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que tient dans sa main saint Bernardin, dans un tableau du Louvre, peint par Bonvicino, et où ce saint est représenté debout, à côté de saint Louis évêque. Une estampe, gravée par J. Berbé, d’après. P. de Jode, nous montre l’illustre prédicateur de Sienne vêtu de la robe de bure des cordeliers et ayant à ses pieds trois mitres et trois crosses, insignes des dignités qui lui furent accordées par les papes ; un paysage, où s’élève une ville, occupe le fond de la composition, et un ostensoir resplendit dans le ciel. Ce sujet est entouré de dix autres petites scènes tirées de la vie de saint Bernardin, et qui nous font voir ce personnage : priant aux pieds d’une madone ; soignant les pauvres dans un hôpital ; prenant l’habit religieux ; enseignant au peuple à adorer le nom de Jésus ; obtenant du souverain pontife l’approbation à cette dévotion nouvelle ; traversant, avec un autre personnage, une rivière sur laquelle il a placé son manteau en guise de barque ; ressuscitant un jeune homme tué par un bœuf ; justifié de l’accusation d’hérésie par l’apparition miraculeuse d’une étoile au moment où il prêche ; suivi par une femme malade qui est guérie en touchant le bas de sa robe de cordelier ; donnant ses sandales a. un lépreux qui, en les mettant, trouve la guérison ; couché dans son tombeau et répandant par les narines des flots de sang, dont la vue suffit pour apaiser les Siennois en proie à la guerre civile. Parmi les autres représentations relatives à saint Bernardin, nous citerons : une fresque du xve siècle, dans l’église de Saint-François, à Bologne, peinture aujourd’hui détruite, mais dont la composition, représentant le saint prêchant au milieu d’un nombreux auditoire, a été publiée par d’Agincourt (Peint., pi. 136) ; une autre fresque du Pinturicchio, dans l’église de l’Ara-Cœli, à Rome, magnifique ouvrage qui représente la mort et les obsèques du saint, et qui a également été publiée par d’Agincourt (pi. 187) ; un petit tableau de Crivelli, signé et daté de 1477, appartenant au musée Napoléon III. Dans cette dernière peinture, le saint est figuré debout, tenant un livre dans la main gauche et’ levant la main droite ; il paraît prêcher ; devant lui sont âgenouillés deux petits personnages.

WÎKNAIIDIN DE CARPENTUAS (Henri-André, dit le Père), né à Carpentras en 16-19, mort en 1714. Il fit partie de l’ordre des carmes et professa la philosophie et la théologie. Il a publié, sous le titre de : Antiqua priscorum hominum philosopliia evidentibus demonstrationilms... (Lyon, 1698, 3 vol. in-S0), un ouvrage dans la préface duquel il déclare qu’il a secoué le joug de l’école et qu’il ne s’est pas assujetti à jurer sur la parole du maître.

BERNARDIN DE PÉQUIGNY, théologien français, né à Péquigny, en Picardie, vers 1633, mort en 1709. Il entra dans l’ordre des capucins, professa la théologie et acquit un grand renom par son enseignement. Ses principaux ouvrages sont : Triplex Expositio in Evangelium (Paris, 1704, in-fol.), et Triplex Expositio in epistolas D. Pauli (Paris, 1704, infol.). Ce dernier commentaire sur les épîtres de saint Paul passe, parmi les théologiens, pour un des meilleurs qui aient été écrits en ce genre. Il a été traduit en français par le P. d’Abbeville (1714, 4 vol. in-12).

BERNARDIN DE SAINT-PIEIUIE (Jacques-Henri), célèbre écrivain français, né au Havre le 19 janvier 1737 d’une famille qui avait des prétentions plus ou moins fondées à la noblesse, et qui, suivant la piquante expression de M. Sainte-Beuve, aurait aime à descendre du fameux bourgeois de Calais, Eustache de Saint-Pierre, mais qui n’avait, d’ailleurs, aucune preuve de cette filiation. À ses débuts dans le monde, -Bernardin, nourri des traditions du foyer, prit lui-même le titre de chevalier de Saint-Pierre et se composa des armoiries de sa façon, ce qui rendit parfois sa position un peu fausse et lui causa des désagréments auxquels il était extrêmement sensible.

La vie de ce grand écrivain fut aventureuse et troublée, comme celle de Jean-Jacques. Doué d’une sensibilité irritable et nerveuse et d’une imagination vagabonde, il manifesta, dit-on, dès l’enfance, le goût des rêveries solitaires à travers la campagne ou au bord de l’Océan, la passion des grands spectacles de la nature, en même temps qu’un caractère inquiet, impétueux, défiant et insoumis. À douze ans, il rêvait la vie des anachorètes dans le désert ou la cabane de Robinson. Un peu plus tard, son idéal, sa chimère fut la fondation de quelque colonie lointaine, de quelque Salente qu’il peuplait à son gré d’un monde choisi et dont il serait le législateur et l’Orphée. Il était dans ces dispositions romanesques, lorsqu’un de ses oncles, capitaine d’un vaisseau marchand, proposa à ses parents de l’emmener a la Martinique. Les fatigues, la subordination, l’obligation du travail refroidirent bientôt l’enthousiasme de l’adolescent. > Je reviens de ce voyage, confesset-il lui-même, encore plus mécontent de mon parent, de la mer et de cette lie où j’avais pensé mourir du mal du pays, que je ne l’avais été de mon pédagogue et de son collège. » Tel il se montre en cette circonstance, tel il sera dans le cours entier de son existence aventureuse : plein d’exaltation pour l’inconnu, amoureux de poétiques chimères, mais incapable de se plier aux nécessités de la vie et poussant même quelquefois l’indépendance

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jusqu’à en éluder les devoirs. À son retour en France, on le plaça chez les jésuites de Caen pour y continuer ses études. Naturellement, au récit des voyages et des missions, il s’enflamma du projet d’aller convertir les peuplades sauvages ; mais personne n’était moins propre que lui pour de si rudes labeurs. Son père, d’ailleurs, avait d’autres vues. Il l’envoya au collège de Rouen pour achever son éducation, puis le fit entrer à l’École des ponts et chaussées. Cette école ayant été supprimée, le jeune Bernardin fit des démarches pour être admis dans le génie militaire, et, par un hasard singulier, dut à une erreur de l’administration un brevet d’ingénieur. Il fit la campagne de Hesse, en 1760, mais ne put se plier à la discipline et fut suspendu de ses fonctions. Peu de temps après, il obtint d’être envoyé comme ingénieur à Malte, alors menacée d’un siège, et en revint bientôt, après avoir essuyé de nouveaux déboires. Mécontent, irrité, ne pouvant obtenir sa réintégration aussi vite qu’il l’aurait voulu, il vécut quelque temps à Paris, en donnant fort inexactement quelques leçons de mathématiques ; las de son uenûinent et de son obscurité, il revint à son projet d’êtrejégislateur en grand, et résolut d’aller proposer ses services h Catherine de Russie. Rien ne lui paraissait plus simple et plus naturel que cet aventureux dessein. L’idée, en elle-même, est d’ailleurs assez originale ; mourant de faim, dans un grenier du quartier Saint-Jacques, qu’avait-il, en effet, de mieux à faire que de fonder un empire ? Que Catherine voulût bien lui concéder un territoire vers la mer Caspienne, et sa république idéale devenait une réalité. C’était, du moins, sa conviction. Il emprunta, comme il put, quelque argent à ses amis et se mit paisiblement en route par la Hollande. À Amsterdam, il fit la connaissance d’un journaliste français, nommé Mustel, qui lui offrit de l’attacher à sa Gazette ; mais une position aussi médiocre ne pouvait convenir à un homme qui portait un monde dans sa tête, et qui avait rêvé pour lui-même une sorte de royauté semi-mythologique. Il remercia Mustel, lui emprunta un certainnombre de ducats et poussa plus loin, gagnant des amis le long de sa route, car il avait du charme et de l’attrait. D’emprunts en emprunts, il atteignit Saint-Pétersbourg, où il arriva avec 6 fr., et où il apprit que Ta cour était, pour le moment, à Moscou. Il allait manquer de pain et d’asile, quand un hasard heureux lui procura la protection du maréchal de Munich, qui lui donna les moyens de se rendre à Moscou et lui fit obtenir une sous-lieutenance. En même temps, Bernardin avait eu la bonne fortune de se lier d’amitié avec le Genevois Duval, joaillier de la couronne, homme cordial et bon, qui lui rendit les plus grands services. Placé auprès d’un Français, le général du Bosquet, protégé par M. de Villebois, grand maître de l’artillerie (qui, dit-on, eut un moment l’idée de faire du bel aventurier un favori de Catherine, pour renverser Orlof), le jeune Bernardin voyait s’ouvrir devant lui l’avenir le plus brillant. Il fut présenté à. l’impératrice ; mais, en présence de toute la cour, le beau discours qu’il avait préparé expira sur ses lèvres ; il se résigna à remettre à Orlof le mémoire où étaient exposéstous les a->*ntages qui devaient résulter pour la Russie ûc la réalisation de son grand projet de colonie ; le favori ne l’ouvrit probablement jamais ; du moins, il n’en fut plus question. Le jeune législateur, affligé de la ruine de ses espérances, se laissa emmener en Finlande par le général du Bosquet, pour en étudier les positions militaires, et se décida, à son retour, a quitter le service de la Russie. Il se rendit en Pologne, où il trouva un ami dévoué dans le résident de France à Varsovie, M. Hennin. Ses aventures dans ce pays, ses amours avec une princesse polonaise, ses nouvelles déceptions ont été longuement racontés par son biographe enthousiaste et son disciple Aimé Martin, mais avec une richesse de détails et sur un ton romanesque qui font naître quelques doutes sur l’exactitude minutieuse du récit. Quoi qu’il en soit, Bernardin rentra on France, en 17GG, pauvre et chargé de dettes. Il se remit aussitôt à accabler les ministres de mémoires, de projets et de sollicitations, en même temps qu’il coordonnait ses observations et ses souvenirs de voyages. À cette époque, il commençait a sentir sa vocation d’écrivain ; mais, envoyé à l’île de France comme capitaine ingénieur, il se laissa entraîner par sa passion des aventures et partit avec d’autant moins d’hésitation, qu’on semblait l’autoriser à tenter l’application de ses idées de colonisation à Madagascar. Il devait rapporter de ces contrées des impressions et des tableaux qui aidèrent puissamment au développement de son admirable talent descriptif. Il passa trois ans à l’île de France, où if se brouilla un peu avec tout le monde, notamment avec l’intendant Poivre, revint en France après bien des déboires (1771), et se remit à tenter et à fatiguer la fortune.

Dans cette première partie de sa carrière, dont on ne peut retracer ici tous les détails, on le voit courir de déception en déception, laissant tout échapper, parce qu’en réalité il ne s’applique sérieusement à rien ; ambitieux, mais inconstant ; poursuivant très-ardemment ia fortune, mais négligeant dela-saisir quand elle se présente à lui ; enfin, manquant son but parce qu’il dédaigne les stations intermédiaires et qu’il veut l’atteindre d’un bond. A

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cette époque de sa vie, il sent déjà le dieu qui est en lui, il a conscience de ses véritables aptitudes, et bientôt il va se résigner à n’être qu’un écrivain de génie, lui qui avait rêvé la gloire du héros et le prestige du législateur.

C’est alors qu’il rédigea son Voyage à Vile de France, publié pour la première fois en 1773. «Dans ce premier essai, dit M. Sainte-Beuve, on saisit déjà le fond et les lignes principales de son talent : c’est moins développé, moins idéal, mais en cela même

aussi plus réel par endroits et plus vrai en un sens que ce qu’il dira plus tard dans les Études et les Harmonies... Il y a de la sobriété et un tour très-net dans ce Voyage, écrit sous forme de lettres à un ami ; ce sont de vives esquisses plutôt que des tableaux I... L’ouvrage ne fut remarqué que de quelques-uns : pour que les hommes fassent attention à un talent et à un génie, il faut qu’il leur apparaisse avec plénitude et surcroit, et qu’il leur en donne toujours un peu trop. » Avec sa finesse habituelle, le célèore critique des Lundis signale aussi, dans ce début d’un grand talent, l’empreinte des idées généreuses qui sont l’honneur de cette littérature et de ce temps ; mais ce n’est pas ce côté qui charme et attire le plus le spirituel Causeur. Son scepticisme bourgeois n’y voit même qu’un sujet de douces moqueries et d’aimables ricanements. « On reconnaît, dit-il, le petit couplet philosophique qui commence... Les gravures ont un caractère philanthropique marqué et sont surtout destinées à attendrir sur le sort des noirs ; elles sentent le voisinage de l’abbé Raynal... » On voit, enfin, que le bourgeoisisme satisfait de ce raffiné littéraire n’est pas éloigné de reprocher à son auteur cette noble préoccupation des misères de ses semblables comme une imperfection artistique, une faute de composition.

Accueilli par d’Alembert, Bernardin parut dans les salons de Mlle de L’Espinasse et y rencontra la société philosophique et littéraire du temps. Mais sa susceptibilité ombrageuse, son caractère personnel et quinteux, et sans aucun doute aussi de graves dissidences d’opinions, amenèrent de l’aigreur dans ses relations avec les encyclopédistes. Il s’éloigna d’eux, se repliant dans son orgueil blessé, et alla mêler ses âpres rancunes à la misanthropie de Jean-Jacques, avec qui il se lia d’une amitié aussi étroite que le comportait l’état moral du grand et malheureux philosophe. Le disciple, d’ailleurs, traversait alors une crise qui n’était pas sans analogie avec la maladie noire de son maître, et dont il a lui-même tracé un tableau saisissant dans le préambule de son Arcadie. Aigri par tant de déceptions, consumé par la flamme intérieure de son génie méconnu, irrité des dédains qu’il avait subis, il éprouvait, à l’aspect de ses semblables, une répugnance qui allait jusqu’à l’horreur, jusqu’à ne pouvoir traverser une allée de jardin public où plusieurs personnes , étaient rassemblées, jusqu’à ne pouvoir supporter la vue de l’eau. « Il y avait des moments, dit-il, où je croyais avoir été mordu, sans le savoir, par quelque chien enragé. »

Aimé Martin, dans sa biographie quasi mythologique de Bernardin de Saint-Pierre,

attribue ce triste état à une espèce d’exaltation de vertu qui ijous reporte aux philosophes de l’âge d or. Il faut sortir de ces apologies outrées, de ces dithyrambes, si l’on veut retrouver l’homme vrai, avec ses passions, ses misères morales et ses grandeurs réelles. Il y avait bien des préoccupations personnelles dans cette fièvre misanthropique ; et, sans méconnaître les aspirations de l’auteur des Études vers un état social plus juste et plus moral, tout ce qu’on sait de lui autorise à dire que le ressentiment de n’avoir pu conquérir sa place légitime entrait pour quelque chose dans ses mépris pour les hommes et la société. Sous ce rapport, il était inférieur à Jean-Jacques, pur de convoitises, et qui avait embrassé la pauvreté par principe et avec la mâle austérité d’un vrai philosophe.

Preuve bien concluante : à la même époque, Bernardin fatiguait, accablait le gouvernement et les bureaux de demandes d’argent ; il supposait avoir droit à des indemnités pour ses équipées de Russie et de Pologne, pour ses entreprises avortées, pour ses mémoires, qu’on n’avait jamais ni demandés

ni lus. Son ami dévoué, M. Hennin, devenu premier commis aux affaires étrangères, s’épuisait à le servir et se désolait de ses exigences, de ses susceptibilités et de son humeur atrabilaire. À force de sollicitations et de gratifications arrachées, Bernardin était parvenu à se créer des ressources modestes, mais assurées. Il n’en conserva pas moins toute sa vie, même dans les temps où ses pensions et le produit de ses ouvrages lui procuraient une large aisance, ses habitudes de plainte et de sollicitation, lldemandait toujours et recevait de toutes mains. Il est peu de lettres de lui qui ne contiennent, avec des effusions de sensibilité sur lui-même, de sempiternelles jérémiades sur son état de gêne et quelque demande de secours ; et cela, répétons-le, au moment où il était grassement rente. Nous ne citerons pas Ce qu’on trouve, à ce sujet, dans le Mémorial de Sainte-Hélène non plus que d’autres anecdotes bien connues ; et même, nous n’aurions pas rappelé ces tristes détails, si leur notoriété ne nous en eût imposé l’obligation et s’ils n’étaient consignés partout. Quoi qu’en ait dit l’enthousiaste Aimé Martin (qui, d’ailleurs, savait bien à quoi s’en tenir), ce ne

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sont pas là, malheureusement, des calomnies, et M. Sainte-Beuve, plus indulgent cependant

fiour les défaillances de caractère que pour es fautes de goût, n’a point cherché à dissimuler cette malheureuse faiblesse du grand écrivain, qui, dit-il, ’ faisait alterner perpétuellement l’idylle et le livre de comptes. Le détail de toutes ces misères n’est pas déplacé dans la vie d’un grand homme ; car si l’on admire le génie de 1 écrivain, on serait heureux de pouvoir estimer en même temps le caractère du personnage.

Bientôt Bernardin de Saint-Pierre allait se révéler par un ouvrage auquel il travailla pendant six années, les Études de la nature, et qu’il termina dans l’hiver de 1783-1784. Aucun libraire ne voulait se charter des frais d’impression, lorsque le hasard t tomber le manuscrit entre les mains d’un prote de Didot jeune, nommé Bailly, qui, seul de tous ceux qui avaient eu l’ouvrage entre tes mains, sut en apprécier le mérite ; il en prédit hardiment le succès, et son jugement eut l’heureux effet de décider Didot à affronter les frais d’impression. Le succès fut immense. Pauvre et inconnu la veille, l’auteur s’éveilla dans la gloire et devint, en un moment, le favori de l’opinion. Il avait-alors quarante-sept ans.

On trouvera l’analyse critique des ouvrages de Bernardin de Saint-Pierre aux articles de ce Dictionnaire qui leur sont spécialement consacrés ; nous n’avons donc pas à nous en occuper ici. Rappelons seulement que les Études sont une suite de tableaux des beautés de la nature pleins de fraîcheur et de coloris, liés entre eux et rattachés, comme preuves et comme développements, à quelques principes généraux : Dieu, les attraits de la vertu, les plaisirs de la solitude, le charme des biens naturels et des affections domestiques, la grandeur de la création, l’ordre et l’harmonie de la nature. Cet ouvrage avait toutes les beautés et quéques-uns dos défauts qui firent plus, tard la fortune du Génie du christianisme ; la richesse même des descriptions a paru excessive à quelques critiques. Joubert disait du style de l’auteur : « Quand on l’a lu longtemps, on est charmé de voir la verdure et les arbres’moins colorés dans la campagne qu’ils ne le sont dans ses écrits. »

Déiste convaincu, comme son maître Rousseau, il combat les athées : il prouve la providence divine par des idées tirées de l’ordre sentimental et poétique, par le spectacle grandiose de Vharmome des mondes. Des métaphysiciens rigides pourraient lui reprocher

d’avoir trop exclusivement cherché Dieu dans la nature extérieure ; de ne l’avoir pas assez vu dans l’homme, dans l’enfantement laborieux des sociétés, dans le développement de la civilisation. Mais c’était là, on le comprend, une conséquence de sa misanthropie. Quant à ses paradoxes scientifiques : les marées produites par la fonte des glaces polaires, l’allongement des pôles et autres hypothèses de sa brillante imagination, cela n’est plus à réfuter. Les savants le traitèrent en poète et dédaignèrent de lui répondre. Il en était fort choqué et se plaignit, un jour, au premier consul de ce silence significatif. « Savez-vous le calcul différentiel ? répondit Bonaparte.-Non.

— Eh bien I allez l’apprendre, et vous vous réfuterez vous-même. » C’était l’opinion nette, juste, carrée par la base, d’un homme de génie ; mais ce jugement n’ébranla même pas les convictions orgueilleuses du prétendu savant, qui n’apprit pas le calcul différentiel, et qui continua de soutenir ses chers systèmes, s’imaginant sérieusement refaire la science par l’éloquence, la dialectique et le sentiment.

oes idées sur la philosophie, sur les sociétés humaines, sur la civilisation ont généralement peu de portée. Il a des inspirations généreuses, des vues quelquefois neuves ; mais tout cela est noyé dans de vagues généralités et tourne, le plus souvent, a la pastorale. Il a, sous ce rapport, singulièrement affadi Rousseau, et même amolli son premier modèle, le tendre Fénelon. Il faut croire que ses principes ne parurent pas bien redoutables, puisque, après la publication des Études, il put espérer une pension du clergé (à cause de ses plaidoyers en faveur de la Providence). Il paraît qu’il en fut question, et que le clergé eut, un moment, l’idée singulière de l’adopter comme adversaire de Buffon et des encyclopédistes. Il fallait être bien dénué d’avocats pour opposer un tel athlète à,1a science du grand naturaliste et à la véhémence passionnée des Diderot et des d’Alembert. s

En 1788, Bernardin de Saint-Pierre publia la fin de ses Études, et, en même temps, Paul et Virginie, création suave et ravissante, qui reste son œuvre véritablement immortelle. S’il faut en croire Aimé Martin, l’auteur l’avait lue, un soir, chez M"«i Necker, avant la publication, devant l’élite de la société littéraire de ce temps. D’abord, on avait écouté en silence, puis chuchoté, baillé et souri de pitié ; Buffon avait demandé ses chevaux pendant la lecture ; Thomas s’était endormi ; les plus rapprochés de la porte avaient fui, Quelques dames, seules, avaientété touchées ; mais les plaisanteries de Necker les firent rougir de leur attendrissement. Le malheureux Bernardin rentra, désespéré, dans sa mansarde de la rue Saint-Étienne-du-Mont ; il songeait à jeter au feu le précieux manuscrit, lorsque son ami, le peintre Vernet, lui en demanda la lecture, se montra transporté d’enthousiasme et lui assura qu’il avait fait un chef-d’œuvre.