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leurs qu’un rôle effacé dans la grande Assemblée. Précédemment, il avait été nommé par la ministre Roland l’an des conservateurs de la Bibliothèque nationale, pour son zèle plutôt que pour ses talents, d’après les propres expressions de M™e Roland. Naturellement, il

s’attacha au parti de la Gironde, qu’il seconda, comme journaliste et comme représentant, dans ses luttes contre la Montagne et la Commune de Paris. Vivement attaqué lui-même par Marat, Bentabole, Robespierre, etc., accusé d’intelligences avec le duc de Brunswick, il fut enveloppe dans la chute de son parti, bien qu’il fût en mission à Biois lors de la révolution des 31 mai-2 juin 1793. Rappelé

quelques jours plus tard, il fut compris dans

I accusation contre les girondins, condamné à mort avec eux le 30 octobre et exécuté le lendemain.

Parmi ses ouvrages, tombés tous dans an complet oubli, nous citerons seulement les suivants : Système de la raison ou le Prophète philosophe {Londres, 1775, 3e édition ; Paris, 1791, in-8") ; Histoire de la Moldavie et de la Valachie (Paris, 177S, in-12, et Neufchâtel, 1781) ; Essai sur la nautique aérienne (1784, in-12), opuscule dans lequel il se flatte d’avoir trouvé, théoriquement, le moyen de diriger les ballons ; Mémoires historiques et authentiques sur la Bastille (1790, 3 vol. in-8°) ; une Histoire de l’ancienne Grèce ; de Nouveaux principes de physique ; des dissertations sur le magnétisme animal, sur la lumière, l’électricité, etc.

CARRA-SAINT-CYR (Jean-François, comte), général français, né en 1756, mort en 1834.

II fit la guerre d’Amérique, fut nommé général de brigade en 1794, battit les Autrichiens en 1800 sur les bords de la Magra, et contribua puissamment à la victoire de Marengo par la prise de Castel-Ceriolo. Il se signala ensuite à la bataille de Hohenfinden, fut nommé général division en 1801, et investi, en 1805 du commandement de l’armée d’occupation du royaume de Naples. Il assista à la bataille d’Eylau, devint baron de l’empire en 1808, et tour à tour gouverneur de Dresde et des provinces illyriennes. En 1814, l’empereur lui confia la défense des places de Bouchain, de Valenciennes et de Condé. Gouverneur de la Guyane française en 1817, il remplit cette fonction jusqu’en 1819. Son nom est gravé sur l’arc de triomphe de l’Étoile.

CARRABAT s. m. (ka-ra-ba — altérât, probable de char à bancs). Ancienne espèce de grosse et lourde diligence : En 1790, pour aller à Versailles, on s’embarquait dans le fameux carrabat, le majestueux carrabat, comme on appelait une grasse voiture attelée de sis : chevaux, qui faisait quatre lieues en six heures et demie de temps. (K. Chapus.)

CARRABLE adj. (ka-ra-ble —rad. carrer). Géom. Se ditdes surfaces qui sont susceptibles d’être carrées, qui sont équivalentes à un carré que l’on sait construire : La parabole est carrable, le cercle ne l’est point. On trouve que ces suites, qui comprennent une infinité de termes, ne valent néanmoins au’un certain terme fini, et alors les courbes qu’elles représentent sont ou rectifiables ou carrables. (Fonten.) V. carrer.

CARRACH (Jean-Tobie), jurisconsulte allemand, né à Madgdebourg en 1702, mort en 1775. II fut d’abord professeur de droit à Halle, devint conseiller d’État prussien, fut emmené captif à Nuremberg pendant la guerre de Sept ans, refusa toutes les offres qu’on lui fit pour le décider à quitter le service de la Prusse, et fut enfin nommé recteur de l’université de Halle. On a de lui un grand nombre de dissertations sur le droit romain et sur le droit allemand, dont la plupart sont écrites en latin. Nous citerons seulement : De iniaginuria œquitate probationis pro evitando perjurio (Halle, 1734) ; De conflictu theoriœ et vraxis juris (1736) ; Hé flexions sur la force de l’opinion publique en fait de droit (1706) ; Avis et consultations juridiques dans les causes criminelles (1775, in-fol.).

CARRACHE ou CAliBACCI, famille de peintres italiens, fondateurs d’une école célèbre, qui ouvrit le seconde phase de l’art italien depuis la Renaissance. Les plus illustres, ceux qui furent véritablement les chefs de cette école, sont les suivants :

CAUUACHE (Louis), cousin germain d’Annibal et d’Augustin, né à Bologne en 1555, mort dans la même ville en 1G10. Son père était boucher ; mais Louis témoigna, dès son jeune âge, une insurmontable aversion pour ce métier. Il voulut être peintre, et cependant il semblait n’avoir pour la peinture d’autres dispositions que sa volonté. Aussi Fontana, son premier maître, lui voyant faire des efforts presque sans résultat, lui conseilla-t-il vivement de choisir une autre profession. À Venise, où il était allé chercher les encouragements et les leçons qui lui manquaient dans son pays, le Tintoret ne se montra pas moins sévère a son égard. Loin de se décourager, Louis n’en devint que plus ardent au travail. Sa nature lourde et passive lui avait fait donner par ses camarades d’atelier le surnom de Bœuf ; ce bœuf creusa son sillon pesamment et avec lenteur, mais assez profondément pour laisser dans les arts une trace ineffaçable. Repoussé par le Tintoret, il se mit à étudier seul le Titien et Paul Véronèse. À Florence, il lit dc^nombreuses copies ou esquisses d’après André del Sarto et le Passignano, et à Mantoue,

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d’après Jules Romain. Il eut pour maîtres à Parme le Mazzuoli et surtout le Corrége, dont le beau talent lui fut éminemment sympathique. À son retour à Bologne, il exposa quelques tableaux, qui furent admirés par quelques-uns seulement, amèrement critiqués par le plus grand nombre. Il en exposa successivement d’autres, qui ramenèrent enfin l’opinion en sa faveur, et bientôt son talent fut apprécié généralement à sa juste valeur. Il conçut alors pour la première fois l’idée de fonder à Bologne une académie de peinture, dont les doctrines et les enseignements devaient porter le dernier coup aux idéalistes. Mais, ne se flattant pas de pouvoir réaliser seul un projet si difficile, il chercha des aides dans sa propre famille. Paul, son frète, quoiqu’il cultivât aussi la peinture, n’avait ni talent ni avenir et ne pouvait lui être d’aucun secours ; Louis trouva mieux dans ses deux jeunes cousins, Annibal et Augustin. Tous deux avaient des dispositions sérieuses, mais ils étaient d’humeur si contraire qu’il ne put les garder ensemble à l’atelier. Il confia Augustin à Fontana, et garda près de lui Annibal. Le talent des deux cousins se développa rapidement, et ils ne tardèrent pas à produire des ouvrages remarquables. Les voyages qu’ils firent à Parme, à Rome, à Venise, achevèrent leur éducation. A leur retour s’ouvrit enfin, dans la maison même des Carrache, la fameuse Académie qui se nomma d’abord degl’Incamminali (des Acheminés), et qui éclipsa bientôt toutes les écoles de peinture. Là vinrent étudier le Dominiquin, le Guide, l’Albane, etc. L’enseignement y était éclectique, en ce sens qu’il était basé sur l’imitation des maîtres de toutes les écoles. On peut donc considérer les Carrache comme les créateurs de la méthode purement académique. Ils réagirent d’ailleurs contre le mauvais goût contemporain, ramenèrent la composition à une plus grande simplicité, et pratiquèrent une sévère correction de dessin. Mais, sans méconnaître les services qu’ils ont rendus à l’art, on ne saurait nier qu’ils éteignaient toute originalité et toute inspiration, et que leur système conduisait droit au pastiche et au genre purement conventionnel. Louis conserva toujours la haute direction des études, dans cette académie qu’on ne désigna bientôt plus que sous le nom d’atelier des Carrache. Rien ne s’y faisait sans son avis ou sa permission. Appelé à Florence pour la décoration de la galerie Farnèse, il ne voulut pas s’éloigner, et préféra envoyer Annibal à sa place. Il ne quitta son académie que pour aller plus tard admirer l’œuvre de son cousin, qui, doutant dé lui-même, lui avait demandé son opinion. Après quelques semaines d’absence, il revint à Bologne, où il jouit longtemps encore de l’estime et de l’affection de tous. Il mourut sans fortune, tant il avait fait de bien durant sa vie.

Louis Carrache se distingua particulièrement dans les vues d’architecture et excella Êar le dessin. Ses principaux tableaux sont à ologne, où l’on peut observer, comme un spécimen de sa manière, la Prédication de saint Jean-Baptiste. Dans cette composition, certaines figures sont faites dans le style de Raphaël, et d’autres dans celui du Titien et du Tintoret. Nous avons de lui au Louvre : VApparition de la Vierge et de l’enfant Jésus à saint Hyacinthe ; l’Annonciation ; la Nativité ; la Vierge et l’enfant Jésus ; Jésus mort sur les genoux de sa mère, etc. Citons également parmi ses meilleures œuvres : la Translation du corps de la Vierge ; Saint François au milieu de ses moines ; la Transfiguration et la naissance de saint Jean-Baptiste ; la Vocation de saint Matthieu, fresque du palais Zampieri, etc.

CARRACHE (Augustin), peintre et graveur italien, cousin du précédent et frère d’Annibal, né à Bologne le 16 août 1557, mort en ifiOl suivant les uns, en L005 suivant les autres. Il était fils d’un pauvre tailleur. Dès son plus jeune âge, il montra une telle vivacité d’intelligence et un désir si avide de connaissances, qu’on eût dit qu’il voulait tout

apprendre : lettres, sciences et arts. Cotte précocité de bon augure le fit admettre comme apprenti chez un orfèvre ;«mais Augustin, entraîné par un goût irrésistible vers la gravure et la peinture, abandonna bientôt l’orfèvrerie pour suivre les leçons de Bartolomeo Passerotti et de Prosper Fontana. Toutefois, ces deux maîtres ne purent le garder longtemps. D’une excessive mobilité de caractère, il ne put jamais se livrer sérieusement et exclusivement à l’un ou l’autre de ces deux arts, pour lesquels il se sentait trop également passionné. S’il eût pu fixer ses préférences, il serait arrivé rapidement dans la peinture oulagravure à unevéritable supériorité, car la nature l’avait doué d’une merveilleuse organisation. Son frère Annibal et Louis, son cousin, ne cessaient de le lui répéter ; mais leurs observations et leurs conseils n’eurent d’autre résultat que celui de l’ennuyer profondément. Il n’écouta plus que sa fantaisie, tantôt copiant les vieux maîtres, dont il n’avait pas à redouter les reproches et les avis, tantôt déposant sa palette pour ne plus manier que le burin. Enfin, pour échap Eer à tout contrôle, et poussé aussi par son umeur vagabonde, il se mita voyager, prit un beau matin la route de Parme, puis se rendit à Venise, afin d’y prendre les leçons de Corneille Cort ; mais le célèbre graveur hollandais sentit bientôt s’éveiller en lui cette

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jalousie si fréquente chez les artistes, en voyant que son élève, qui lui était déjà supérieur pour le dessin, serait bientôt non moins habile dans le maniement du burin. Comme il était le premier, il eut peur de n’être plus que le second, et il jugea prudent de fermer à Augustin la porte de son atelier. Malheureusement pour le vieil artiste, ses défiances l’avaient averti trop tard : Carrache était déjà regardé comme le Marc-Antoine de son temps.

Désireux de jouir dans sa patrie des avantages de la célébrité que ses travaux lui avaient acquise, il revint à Bologne, où il trouva Annibal devenu grand peintre en son absence. Oubliant tout à coup qu’il était lui-même un graveur sans rival, il voulut acquérir ia même supériorité en peinture et devenir l’égal de son frère ; il y réussit, et l’on peut même dire que quelquefois il a surpassé Annibal.

L’Académie des Carrache était alors dans toute sa splendeur. Augustin se chargea spécialement d’y donner 1 enseignement théorique. Pour chaque partie des études, il se mit a composer des traités succincts habilement condensés, destinés à servir de base à ses démonstrations orales et de thèse à ses conférences. Nous citerons, entre autres, son Traité de perspective et d’architecture.

Annibal l’emmena à Rome, où Augustin l’aida dans ses travaux de la galerie Farnèse ; mais la mésintelligence ne tarda pas à amener entre eux une séparation. Tout en ressentant l’un pour l’autre la plus vive affection, ils étaient perpétuellement en querelle. On ignore quel motif put un instant les brouiller sérieusement ; mais ce qu’on sait positivement, c’est que cette séparation affecta si profondément Augustin qu’il en devint presque fou de douleur. Pour le distraire, le duc de Parme le fit venir k sa cour ; mais les attentions affectueuses de ce prince furent impuissantes à guérir l’artiste frappé au cœur. Un jour, il alla s’enfermer dans un couvent de capucins, où il mourut peu de temps après. Ce coup imprévu accabla Annibal, qui voulut se dépouiller complètement pour élever un magnifique monument à la mémoire de son frère ; mais déjà une souscription d’amis et d’admirateurs du talent d’Augustin avait prévenu le vceu d’Annibal. Celui-ci, apprenant alors que son frère laissait un enfant naturel, se chargea de son éducation et lui laissa toute sa fortune.

Le plus célèbre des tableaux d’Augustin Carrache, son chef-d’œuvre, sans contredit, c’est la Communion de saint Jérôme. On sait que le Dominiquin, l’un de ses élèves, s’appropria la pensée et l’arrangement de ce tableau, dont il fit, lui aussi, un autre chef-d’œuvre non moins célèbre. Cette peinture splendide est au musée du Louvre. Augustin fit aussi, pour l’église San-Salvator, à Bologne, une AssompHo7i de la. Vierge. Dans la galerie Farnèse de son frère Annibal, les peintures qui représentent les fables de Cép/iale et de Oalatée sont aussi de lui.

CARRACHE (Annibal), le plus jeune, le plus célèbre des trois chefs de 1 Académie de Bologne, frère d’Augustin et cousin de Louis, né à Bologne en 1560 et mort à JNapIes en 1009. Il commença par aider son père dans la profession de tailleur ; mais, quittant de bonne heure l’établi paternel pour l’atelier d’un orfèvre, il apprit le dessin et fit dans cet art des progrès surprenants. Guidé par son cousin, Louis Carrache, il fut bientôt en état de faire d’excellentes copies du Corrége, du Titien, de Paul Véronèse. Comme ces grands nuiStres, il composa beaucoup de petits tableaux. Louis Carrache lui procura les moyens do voyager. À Parme, il étudia les magnifiques toiles du Corrége, dont les tons d’or et la douce poésie lui découvrirent des beautés nouvelles dans l’art. À Venise, il se lia avec le Tintoret et Paul Véronèse, étudia les ouvrages des coloristes de cette grande époque, et ne laissa échapper aucune occasion de s’instruire. Riche d études, artiste consommé, enthousiaste, il revint à Bologne, pouvants’éerier comme le Corrége, son maître : « Et moi aussi, je suis peintreI » Dans les premiers ouvrages d’Annibal, on trouve en effet la façon de faire du Corrége. Rempli d’admiration pour le peintre lombard, il en imitait la couleur, l’harmonie et la disposition. Le reflet de cette impression première s’étendit sur le reste de sa vie ; malgré d’autres études et des connaissances plus variées de l’art, la peinture du Corrége demeura empreinte dans son âme ; des trois écoles qu’il sembla réunir en lui par un effort de génie, c’est l’école parmesane, l’école du Corrége, qui domine dans son souvenir, dans sa manière définitive.

Louis, naguère son maître, s’avouait franchement dépassé par son élève, et Augustin, le futur auteur de la Communion de saint Jérôme, se décida à laisser momentanément le pinceau pour le burin, tandis que Louis et Annibal peignaient leurs plus belles pages. Ils étaient alors à l’apogée de leur talent. Dénigrés avec fureur, poursuivis par les clameurs de l’envie, ils eussent pu être troublés dans leur course glorieuse sans l’âme fière et dédaigneuse d’Annibal, qui eut du courage pour trois et soutint la foi chancelante de son cousin et de son frère. « Il ne fallait pas s’en l’apporter, disuit-il, à des peintres gâtés par les délices de Rome, et qui y avaient été accablés d’éloges, de sonnets et de diplômes d’académiciens. » Il mit le sceau h sa réputa CARR

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tion naissante par le tableau de Saint Roch, que le Guide a gravé depuis à l’eau-forte et qui est maintenant à Dresde. Le saint est placé près d’un portique et distribue ses richesses aux pauvres. Cette œuvre était une réponse superbe à l’envie des rivaux, réponse digne de ce fier génie qui, provoqué en duel, jetait dédaigneusement ces paroles à la face de son rival : à Moi, je ne me bats qu’avec le pinceau ; voilà mes armes. »

Chargé de peindre la galerie Farnèse, Louis I Carrache se déchargea sur Annibal du soin ■ de cette grande œuvre. Celui-ci, confiant, résolu, partit aveo quelques amis et son frère Augustin, sans même s’occuper de la rémunération. Parmi les sujets qu’il présenta, plusieurs avaient été choisis par monsignor Agucohi, Il est à croire que le génie plus inventif d’Augustin et les connaissances historiques du cardinal furent pour quelque chose dans le choix des sujets à dessiner et à peindre. Les plans arrêtés, Annibal se mit à l’œuvre et créa des merveilles. Dans une chambre qui n’est pas de grande dimension, on voit : Hercule entre leVice et la Vertu, Hercutesoutenant le monde, Ulysse libérateur ; dans la galerie, entre autres sujets : l’Amour vertueux, l’Amour vicieux, une très-belle Bacchante pleine d’énergie et de feu. À chaque pas, dans cette galerie, on reconnaît l’étude de l’Hercule Farnèse et du torse du Belvédère, qu’Annibal dessinait de mémoire avec une exactitude surprenante. Poussin déclarait, devant cette œuvre magistrale, qu’on n’avait pas mieux composé depuis Raphaél. Chef-d’œuvre rare et précieux en effet, où l’on trouve unis et fondus ensemble, dans une harmonie suprême, l’élégance antique et la grâce de Raphaël, des imitations de Tibaldi qui avait peint à Bologne vers 1550 avec Nicolo dell Abbate, des parties à la Michel-Ange et des souvenirs’ de tout ce que les Lombards et les Vénitiens avaient eu de plus noble et de plus savant. Annibal travailla nuit ans à cette merveilleuse décoration ; il recevait dix écus par mois, et, l’œuvre terminée, le cardinal Agucchi lui compta 500 écus d’or (environ 5,000 fr.) Humilié dans son art, car, comme son frère et son cousin, il était fort désintéressé, il voulut rendre cet argent au cardinal ; on le dissuada. Dès lors, une noire mélancolie envahit son âme ; ses dissensions avec Augustin et la mort précoce de ce dernier achevèrent de le dégoûter de la vie. Vainement il alla demander des distractions au beau ciel de Naples ; il chercha l’oubli dans les excès et n’y trouva que la mort. Son corps fut porté à Rome, dans la Rotonde, à côté de celui du divin Sanzio ; on lui fit des funérailles royales. Tout ce qu’il y avait de grands seigneurs à Rome suivit son cercueil, escorté par cette fouie d’élèves qui devaient tant à sa libéralité.

Annibal Carrache est incontestablement le plus grand peintre de l’école bolonaise ; Augustin eut plus d’invention, Louis plus da science, mais Annibal eut un génie plus élevé ; sa manière est éloquente et noble. Si l’on analyse ses productions, on est frappé de la grandeur du style et de la correction du dessin, de la vigueur et de la facilité du pinceau. Annibal ne fut pas seulement un grand artiste ; il apprit de son cousin Louis à raisonner sur son art. Il eût pu, comme Augustin, nous transmettre ses pensées sur l’art ; mais il les a mises en pratique et les a enseignées par son exemple. Emporté par la mort lorsqu’il était encore dans toute la force de son talent, à quarante-neuf ans, il a laissé néanmoins un œuvre immense. Il n’est pas une galerie en Europe qui ne se soit enrichie d’un

! grand nombre de ses productions. Le musée

du Louvre possède vingt-huit tableaux de ce maître ; celui qui est connu sous le nom du Silence du Carrache est une composition délicieuse. Dans l’Apparition de la Vierge à saint Luc, le saint a une figure sublime. On cite encore, parmi ses plus belles œuvres : une Nativité ; un Christ mort sur les genoux de sa mère ; une Résurrection signée de son nom, avec le millésime 1593 ; un Martyre de saint Étienne ; plusieurs paysages admirables. À l’Ermitage de Saint-Pétersbourg’, on voit : le Christ en jardinier après sa résurrection ; au Belvédère de Vienne, le Christ et la Samaritaine, le Christ mort sur les genoux de sa mère soutenue par deux anges ; à Dresde, une Assomption de ia Vierge, Saint Matthieu, l’Aumône de saint Roch ; à Munich, le Massacre des innocents ; k Florence, une Bacchante et un Satyre, une Pietà, etc.

CARBACHE (Antoine), peintre italien, fils naturel d’Augustin, né à Venise en l5S3, mort à Rome en ISIS, hérita des brillantes dispositions de son père pour la peinture, et eut sur lui l’avantage d’être plus fortement trempé, ce qui lui permit de concentrer toute son intelligence en une seule aptitude. Peutêtre, s’il eut vécu, eût-il atteint une hauteur à laquelle ne s’est point élevé le talent même d’Annibal. Malheureusement pour l’art, sa vie trop courte ne laissa qu’entrevoir de magnifiques espérances. Son oncle, Annibal, fut son maître, et Antoine lui témoigna toujours la plus vive reconnaissance ; le grand artiste rendit le dernier soupir entre ses bras. On trouve en Italie quelques - unes des toiles d’Antoine, en très-petit nombre, mais très-remaïquables. Son Déluge, qui est au Louvre, est plein de ces qualités rares qu’on n’acquiert point par le travail, mais qui viennent de la