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■était le fils d’un laboureur appelé Pace ou Paccio Mecherino. Un jour que Domenico, encore enfant, s’amusait, tout en gardant les troupeaux, à dessiner je ne sais quelle figure sur une pierre, d’autres disent sur le sable d’un ruisseau, il attira l’attention d’un riche bourgeois de Sienne nommé Lorenzo Beecafumi, qui le demanda à son père, le conduisit à la ville, et le fit entrer dans l’atelier de G.-B. Capanna. Le jeune berger devenu peintre ajouta à son nom celui de son bienfaiteur. Il n’avait que seize ans lorsque le Pérugîn vint travailler à Sienne. Il s’exerça à copier les ouvrages de cet artiste célèbre et suivit pendant quelque temps sa manière. Plus tard, sous Je pontificat de Jules II, il fit un voyage à Rome et s’enthousiasma des peintures de Michel-Ange et de Raphaël. Après deux ans d’études diaprés ces maîtres, il retourna il Sienne, où il devint le rival du Sodoma, qui jouissait alors dans cette ville d’une grande réputation. Il exécuta, en concurrence avec lui, un nombre considérable de peintures à fresque, à la détrempe, à l’huile, dans les églises et les palais. Parmi les sujets dont il décora la cathédrale, on remarque les Evangélistes et divers épisodes de l’histoire de Moïse. Mais l’œuvre la plus importante qu’il exécuta dans cet édifice fut la mosaïque en marbre du pavé, dans laquelle il représenta le Sacrifice d’Abraham, Moïse brisant les tables de la loi, le Frappement du rocher et quelques autres scènes bibliques, vastes compositions qui ont été gravées par Andreani et Baldassare Galbuggiani. Pour exécuter ce pavé, que Vasari proclame « le plus beau, le plus grand et le plus magnifique qui ait jamais été fait, » Beccafumi choisit d*es marbres’blancs pour les clairs des figures, d’autres d’un blanc plus éclatant pour les lumières plus vives, des gris pour les demi-teintes, des bruns pour les ombres, et il se servit même parfois de stuc noir pour marquer les traits les plus forts. Il tailla ces marbres et les assembla avec tant d’art, que d’habiles connaisseurs, tels que Mariette et Bottari, ont cru qu’il n’avait employé que du marbre blanc coloré artificiellement à l’aide" de certaines teintures. Le prince Doria, venu à Sienne à la suite de Charîes-Quint, fut si émerveillé de ce grand ouvrage, qu’il proposa à Beccafumi de venir à Gênes pour y décorer son palais. L’artiste déclina d’abord cette invitation ; mais, sur de nouvelles instances du prince, il se décida a partir. Son séjour à Gênes fut, d’ailleurs, " de courte durée ; après avoir achevé dans le pa’ lais Doria une frise représentant des enfants, ouvrage commencé par Pierino del Vaga et le Pordenone, et après avoir peint, au-dessous de la portion qui lui était échue dans cette frise, un Episode de l’histoire de Mêdée et de Jason, il revint dans sa chère ville de Sienne, hors de laquelle, suivant ses propres expressions rapportées par Vasari, il lui semblait ne plus savoir manier un pinceau. Il y mourut en L551, et fut enterré dans la cathédrale. Ses principales peintures se voient dans cette ville. Outre celles dont nous avons parlé, on cite un tableau de l’église Saint-Benoit des Olivétains, exécuté dans la première manière de l’artiste, sous l’influence du Pérugin, et représentant saint Benoit, saint Jérôme et sainte Catherine. Ce premier style se distingue par son extrême douceur, par la beauté et la grâce des tetes. « Après que Beccafumi eut étudié Michel-Ange, dit Lanzi, il aspira à devenir plus fort ; mais, dès lors, il parut souvent grossier dans ses formes, négligé dans le dessin des extrémités, défauts qui s’accrurent dans sa vieillesse. Sa manière de colorier n’est pas la plus naturelle. Il répandit dans ses tableaux une teinte rougeâtre, qui, cependant, flatte et égare la vue ; ses couleurs sont, d’ailleurs, nettes, brillantes, et fondues de telle sorte qu’elles se sont-conservées sans altération sur les murs jusqu’à nos jours. Il réussit mieux, a la.détrempe qu’à l’huile, et ses fresques historiques lui firent, en général, plus d’honneur que ses autres peintures. Il les traite avec grandeur, avec dignité, avec esprit ; il leur donne de l’étendue par la perspective, et de l’intérêt par l’observation Iidèle des usages. Il se plaît surtout à certains détails plus profonds, quoique moins apparents pour les yeux peu exercés, tels que des effets de la réverbération du feu ou de toute autre clarté, et des raccourcis fort difficiles. » Vasari décrit longuement une figure de la J us tice-, -qu’il dit être une des plus belles que l’on ait jamàisjieintes en raccourci. Cette nguïii-était placée œanç. la voûte de la salle de conseil des magistrats dè-Stienne, et était entourée de tableaux de forméronde, dans chacun desquels était représenté un fait mémorable de l’histoire des Siennois. Les peintures de Beccafumi sont en petit nombre dans les musées. Le Louvre possède une grisaille sur cuivre, Jésus au jardin des Oliviers ; le^nusée de Naples, une Déposition de croix ; la galerie des Offices, une Sainte Famille et le portrait de l’artiste ; le palais Pitti, une Sainte Famille ; l’église Saint-François de Paule, à Gênes, une Ascerision ; le palais Spinola, de la même ville, une petite Sainte Famille, qui est, dit-on, un chef-d’œuvre ; la galerie de Berlin, la Vierge, l’Enfant et saint Jean ; la Pinacothèque de Munich, le même sujet, qui figurait aussi dans la fameuse galerie Pourtalès. Beccafumi, que quelques biographes appellent encore le Mecherino ou le Alickarino, fut aussi habile comme sculpteur que comme peintre ; il fondit lui-même en bronze plusieurs statues, qu’il avait

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modelées. On lui attribue aussi une vingtaine d’estampes, qui sont anonymes ou signées : Micarino fe. ; mais, suivant M. Ch. Blanc, il est douteux que ce soit lui qui les ait gravées. Plusieurs de ces estampes représentent des figures de saints en clair-obscur ; une suite de dix pièces, gravées sur bois, offre des sujets d’alchimie ; une pièce, gravée au burin et datée de 1515, est le portrait du pape Paul III.

BECCARD, V. BÉCARD.

BECCARI (Augustin}, poste italien, né à Ferrare en 1540, mort en 1590. Après avoir étudié la philosophie et la jurisprudence, et s’être fait recevoir docteur en droit civil et en droit canon, il s’adonna à la poésie, et fit sa réputation par une pièce intitulée II Sacrifizio, dont Alfonso délia Viol^ composa la musique, et qui fut représentée en grande pompe devant le duc de Ferrare Hercule II, en 1554. Cette pièce, froide et langoureuse, fait époque dans l’histoire du théâtre italien, parce qu’elle est la première comédie pastorale que l’on connaisse et parce qu’elle fait de Beccari le véritable inventeur du genre. Il Sacrifizio a été imprimé à Ferrare (1555 in-4o).

BECCARI (Jacques-Barthélémy), médecin et savant italien, né à Bologne en 1682, mort •en 1766. Reçu docteur en philosophie et en médecine, en 170-1, il se livra à l’enseignement des sciences physiques, et devint, avec Morgagni, Manfred, Eustathius, etc., un des créateurs de l’académie des lnquieti ou des hommes sans repos. Lorsque le comte Marsigli fonda en 1711, à Bologne, le célèbre institut des sciences et des arts, Beccari fut chargé d’y professer la physique. Président de la section des sciences de cet institut en 1723, membre de la Société royale de Londres en 1728, il fut appelé, en 1750, à remplacer Bazzano à la présidence de l’institut, et il fit adopter à cette époque, par ce corps, des règlements qui sont encore en vigueur. Jusqu’à la fin de sa vie, Beccari fit des cours et exerça la médecine avec succès. U avait l’habitude de dire qu’il importe au moins autant d’étudier la médecine de l’esprit que celle du corps, et que se modérer, c’est durer. On a de lui un grand nombre d’écrits, notamment : Lettera al cava~ lier Tkomasso Dercham, intorno la meteora chiamata foco fatuo (Naples, 1734, in-4o) ; Parère intorno al taglio délia macchia di Viareggio (Lucques, 1739, iiiT4°) ; De quamplurimis phosphoris nvnc prirnum detectis commentarius (Bologne, 1744, in-4o) ; Consulta medica (Bologne, 1777-1781, 3 vol. in-4o). Dans sa dissertation De longis jejuniis, il répond au cardinaL Lambertini, qui s’était enquis près de l’académie, s’il ne fallait pas considérer comme un/miracle la longue abstinence de toute nourriture, dont certains anachorètes ont donné l’exemple. Beccari se prononce énergiquement pour la négative.

BECCARIA, célèbre famille italienne du XIVe siècle. Elle a joué un rôle important dans les querelles des Guelfes et des Gibelins, et elle représentait à Pavie ce dernier parti. Appelée au pouvoir par l’empereur Henri VII (1313), elle en chassa Philippone, comte de Langusco, et le conserva pendant quarante-trois ans, en se mettant sous la protection des Visconti, chefs des Gibelins en Lombardie. Mais ayant abandonné, en 1356, le parti des Visconti pour embrasser celui de Montferrat, les Beccaria attirèrent sur Pavie une guerre terrible. Les habitants de cette ville, excités par un moine républicain, Jacques de Bussolari, réussirent pendant quelque temps à repousser les attaques des Visconti ; puis, impatients de la tyrannie des Beccaria, ils les chassèrent de Pavie (1357), rasèrent leur palais et proclamèrent la république. Les Beccaria rentrèrent dans leur patrie lorsque Pavie tomba au pouvoir des ducs de Miian ; mais ils y vécurent en simples particuliers. Toutefois, en 1402, après la mort de Jean Galéas, les Beccaria s’emparèrent du pouvoir, sous prétexte de gouverner pendant la minorité des deux fils de ce seigneur. Philippe-Marie, le plus jeune des Visconti, étant parvenu à s’échapper, se fit proclamer à Milan, ordonna l’arrestation de Castellino Beccaria, qui fut mis à mort dans sa prison en 1418. La même année, Lancelot Beccaria, pris au château de Serravalle, fut pendu, et, depuis cette époque, cette puissante famille ne joue plus aucun rôle politique.

BECCARIA (Jean-Baptiste), physicien italien, né à Mondovi en 1716, mort en 1781. Après’être entré dans la congrégation des clercs réguliers à Rome, il professa successivement la grammaire, la rhétorique, la philosophie, à Rome et à Palerme ; puis il s’adonna avec passion à l’étude des sciences physiques et mathématiques, fut nommé par Charles-Emmanuel professeur de physique à l’université de Turin (1748), et enfin chargé de l’éducation des princes Benoît, duc de Chablais, et Victor-Amédée deCarignan. Beccaria jouit de la plus haute considération à la cour de Turin et près des savants les plus illustres de son temps. Physicien éminent, il s’occupa surtout d’électricité, et fit de nombreuses expériences, qui mirent en lumière la théorie de Franklin, et dont il publia les résultats dans des ouvrages remarquables par l’élégance du style, notamment dans les suivants : Dell’ Elettricismo naturale ed artifiziale (Turin, 1753) ; Lettere sull’elettricismo (Turin, 1758) ; Expérimenta atque observationes quibus eleclricitas vindex late constituitur (17Ô9) ; Dell’ elettricismo artifiziale (1772) ; Dell’ elettricita ter-

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resire atmosferica (1775). Ayant reçu „du roi de Sardaigne, en 1759, la mission de mesurer un degré du méridien en Piémont, Beccaria fit cette opération de concert avec l’abbé Canonica, et publia les résultats obtenus, sous le titre de Gradus Taurinensis (Turin, 1774, in-4o). Cassini émit des doutes sur l’exactitude de la mesure de Beccaria ; mais’celui-ci démontra, dans une dissertation anonyme, Lettere d’un Italiano ad un Parigino, etc. (Florence), qu’il avait été obligé d’admettre une déviation très-forte du pendule, déviation causée par l’attraction des Alpes. On possède en outre, de ce savant, de nombreux mémoires et articles sur la physique, l’astronomie, etc.

BECCARIA (César Bonesana, marquis de), •célèbre publicisteitalien, né le 15 mars 1738’à Milan, mort dans la même ville le 28 novembre 1794. Élevé chez les jésuites de Parme, il se livra avec ardeur à l’étude des belleslettres et des mathématiques. La lecture de quelques livres français ne tarda pas à tourner son esprit vers la philosophie. « Je dois tout, dit-il dans sa correspondance, je dois tout aux livres français. Ce sont eux qui ont développé dans mon âme les sentiments d’humanité étouffés par huit années d’éducation fanatique. » Il cite parmi les écrivains dont la lecture lui était le plus familière : d’Alembert, Diderot, Buffon, Hume, Montesquieu, Helvétius. Il en parle avec une admiration sans bornes ; il ne peut, dit-il, prononcer leurs noms sans émotion ; leurs ouvrages immortels sont sa lecture continuelle, .l’objet de ses préoccupations pendant le jour, et de ses méditations dans le silence des nuits. C’est à la lecture des Lettres persanes qu’il doit sa première initiation à la philosophie ; c’est l’ouvrage dlielvétius, l’Esprit, qui l’a poussé avec force dans le chemin de la vérité, et qui a réveillé son attention sur l’aveuglement et les malheurs de l’humanité. Beccaria fut un des premiers membres de la société littéraire qui se forma à Milan, sur le modèle de celle d’Helvétius, et qui n’avait d’autres oracles que les philosophes français. Il participa à la rédaction du journal le Café, publié en 1764 et 1765, à l’exemple du Spectateur d’Addison, afin de répandre en Italie les idées nouvelles. À la lumière- de ces idées, il avait vu les iniquités de la justice criminelle, et s’était mis à agiter avec ses amis, notamment avec les frères Pierre et Alexandre Verri, les difficiles problèmes que soulève cette matière. Ce fut l’origine du livre célèbre Dei deliiti e délie pêne [Des délits et des peines). Ce livre, commencé en mars 1763, fut achevé dans les premiers mois de 1764. L’auteur n’avait pas encore vingt-sept ans. Il faillit plusieurs fois abandonner cette entreprise. D’un caractère indolent et timide, il tombait facilement dans le découragement et l’inertie. Après avoir achevé son écrit, il n’osait le publier, et le fit imprimer en secret k Livourne, malgré la protection qu’il trouvait dans l’administration du comte Firmiani, Il écrivait, le 13 décembre 1764, à Pierre Verri : 0 Si ton amitié ne m’avait pas soutenu, j’aurais abandonné mon projet, car, par indolence, j’aurais préféré demeurer dans 1 obscurité. » Il redoutait la persécution, et il poussa la prudence jusqu’à voiler ses propres pensées sous des expressions vagues et indécises. II répondait à l’abbé Morellet, qui lui reprochait 1 obscurité de quelques passages : « Je dois vous dire que j’ai eu, en écrivant, les exemples de Machiavel, de Galilée et de Giannone ; j’ai entendu le bruit des chaînes que secouent la superstition et le fanatisme, étouffant les gémissements de la vérité : la vue de ce spectacle effrayant m’a déterminé à envelopper quelquefois la lumière de nuages ; j’ai voulu défendre l’humanité sans en être le martyr. »

Le Traité des délits et des peines apparut comme l’application de la philosophie française, du rationalisme français à l’a législation pénale ; il invoquait contre la tradition juridique la raison et le sentiment ; il traduisaitéloquemment les protestations de la conscience publique contre la procédure secrète, le serment imposé aux accusés, la torture, la confiscation, les peines infamantes, l’inégalité devant le châtiment, l’atrocité des supplices ; il séparait nettement la justice divine de la justice humaine, les délits des péchés, répudiait le droit de la vengeance, assignait pour base au droit de punir l’utilité générale, déclarait la peine de mort inutile, demandait la proportionnalité des peines aux délits, et la sé Îiaration du pouvoir judiciaire et du pouvoir égislatif. Jamais livre ne vint solliciter les esprits en temps plus opportun. Il eut un succès extraordinaire, et devint un événement. En quelques années, trente-deux éditions se succédèrent en Italie. Les philosophes français l’accueillirent avec enthousiasme, comme le produit et l’honneur de leurs doctrines. L’abbé Morellet le traduisit, Diderot l’annota, Voltaire le commenta. Il fut goûté par d’Alembert, Buffon, Hume, Helvétius, le baron d’Holbach et toutes les âmes sensibles.

En 1766, Beccaria vint à Paris. Il y fut accueilli partout avec l’admiration et la sympathie les plus vives, con adorazione, dit Alexandre Verri, qui l’accompagnait. Mais ce voyage ne dura que quelques semaines. Epoux heureux d’une femme qu’il adorait et qu’il avait laissée à Milan, il ne put supporter l’idée de vivre loin d’elle. Nous le voyons sans cesse lui écrivant, sans cesse lui exprimant la tristesse qu’il a de ne plus la voir. Sur le chemin de Milan k Paris, il lui mande qu’il est incon BEC

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solable de l’avoir quittée. « La journée, dit-il, a été bien triste pour moi ; l’idée de me voir éloigné de toi, mon amour, me donnait une sorte de remords, et je serais revenu sur mes pas, si je n’avais craint de jouer un rôle ridicule. Tâche d’être heureuse pendant le peu de temps que doit durer mon absence ; autrement, je reviens à Milan : je.ne veux être jamais pour toi un objet de chagrin, n À Paris, l’émotion que lui cause son entrée dans le monde philosophique domine un moment sa mélancolie. Use voit accueilli comme urt égal, comm 3 un ami, par ces rois de la pensée qu’il a proclamés ses maîtres. U fait part de cet accueil à son cœur de Milan : > Tu ne saurais croira les politesses, les éloges, les démonstrations d’amitié et d’estime que j’ai reçus des encyclopédistes. Diderot, d’Holbach et d’Alembert, en particulier, m’enchantent. D’Alembert est un homme, supérieur, et en même temps très-simple. L’enthousiasme et l’honnêteté respirent dans toute la personne de Diderot. » Mais il ne peut longtemps parler à sa femme d’autre chose que d’elle et de son amour pour elle. « Souviens-toi, lui dit-il, que je t’aime tendrement, que je te préfère a, tout, à Paris, à ce qu’il peut y avoir de plus agréable au monde. Je ne mens jamais ; ainsi, ma joie, prends cela pour une vérité, non pour un compliment (lo non mentisco giammai ; e pero, mia gioia, prendi cio per nna vérità, non per una galanteria). » La tristesse ne tarda pas à lui revenir au cœur, incurable, invincible, plus forte que toutes les impressions nouvelles, que toutes les distractions, que toutes les jouissances d’amour-propre. Il n’y put tenir, et quitta précipitamment Paris en écrivant à son ami :

« Ma femme, mes fils et mes amis assiègent sans cesse ma pensée. L’imagination, ce despote de ma vie, ne me laisse goûter ni les spectacles de la nature, ni ceux de l’art, qui ne manquent pas dans ce voyage et dans cette belle cité. »

. Revenu à Milan, il ne quitta plus cette ville. Sa vie s’écoula, comme il le dit lui-même, paisible et solitaire (lo meno una vita ttanquilla e solitaria). Il avait été inquiété à raison de quelques passages de son livre qui touchent à la religion, mais la dénonciation n’eut pas de suite : « Le comte Firmiani, écrit-il à l’abbé Morellet, protège mon livre, et c’est à lui que je dois ma tranquillité, s La crainte qu’il en ressentit le fit renoncer à écrire sur les matières philosophiques. Il était loin d’être insensible à la gloire ; il reconnaît lui-même que l’amour de la réputation littéraire, celui de la liberté, et la compassion pour les malheurs des hommes, » sont en lui trois sentiments également vifs ; mais il voulait la gloire sans orages, et n’entendait pas lui sacrifier le repos et le bonheur de sa vie privée ; son enthousiasme de réformateur s’arrêtait devant le péril, et se. conciliait prudemment avec le respect des puissances établies.

En 1768, le gouvernement autrichien ayant su que Beccaria avait refusé les offres de Catherine I’, f, ui voulait l’attirer à Pétersbourg, créa, 03 ?. sa faveur, une chaire d’économie politique. Il fut amené par là à publier quelques travaux sur cette matière. Il eut la satisfaction de voir de son vivant s’introduire dans la législation les principes qu’il avait proclamés... Il fit, en 1791, partie de la., commission instituée dans le Milanais pour la réforme des procédures civiles et criminelles ; et l’on sait qu’en France la réforme de la législation pénale fut commencée, même avant

la réunion de l’Assemblée constituante.

Beccaria, dit M. Villemain, fut un cœur sensible et généreux, plutôt qu’un esprit pénétrant et profond ; un homme épris des idées neuves, plus capable de les discerner que de les produire lui-même... On doit à l’auteur du Traité des délits et des peines un souvenir éternel de reconnaissance ; mais aucune gloire de génie ne peut s’attacher à cet ouvrage. »

■ Beccaria, dit M. Mongin (Encyclopédie nouvelle), ne fut point un penseur. Nous le voyons confondre dans un pareil amour deux hommes bien divers, Helvétius et Montesquieu... Entre ces divers hommes dont il se dit l’élève, il ne fait point de distinction. U lui suffit qu’ils soient tous enrôlés sous le même drapeau ; dès lors ils sont tous pour lui indifféremment la philosophie. Dans leurs livres, il ne voit que le sentiment d’humanité, la tendance éversive commune à tous ; il n’a point sondé jusqu’aux affirmations souvent diverses et contradictoires qui y reposent en germe ou s’y développent... Ce n’est point une œuvre de pensée originale, de recherche savante, profonde, qu’il faut chercher dans Beccaria. »

« À l’époque où Beccaria écrivait, dit M. Lerminier, il s’agissait de réclamer vivement les droits de l’humanité méconnus et violés. La science du droit criminel, sans caractère scientifique, n’était alors qu’une opposition généreuse : c’était un de ces moments où, pour la poursuite d’une réforme, le talent ressemble à du génie, et le courage à du talent. Qui prenait la parole était sûr de se concilier l’estime, voire même l’admiration de ses contemporains. Beccaria fit, dans le Traité des délits et des peines, non un livre scientifique, mais un pamphlet chaleureux, qui satisfit la juste effervescence de l’opinion. »

Les appréciations qu’on vient de lire ne nous semblent pas rendre une suffisante justice à Beccaria. Tout le monde convient qu’il a pris en main la cause de la réforme en matière de législation pénale, qu’il l’a plaidée