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quelles on les accusa de s’être abandonnées à la lubricité de quelques hommes de leur secte ? Toute l’animosité du parti contraire ne put empêcher qu’elles n’obtinssent du parlement la permission de se justifier par cette épreuve ; et, par la même raison, la cour, suivant arrêt du 20 août 1604, confirma la visite qu’une fiancée avait demandé qu’on fit de sa personne, pour prouver la fausseté de ce qu’avait dit son fiancé, qu’il avait eu avec elle des habitudes criminelles. »

Voilà des mœurs judiciaires qui sont bien loin de nous. Après ces premières enquêtes, lorsqu’on n’a reconnu aucune trace d’impuissance chez l’homme, ni de stérilité chez la femme, on leur ordonne une cohabitation de trois ans, pendant laquelle on espère que cesseront les griefs dont se plaint la femme. On trouve un reste de cette coutume dans certains cantons de la Suisse, où naguère deux, époux qui demandaient le divorce devaient préalablement passer huit jours enfermés dans une chambre ou ne se trouvaient qu’une seule chaise et qu’un seul lit.

Mais il faut tout prévoir, et le président ajoute : > Le seul inconvénient de la cohabitation est d’obliger une femme de retourner avec son mari, qu’elle a cruellement offensé car son accusation ; car il semble que ce soit l’exposer à un ressentiment, dont il parait difficile qu’elle évite les funestes effets. D’ailleurs, comme cette épreuve n’est ordonnéeque pour parvenir, s’il se peut, à la consommation du mariage, la règle est de visiter ensuitela femme, pour reconnaître si elle est encore fille. Or, dit agréablement un homme d’esprit, c’est la rendre responsable de la garde d’un jovau dont elle n’est pas maitresse ; car, ajoute-t-il, que n’inspirent point, à un impuissant la rage, l’intérêt, le point d’honneur, quand la pièce de conviction de son impuissance est à sa merci ? La femme peut, en effet, perdre cette pièce de plus d’une manière, sans néanmoins pour cela être devenue femme. Cela se comprend aisément, sans qu’il soit nécessaire d’entrer dans aucun détail. Il est donc dangereux de remettre une femme en de telles mains. Ce danger est grand sans doute, mais on peut bien croire que les canonistes ne l’ont pas laissé sans remède. Celui dont ils se servent est d’ordonner que la femme sera séquestrée, si elle le requiert, chez quelqu’une de ses parentes ou amies, non suspectes, où le mari aura la liberté de la voir et de coucher avec elle, quand il lui plaira. Cela se trouve dans quelques décisions de la rote, et s’est pratiqué plusieurs fois en France. » Comme on le voit, ce sujet avait été étudié à fond, on n’avait rien laissé au hasard. Ceux qui ont feuilleté les ouvrages des canonistes savent jusqu’où va leur imagination quand ils traitent de semblables matières.

Si aucun de ces moyens n’a réussi, et que le mari demande le congrès pour prouver que c’est à tort qu’on l’accuse d’impuissance, le droit en usage dans toute l’Europe catholique voulait qu’on lui accordât sa demande. À l’article congrès, nous verrons comment on avait été amené à admettre une preuve de ce genre, et les incidents burlesques qui en résultaient souvent. Nous nous contenterons ici de citer Bouhier, racontant de quelle manière cette épreuve avait lieu de son temps.

On ne peut nier que la pudeur ne soit alarmée au seul nom de congrès. L’idée que s’en forment la plupart des gens augmente encore l’horreur qu’on en a naturellement. Ils se figurent que les mariés sont exposés à cette épreuve en présence de témoins, à la manière des anciens cyniques ; et, sur cela, on ferme les oreilles à tout ce qui peut servir de justification à cette procédure. Cependant le congrès ne se fait pas tout à fait de la sorte. Le mari et la femme y sont dans un lit bien fermé. À la vérité, il reste dans la chambre des matrones, pour servir de témoin, en cas qu’il arrive quelque altercation entre eux ; mais tout se passe d’ailleurs entre quatre rideaux. Quand il s’est écoulé un temps suffisant, et que le mari juge à propos d’appeler les experts choisis, la femme est visitée par les matrones, afin de reconnaître, suivant les règles de leur art, les vestiges de la consommation, si elle s’est faite. Les médecins et les chirurgiens qui, pendant le congrès, étaient dans une chambre voisine, assistent aussi, en cas de besoin, à cette reconnaissance. Ainsi le congrès, par rapport aux témoins qui s’y trouvent, n’est proprement qu’une nouvelle inspection de la femme, faite dans un temps où l’on peut mieux juger de son état et où il est impossible d’être trompé, Il n’est donc pas plus odieux que la première visite.

La Révolution abolit les procès pour cause d’impuissance, et, par conséquent, le congrès. À Rome, où tout est régi par le droit canon, on en voit encore des exemples, et l’on peut rapprocher du livre du président Bouhier la spirituelle anecdote racontée par son ami de Brosses, dans son Voyage en Italie.

<• Le troisième procès est d’une grande conséquence ; il s’agit de la Doria, duchesse de Turvi, fille unique du riche Doria le Génois. On dit que c^est son père qui lapousse à poursuivre cette affaire, et qui, au désespoir de ce qu’elle n’a point d’enfants, la voudrait marier a un autre Doria de ses purents. Mais le vieux bonhomme a beau faire, jamais postérité ne sortira de sa fille ; c’est moi qui en suis caution. Il y a je ne sais combien d’années

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qu’elle est mariée ; elle a sa quarantaine, . avec cela un vrai remède contre l’amour. Elle est venue elle-même solliciter son procès : imprudence signalée I car son visage est une piice justificative en faveur de son mari. On me la montra l’autre jour dans une grande assemblée, chez le cardinal Acquaviva ; je ne pus m’empêcher de dire que ce procès pouvait se juger sur l’étiquette du sac. Cependant le pauvre époux a 1 affaire fort à cœur, à. cause des beaux yeux de sa cassette.

BODHIER DE L’ÉCLUSE (Robert-Constant), homme politique français, né aux Sablesd’Olonne le 18 octobre 1799. d’une ancienne famille, qui compte au nombre de ses membres le président Jean Bouhier, de l’Académie française, et Bouhier de Beaumarchais, trésorier de l’épargne de Henri IV, intendant et chevalier de son ordre du Saint-Esprit. Volontaire royal en 1815, il servit pendant quelque temps, vint suivre à Paris les cours, de droit, se fit recevoir avocat en 1820, et fut nommé substitut du procureur du roi à Mantes, d’où il passa à Chartres en 1824. Après la révolution de juillet 1830, M. Bouhier de l’Ecluse refusa le serment à Louis-Philippe ; il se fît inscrire au barreau de Paris et plaida dans un grand nombre de procès politiques, où se déploya son zèle pour la légitimité. Les événements de 1848 le portèrent à la Constituante comme représentant de la Vendée ; il y siégea à l’extrême droite, mais il garda une entière indépendance de votes et se sépara môme de son parti sur diverses questions importantes. Il vota pour la diminution de l’impôt du sel, jwur l’abolition de la peine de mort, pour le fameux amendement Grévy, qui tendait a déléguer le pouvoir exécutif a un citoyen nommé par l’assemblée ; contre l’établissement de deux chambres, contre le bannissement de la famille d’Orléans et la mise en accusation de Caussidière, tout en admettant les poursuites confie Louis Blanc ; il se prononça encore contre le maintien de l’état de siège pendant la discussion de la constitution, manifestant en revanche le fond de ses opinions en votant contre l’ensemble de cette constitution, qui consacrait la République. À la Constituante, M. Bouhier de l’Ecluse fit, en outre, diverses propositions, une entre autres, a l’effet de venir au secours des artistes en leur allouant 300,000 fr., ce qui fut adopté et exécuté. Il présenta aussi un projet de loi pour la création d’une banque nationale foncière ; un autre pour le mariage gratuit des indigents, qui fut voté, et plusieurs amendements sur la constitution, la loi sur les ateliers nationaux, etc.

Réélu à la Législative, il accusa plus nettement que jamais ses principes monarchiques, sans cesser toutefois d’émettre des votes indépendants. Il s’opposa énergiquement à la

mutilation du suffrage universel (loi du 31 mai), repoussa le douaire accordé à la duchesse d’Orléans, la dotation demandée pour le président de la République, et combattit la politique de l’Élysée. Lors des débats irritants de la révision de la constitution, il déposa une proposition ayant pour but de revenir à la royauté dite légitime, au moyen d’un appel au suffrage universel agissant dans sa plus entière liberté, après la cessation des pouvoirs du président. La majorité, hostile à la République, mais obstinément attachée à la loi du 31 mai, ne permit pas même à l’orateur de développer sa proposition.

Après le coup d’État du 2 décembre, M. Bouhier de l’Ecluse, au milieu de l’abstention de son parti, posa de nouveau sa candidature dans la Vendée ; il fut envoyé par l’arrondissement des Sables-d’Olonne au Corps

législatif. Un des trois députés élus en dehors des présentations faites par le pouvoir, il prit le premier la çarole devant la Chambre et déclara qu’il y venait siéger parce que le serment à la République, qu on lui demandait, « le laissait entièrement libre, libre pour son passé, libre pour l’avenir, et lui conservait la faculté de faire toujours ce qu’il croirait être le plus grand intérêt de la France ; car la constitution plaçait au-dessus de tout la volonté nationale. ■ Au Corps législatif, il prit souvent la parole et défendit successivement la liberté individuelle, la liberté de la presse, les droits des écrivains, le suffrage universel ; il protesta vivement contre la loi sur les délits de la presse commis à l’étranger, qu’il qualifia de loi draconienne ; il demanda qu’on appelât Musée des souverains (nom qui lui a été donné depuis) le musée des objets ayant appartenu à l’ancienne monarchie française et à l’Empire, et que la commission proposait d’appeler Musée impérial et royal ; enfin, il émit la pensée d’établir un chemin de fer de Bordeaux à Lyon et Cette, et de relier ainsi l’Océan a la Méditerrané«, sans supprimer le canal du Midi ou l’abandonner à une compagnie, comme on le proposait. Lors du vote pour l’empire héréditaire, il déposa une protestation d’un avocat de Metz contre les votes dans un arrondissement de la Moselle, et protesta en son nom personnel contre toutes les opérations, en invoquant » les droits du comte de Chambord. » À la session suivante, un serment a l’empereur ayant été demandé aux députés, il se refusa à te prêter en invoquant ses droits acquis et la puissance du vote universel qui l’avait fait député. Par suite, il fut déclaré démissionnaire, et les portes du Palais législatif lui furent fermées. Depuis lors, M. Bouhier de l’Ecluse s’est retiré à la campagne, pour

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s’y livrer à l’agriculture et aux lettres. Tl a i quitté, en 1853, Sa place au barreau de Paris.

On doit à M. Bouhier de l’Ecluse : Du céli- bat sacerdotal dans l’Église catholique et du mariage des prêtres en France (1831, in-8° | broché) ; De l’adoption par les prêtres (1840, in-8°) ; ces deux écrits ont été réunis sous ca titre : De l’état des prêtres en France, eîc. (1842, in-8<>). Il a publié en outre : la Pais (1859, brochure) ; le Pape et l’Italie (1860) ; Lettre à M. Saroche, ministre des cultes, à l’occasion de l’Encyclique (1861), ouvrages qui lui ont valu un bref du pape. Citons encore un roman historique : Marianne l’Olonaise^ chronique sablaise (1866, in-8»). Il est aussi l’auteur d’une comédie de mœurs intitulée les Femmes d’affaires, et de divers travaux restés inédits, parmi lesquels Un génie mazzinien serait une satire assez vive de certains faits de l’époque actuelle, observés, bien entendu, du sommet politique où se place l’ex-représentant des Sables-d’Olonne, le hardi et fidèle champion de la légitimité, non pas sans doute de cette légitimité qui n’a rien-appris, rien oublié. La vie si honorablement remplie de M. Bouhier de l’Ecluse prouve assez qu’il n’est point de la famille de ces Epiménides politiques qui, après avoir dormi un quart de siècle, se réveillent en niant aveuglément les changements accomplis. Aussi ne saurait-on, à quelque opinion qu’on appartienne, lui appliquer, sans beaucoup d’injustice, la phrase originale et caractéristique par laquelle M. de Talleyrand jugeait les Bourbons de la Restauration : le descendant du trésorier de

l’épargne de Henri IV a montré, par son attitude aux assemblées républicaines, que son admiration pour le passé ne l’empêchait pas de comprendre l’avenir : ses votes en faveur de la liberté en-font foi. Ce sera son éternel honneur et son droit incontestable à l’estime des honnêtes gens de tous les partis.

BOOHOUR OU BOUHOURTs. m. (bou-OUr).

Joute, tournoi. Il Vieux mot. On a dit aussi

EOUHOURDIS et BOUHOURDEIS.

bouhourder v. n. ou intr. (bou-our-dé

— rad. bouhour). Jouter, combattre dans un tournoi, il Vieux mot.

BOUHOURS (Dominique), jésuite, littérateur, né à Paris en 1628, mort en 1702. 11 professa les humanités dans diverses maisons de son ordre, et fut successivement chargé de l’éducation des princes de Longueville et du marquis de Seignelay, fils de Colbert. Religieux bel esprit, prêtre mondain, il s’attira les railleries des puritains de Port-Royal ; critique minutieux, puriste exagéré, 11 eut de nombreuses querelles littéraires, notamment avec Ménage et Maimbourg, et on lui reprocha le clinquant et la recherche de son style. On ne peut- cependant lui contester le mérite d’avoir utilement servi la langue et le goût. M’le de Sévigné disait de lui : » L’esprit lui sort de tous les côtés. » On a rapporté qu’au momentde sa mortil avaitdit ;<Jeomsou je vas mourir, l’un et l’autre se dit ou se disent.» Mais cette anecdote a sans doute été imaginée pour caractériser sa minutie et ses recherches de purisme. Ses principaux écrits sont : Entretiens d’Ariste et d’Eugène (1671), critique ingénieuse et enjouée, qui fut vivement attaquée par Barbier d’Aucour : Doutes sur la langue française proposés à MM. de l’Académie (1674) ; Nouvelles remarques sur la langue française (1675) ; Manière de bien penser dans les ouvrages d’esprit (1687) ; Pensées ingénieuses des anciens et des modernes (1691), etc. Cet ouvrage donna lieu à cette épigramme de Mme Deshoulières :

Père Bouhours, dans vos Pensées, La plupart fort embarrassées,

A. moi vous n’avez point pensé. Dans cette liste triomphante

Des célèbres auteurs que votre lyre chante. Je ne vois point mon nom placé. Mais aussi dans le même rôle

Vous avez oublié Pascal,

Qui pourtant ne pensait pas mal. Un tel compagnon me console.

Citons encore de Bouhours : Pensées ingénieuses de l’Eqlise (1700) ; Histoire de Pierre d’Aubusson grand inaître de Rhodes (1676) ; Opuscules sur dioers sujets (1684) ; Recueil de vers choisis (1693) ; Sentiments des jésuites touchant le péché philosophique (1690) ; Nouveau Testament traduit en français selon la Vulgate (1697, 2 vol.), etc.

BOUHUENTIR v. a. ou tr. (bou-u-an-tir). Accorder, il Vieux mot.,

BOUÏ, ville de Russie d’Europe, dans le gouvernement et a 72 kilom. N. de Kostroma, au confluent de la Visksa et de la Kostroma, ch.-l. de district ; 2,000 hab. Corroieries, commerce de pelleteries.

BOUI-BOUI OU BOUIG-BOUIG S. m. (bouiboui). Néol. Très-fam. Petit théâtre en plein vent ou baraque de saltimbanques : Aussi, chaque soir, des files de voitures attendentelles devant ces tréteaux-sans prétention, qu’on nomme des bouigs-boïigS, un nom peu académique, mais qui finira par prendre sa place au dictionnaire. (Th. Gaut.) Le bouig-bouig, s’il faut en croire les érudits, signifie, en argot dramatique de bas lieu, le petit théâtre à quatre sous. (Th. Gaut.) n Théâtre du dernier ordre : Nous ne voulons pas parler ici des cinq ou six ménétriers qui raclent le soir des ponts-neufs de vaudeville dans quelque boui-

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Bom de la banlieue. (Alb. Vizentini.) il PI. des

BûUIS-BOUIS.

BOUIDES OU DAÏLAMITES, dynastie persane dont le nom vient de Bouiah, pêcheur de Daïlem. Un de ses fils, Imad-Eddaula, fut le fondateur de la dynastie, qui se divisa en deux branches, dont l’une régna sur l’Irak-Adjémi de 932 à 1029, et l’autre sur le Fars, ou Perse proprement dite, de 933 à 1055.

BOUIGE s. f. (boui-je). Agric. Terrain inculte dont on pioche le gazon, les bruyères ou autres produits spontanés, qu’on forme en petits tas, pour y mettre le feu et en répandre la cendre, afin de fertiliser le sol, C’est le terrain soumis à l’écobuage.

BODILHET (Louis), poëte et auteur dramatique français, né à Cany (Seine-Inférieure), le 27 mai 1822. Il est d’origine béarnaise par ses deux grands-pères, dont l’un, directeur des hôpitaux militaires, est mort à l’armée ; l’autre, avocat du barreau de Pau, s’était acquis dans les lettres une certaine réputation. C’est à ce dernier, en effet, que Voltaire adressait, vers 1770, ces aimables stances, assez peu connues pour trouver place ici :

L’amour, les plaisirs et l’ivresse Respirent dans vos heureux chants ; C’est parmi la vive jeunesse

Qu’Apollon se plut en font temps. Les Muses, ainsi que les belles. Dédaignent les vœux d’un vieillard : En vain j’irais même après elles, Et vous les axes d’un regard.

Elles cessent de me sourire.

Vos accords ont dû les charmer. Eh bien 1 je vous cède ma lyre : Vos doigts sont faits pour l’animer.

Le père de M. Louis Bouilhet fut lui-même directeur principal des hôpitaux militaires dans l’expédition de Russie.

L’institution où Louis Bouilhet fit ses premières études était située près du Havre, sur la côte d’Ingouville. Des fenêtres du dortoir, l’écolier voyait s’engouffrer la Seine dans les profondeurs de la Manche. La mer emplissait de grands bruits ce sommeil déjà rêveur peut-être. Qui sait si la pensée du jeune poëtn ne s’est pas élargie peu à peu au spectacle grandiose alors déroulé devant elle ? Qui sait si les fortes impressions de l’enfant n’ont pas, dans son esprit, déposé les premiers sédiments des inquiétudes philosophiques qui devaient plus tard doubler toutes les pensées de l’homme ?

Cependant le jeune homme.grandissait. Le moment vint de chercher ailleurs de plus larges enseignements. Bouilhet quitta donc Ingouville pour entrer, en sixième, au collège de Rouen. Là se trouvait, à son arrivée, Gustave Flaubert ; là se nouèrent les premiers liens qui devaient, entre ces deux intelligences

— attirées d’ailleurs l’une vers l’autre par tant d’affinités secrètes — se serrer tous les jours davantage en montant dans la vie.

Le nouveau venu se fit vite remarquer dans sa classe. Et dès lors il chemina, de succès en succès, à travers le programme universitaire, jusqu’au prix d’honneur de rhétorique.

Au sortir du collège, lesté de fortes éludes et caressant déjà tout bas ses aspirations littéraires, il dut, pour obéir à sa famille, prendre ses inscriptions a l’école de médecine de Rouen. Pendant cinq ans il en suivit sérieusement les cours, et fut deux ans interne à l’hôtel-Dteu sous la direction de l’illustre chirurgien Flaubert, le père même de son ami Gustave. — Par quels motifs Louis Bouilhet abandonna-t-il tout à coup cette carrière commencée ? Nous ne savons ; toujours est-il que nous le retrouvons peu après professeur de lettres, et professeur très-estimé des Rouennais.

Dès cette époque, notre poëte avait déjà tous ses cartons bourrés de vers. D’autres se seraient passé la fantaisie — pleine de tant de séductions à cet âge — d’écouler le tropplein de leurs tiroirs dans quelques-uns des innombrables canaux dont le journalisme draine le sol de la publicité. Ses rimes, lues entre amis, avaient fait grand bruit dans Landerneau. Chacun le poussait à l’imprimerie. 11 résista comme toutes les organisations d’artiste vraiment robustes, il eut ce courage de ne pas se reconnaître tel qu’il se voulait. Au lieu de caresser son amour-propre de tous les triomphes de salon auxquels il eût si facilement atteint, i ! attendit. Toute l’énergie et toute la fougue de sa jeunesse se concentrèrent, obscures et patientes, dans de nouveaux travaux, bien personnels cette fois. Peu à peu les matériaux laborieusement cherchés prirent une forme dans sa pensée. Deux poSmes s’élaboraient.

La Rome antique, arrière-goût de ses études classiques, devint l’objet de ses premières prédilections. Aux vagues lueurs entrevues de

cette civilisation morte, sa jeune imagination s’exalta. Il descendit dans toutes les obscurités de l’histoire pour soulever du doigt, un à un, tous les plis de la toge romaine ; et ce fut alors qu’il écrivit Melœnis, qui parut en 1852 dans la deuxième Jtevuc de Paris, que dirigeaient MM. Maxime Ducamp, Laurent Pichat, Cormenin et Théophile Gautier. Toute la presse salua l’aurore du nouveau poète. . La dédicace de Melœnis porte le nom de M. Gustave Flaubert, comme celle de Madame I Bovary—une première oauvTe aussi !—portera