ailleurs si bien dans les mœurs, qu’elle prend tous les genres et tous les tons pour aller à son adresse :

Quoi ! Nogaret se mêle

De faire des chansons ?

Ne craint-il point la grêle

De cent coups de bâtons ?

Cette menace prend même le mode lyrique sous la plume du burlesque Scarron, criant à Gilles Boileau :

Taisez-vous, Boileau !e critique : On fait, pour votre hiver, grand amas de fagots ; On veut qu’un bras fort vous applique Cent coups de bâton sur le dos.

Dans ses Imprécations, Scarron souhaite de voir fustigé à tour de bras celui qui lui a volé son Juvénal. Il termine ainsi une de ses satires : ■ Vous savez

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.... Qu’entra les fléaux, famine, guerre, peste, 11 en est encore un, fatal au* rimailleurs, Fort connu de tout temps, en France comme ailleurs : C’est un mal qui se prend d’ordinaire aux épaules, Causé par des bâtons, quelquefois par des gaules. Il résulte suffisamment de ce qui précède : îo que l’abbé Cotin était dans le vrai lorsqu[il disait que les poètes satiriques ont pour destin de mourir le cou cassé ; 2° que les écrivains ne dédaignaient pas de se briser entre eux quelques côtes à l’occasion, comme si les coups de bâton qui leur venaient d’en haut n’eussent pas suffi, si bien que les discussions littéraires se vidaient presque toujours d’une façon plus ou moins analogue à celle que Boileau nous a dépeinte à la fin de sa deuxième satire sur un repas ridicule. On connaît l’ode burlesque de Régnier, où se trouve le récit d’un combat acharné qui eut lieu entre ce poète et Berthelot. Berthelot se vit administrer une autre fois par un gentilhomme de Caen, agissant pour le compte de Malherbe, une volée de bois vert. Malherbe avait d’ailleurs pour habitude de rappeler de la sorte ses confrères^ au sentiment des convenances. Il fut lui-même moulu à souhait par une main experte, qui lui fit largement payer une boutade agressive. Balzac ne se gêna pas non plus pour frapper un avocat d’Angoutéme, qui avait plaidé contre lui : On connaît sa fameuse querelle avec dom Goulu, général des feuillants : elle valut à un jeune avocat de province une correction cruelle, qui fut administrée a celui-ci, de la part dudit Balzac, par un gentilhomme et deux valets. Les écrivains, comme les grands seigneurs, avaient donc déjà, en 1628, leur séides pour ces sortes d’aventures. Un peu plus tard, nous voyons Ménage en démêlé avec Bussy-Rabutin ; Ménage menaça son collègue, et s’en tint heureusement aux menaces ; Boisrobert lui rendit la pareille, et chargea un de ses neveux de lui frotter l’échiné ; Ménage esquiva la vengeance de l’abbé, qui n’y allait pas de main morte.

Un des écrivains les plus maltraités du xviii» siècle, ce fut La Harpe, contre qui on fit cette épigramme, à. l’occasion d’un arrêt du parlement qui le tança vertement, et du prix d’éloquence qu’il remporta le même jour :

La Harpe, joyeux et chagrin

Vante et pleure sa destinée ;

11 est couronné le matin,

Et fouetté l’après-dlnée.

Son visage « appelle le soufflet, » disait-on. « Il a reçu des croquignoles de tous ceux qui ont voulu lui en donner, lit-on dans les Mémoires secrets, et ne s’est vengé que par sa plume, qui ne l’a pas toujours bien servi. ■ En’ butte à la haine, au mépris, aux sarcasmes des gens de lettres, il est malmené par Sauvigny, qu’il a attaqué dans le Mercure (1773) ; par Dorât, qu’il a âprement critiqué (1777), et par Linguet surtout. Les menaces de Dorât firent tant de bruit que l’Académie s’en émut ; elles donnèrent naissance à plusieurs facéties, entre autres à celle-ci, renouvelée d’un calembour du marquis de Bièvre sur Fréron : « Une société d’amateurs, ayant proposé l’année dernière un prix à qui pincerait le mieux de la harpe, a déclaré que ce prix avait été adjugé à M. Dorât : elle se propose de donner l’année prochaine un prix double a celui qui, à la satisfaction du public, aura pu, par le moyen des baguettes, tirer de la harpe des sons plus doux et plus harmonieux. • Deux ans plus tard, la querelle élevée entre les gluckistes et les piccinistes faillit coûter les oreilles ànotre Aristarque. Entre autres gentillesses qu’on lui décocha, on peut lire les vers d’un homme qui aime la musique et tous les instruments, excepté la harpe, que nous avons cités à l’article ARMiDE, Mais nous aurions fort à faire, de rappeler toutes les corrections, avec ou sans accompagnement de vers et de prose, qu’il reçut. L’auteur du Bureau d’esprit, Rutlidge, le soufflette et lui dit : « Mon petit monsieur, c’est un dépôt que je confie à votre joue, pour le faire passer à tous les impudents tels que vous, à Blin de Sainmore, dont il avait vivement critiqué la tragédie à’Orphanis, le rencontre dans une toilette éblouissante, et le roule dans le ruisseau. Une plume de hêtre, disait une épigramme d’une violence inouïe, qu’on se passait de main en main en 1777, voila tout ce qu’il fallait pour le réduire au silence. * Vous remarquerez sûrement, ajoute la Correspondance secrète, le ton avec lequel on parle à ce fameux critique. L’un lui promet des chiquenaudes ; l’autre lui reproche d’avoir eu des soufflets ; celui-ci fait courir une quittance do coups de bâton signée de lui, et enfin celui-là propose de le transporter, comme partisan de 1 antiquité, au milieu de la bataille de Cannes. Cette anecdote nous en rappelle une autre : Un jour que l’abbé de Veyrac s’était rangé sous une porte pour attendre la fin d’une pluie violente, un petit-maître, qui l’aperçut couvert d’un mauvais chapeau, envoya fui demander à quelle bataille son chapeau avait été percé. « A celle de Cannes, » répondit l’abbé, en appliquant au valet chargé de la missive force coups de canne sur les épaules. Pour en revenir à La Harpe, on ne peut s’empêcher de convenir qu’il faut qu’un homme soit bien généralement méprisé pour qu’on puisse impunément se permettre avec lui de pareilles plaisanteries. Un des partisans de La Harpe, car La Harpe avait des partisans, Desaintange, le traducteur d’Ovide, fut, après son chef de file, l’un des écrivains les plus favorisés du tricot. Ayant été gratifié de

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quelques soufflets au café Procope, il reçut une épée de bois, avec ces vers :

Petit roi des nains de Sologne,

De Bébé petit êcuyer,

Petit querelleur sans vergogne,

Petit poète sans laurier.

Au Parnasse petit rentier,

Petit brave, au bois de Boulogne

Tu veux, en combat singulier,

Exposer ta petite trogne :

Eh bien, nous t’armons chevalier.

La Chronique scandaleusé nous parle d’un combat assez singulier, qui eut lieu entre le même Desaintange et un abbé paralytique •. Il donna des coups de canne et reçut des coups de béquille. Le métier de critique, si l’on en juge par ce qui précède, n’était pas une sinécure. Tous les Aristarques n’avaient pas, il est vrai, le sort de La Harpe, qui, d’ailleurs, s’avisa une fois d’envoyer à son confrère Dussieux, l’un des rédacteurs du Journal de Paris, une promesse de coups de bâton en récompense d’un article contre une de ses tragédies. Mais notre homme réussit mal : Dussieux porta plainte au eriminel, et, sur l’intervention de l’Académie, La Harpe dut faire des excuses à son critique. Décidément, La Harpe avait tous les malheurs.

En réalité, le bâton, qui se rencontre à chaque ’ instant sur les lèvres, commence à n’être plus employé que rarement. Les menaces sont fréquentes, mais ne s’exécutent guère. J.-J. Rousseau écrit-il à Saint-Lambert pour le régenter sur sa liaison avec M"1* d’Houdetot : « On ne répond à cette lettre que par des coups de bâton, » dit l’auteur des Saisons "à Diderot. Un critique se permet-il dans un journal quelques réflexions a l’endroit du chorégraphe Noverre, celui-ci court le menacer d’une correction : « Mais, monsieur, vous me parlez comme le pourrait faire un maréchal de France, s’écrie le journaliste. — Si j’étais maréchal de France, riposte le danseur, je sais bien à quoi me servirait mon bâton. » Et les choses ne vont pas plus loin. Lebrun, qui depuis fut Lebrun-Pindare, mécontent d’un jugement de Fréron, se borne a déposer chez celui-ci une carte de visite ainsi conçue : « M. Lebrun a eu l’honneur de passer chez M. Fréron pour lui donner quelque chose. » Ce Fréron est, d’aiHeurs, un insolent, qui ne craint pas, dans son n<> 22 (1764), de dire : « Faute à corriger dans le no 20, page 200, ligne 12 : François-Marie de Voltaire Arouet ; lisez : François-Marie de Voltaire à rouer. » Fréron, cette mauvaise plaisanterie en témoigne assez, fut l’ennemi acharné de Voltaire. C’était un bon homme au fond, mais qui disait du mal pour vivre,

Grand écumeur des bourbiers d’Hélicon, Cet animal se nommait Jean Fréron. Le trait qu’il lançait à l’immortel écrivain était d’autant plus perfide, qu’Arouet, depuis longtemps, n’était plus à rouer. On connaît l’histoire. Un jour qu’il dînait chez le duc de Sully, une discussion s’éleva, et comme il ne se trouvait pas de l’opinion d’un des convives, le chevalier de Rohan-Chabot, celui-ci, nourri dans les habitudes de l’ancienne cour, et ne soupçonnant pas qu’un poète pût servir a autre chose qu’a divertir les grands seigneurs qui daignaient l’admettre en leur compagnie, laissa tomber quelques allusions de mauvais goût sur Voltaire, qui riposta avec esprit : « Quel est donc, demanda-t-il alors, ce jeune homme qui parle si haut ? — Monsieur le chevalier, répondit Voltaire, c’est un homme qui ne traîne pas un grand nom^mais qui honore celui qu’il porte. » Quelques jours après, le poète dînait de nouveau chez le duc de Sully. Un domestique vint lui dire qu’on le demandait en bas pour une bonne œuvre. À peine est-il dehors, que des laquais se mettent à le frapper à grands coups de bâton, jusqu’à ce que le chevalier, qui présidait de loin à cette exécution sauvage, assisté de quatre autres gredins, ait dit : « C’est assez 1 » Cependant Voltaire remonte et supplie le duc de Sully de regarder comme sien l’outrage fait h. un de ses hôtes. Le duc se refuse à tout, même à venir déposer chez le magistrat. Voltaire s’éloigne alors, et pour toujours, — de cette maison plus souillée que lui-même de l’affront qu’il a reçu, rentre chez lui et biffe de la Henriade le nom de Sully, en même temps que celui de Rohan, qui venaient d’être déshonorés. Plus tard, Voltaire adressa la plainte suivante au ministre : « Je remontre très-humblement que j’ai été assassiné par le brave chevalier de Rohan, assisté de six coupe-jarrets, derrière lesquels il était hardiment posté. J’ai toujours cherché depuis ce temps à réparer, non mon honneur, mais le sien, ce qui était trop difficile... » Les tribunaux restèrent muets ; mais Voltaire, qui avait tout plein de sang français dans les veines, voulut se faire justice lui-même. Il s’enferme, et apprend l’escrime pour se battre, et l’anglais, pour vivre hors de France après le duel. Une fois en mesure de tenir une épée, il défia son déloyal ennemi en termes si méprisants, que le chevalier n’osa point refuser le combat. Mais, dans la nuit, la famille de Rohan fit enfermer le poète à la Bastille. Au bout de six mois, il fut permis à Voltaire de sortir... par la porte de l’exil. Au même moment, on condamnait à être rompus vifs un juif hollandais et son complice, pour des coups de bâton qu’ils avaient eu l’intention de donner à M1’" Pélissier, actrice de l’Opéra, et à Francœur, violon de ce théâtre. M"0 Pélissier

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avait été la maitresse du juif, qui avait fait pour elle de folles dépenses, et qu’elle trompait. Rien de tout cela n’échappait à la critique du public :

Admirez combien l’on estime

Le coup d’archet plus que la rime : Que Voltaire soit assommé,

Thémis s’en tait, la cour s’en joue ! Que Francœur ne soit qu’alarmé. Le seul complot mène a la roui. Pourtant il devait être donné au duc de Chaulnes, dans sa querelle avec Beaumarchais, de dépasser encore le chevalier de Rohan. Le noble personnage, soupçonnant l’écrivain d’être préféré par une actrice qu’il protégeait, forma tout bonnement le projet de le tuer. Il faut lire dans l’ouvrage de M. de Loménie, Beaumarchais et son temps, les détails ignobles de la ba’taille. grossière, engagée par ce grand seigneur contre l’écrivain, le3 soufflets et les coups qu’il donne tout d’abord à Gudin de la Brunellerie, ami de ce dernier ; sa lutte corps à corps avec Beaumarchais, et une foule d autres particularités qu’on a honte de rapporter, tant elles inspirent de dégoût. Mais tout cela allait changer. Quelques années plus tard, en 1781, Mozart, que l’archevêque de Saltzbourg traitait comme un laquais, jeté à la porte à coups de pied par le comte d’Arco, pouvait écrire à son père que, partout où il rencontrerait le comte, il lui rendrait la pareille, car les idées marchaient, et l’homme, qui avait conscience de sa dignité, sentait bien que le moment était proche où allait être proclamée l’égalité civile entre les citoyens. Désormais, nous ne nous étonnerons donc plus si nous voyons Dugazon, valet de comédie, bâtonner un maître des requêtes et souffleter le marquis de Langeac. Dugazon vengea, une autre fois encore, sur la joue d’un comte amoureux un des nombreux accrocs faits par sa femme, actrice des Italiens, à la foi’conjugale. Les annales dramatiques nous fournissent encore un autre genre de correction : Favart venait de donner la Chercheuse d’esprit (1741), qui se terminait par treize couplets chantés par tous les personnages. Un jeune auteur, dont le nom ne nous est pas parvenu, parodia ces couplets, en les retournant contre les actrices. Une de ces dernières, M’ie-Brillant, vient s’asseoir a l’amphithéâtre à côté de notre bel esprit, qui se pavanait tout fier de son exploit, le comble de politesses, porte sa chanson aux nues : « Vous ne m’avez pas ménagée, dit-elle, mais j’entends raillerie. Il manque deux ou trois couplets ; voulez-vous me faire l’amitié de venir les écrire dans ma loge ? • Le jeune homme la suit. Mais à peine est-il entré, que toutes les comédiennes, armées de verges, fondent sur lui et l’étrillent impitojablement. L’officier de police eut toutes les peines du monde à l’arracher des mains de ces furies. Aussitôt délivré, le malheureux auteur, sans prendre le temps de se rajuster, fendit la foule attirée parle bruit, et courut, toutes voiles dehors, jusqu’à son logis. Quelques jours après, il s’embarquait pour les îles, et jamais depuis on n’en eut de nouvelles. Traitée à peu près de la même manière sur la terrasse des Feuillants, cinquante-deux ans plus tard, la belle et infortunée Théroigne de Méricourt, lorsqu’elle échappa aux plus lâches violences qu’un homme puisse exercer sur une femme, et aux risées de la foule cynique, avait perdu l’esprit. On le voit, comédiens et comédiennes se mêlaient aussi de faire la guerre aux auteurs ; c’était encore là une guerre entre proches, sinon entre frères- Une certaine demoiselle de théâtre qui était, il est vrai, la maîtresse du prince de Soubise, M’e La Prairie, rompit plus d’une fois sa mignonne cravache sur le dos des folliculaires assez hardis pour l’offenser. Avant elle, la célèbre Maupin fît mieux encore : elle obtenait à l’Opéra une célébrité d’un genre particulier. Ses mœurs, quelque peu lesbiennes, faisaient l’objet d’assez vertes critiques. Mais l’actrice imposait silence, a coups d’épée ou de bâton, à ceux qui avaient l’imprudence de répéter tout haut ce que chacun disait tout bas. Elle se battit, une fois entre autres, contre trois hommes qu’elle tua, dit-on. Insultée par son camarade Dumesnil, elle l’attendit, déguisée en homme, à la place des Victoires, et le bâtonna d’importance ; puis elle lui prit sa montre ainsi que sa tabatière, et s’éloigna. Le lendemain, au foyer des acteurs, Dumesnil racontait à qui voulait l’entendre comme quoi il avait été attaqué par trois grands bandits, qui l’avaient saisi à la gorge et l’avaient volé. o Tu en as menti 1 lui dit la Maupin ; les trois grands bandits c’était moi toute seule, qui t’ai donné des coups de canne ; et, pour preuve de ce que j’avance, voici ta montre et ta tabatière que je te rends. « Ainsi, les comédiens entre eux faisaient volontiers appel à l’arbitre suprême, la bâton. En Angleterre, les choses allaient même jusqu’au tragique. Une discussion qui s’éleva, le 10 mai 1735, entre Macklin et un autre acteur nommé Hallam, au sujet d’une perruque, eut un résultat des plus malheureux. Macklin saisit une canne et en frappa son camarade de telle sorte, que le bout du bâton entra dans l’œil de Hallam et pénétra dans le cerveau. Hallam mourut la lendemain. Macklin, poursuivi comme meurtrier, fut sauvé par la question intentionnelle. Cela ne l’empêcha pas de boxer, en plein foyer, quelque temps après, avec Quin, lequel voulait le forcer de modifier son jeu dans la Franc par leur. Il y a dans les Mémoires d$

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