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procher de son terme, tu porteras mon oriflamme ; et, comme la moissonneuse active abat les épis, tu abattras ce vainqueur orgueilleux. Tu renverseras pour lui la roue de la fortune ; tu porteras aux fils héroïques de la France un secours salutaire, et, après avoir délivré ton roi, tu le couronneras à Reims. » Le ciel m’appelle par un signe : il m’envoie ce casque. C’est de lui que ce casque me vient. En le touchant, j’éprouve une force divine, et le courage des chérubins pénètre mon cœur. Ce sentiment m’entraîne dans le tumulte de la guerre et me pousse avec la force de l’orage. J’entends le cri puissant des combats qui résonne jusqu’à moi ; le cheval de bataille frappe du pied la terre, et la trompette retentit. »

                    (Elle sort.)

Jeanne Darc à Rouen, tragédie en cinq actes et en vers, de d’Avrigny, représentée, sur le théâtre de la Comédie-Française, le 4 mai 1819. Jeanne est tombée au pouvoir des Anglais, qu’elle avait si souvent vaincus. Les officiers de la cour du duc de Bedford, soi-disant régent de France, ne voient dans leur prisonnière qu’une victime dévouée aux bourreaux ; l’orgueil humilié ne pardonne jamais. Le farouche comte de Warwick demande avec l’accent de la rage le supplice de Jeanne. Un traître indigne du nom de Français, le comte de Beauvais (personnage substitué, on comprend pourquoi, à l’évêque de Beauvais), s’associe à la fureur. Le sénéchal de Normandie, frère du comte, lui reproche en vain sa déloyauté. Jeanne est traduite devant le tribunal de l’inquisition comme coupable de sortilège ; ses accusateurs sont aussi ses juges. La duchesse de Bedford intercède auprès de son époux en faveur de la jeune guerrière ; le vaillant Talbot s’indigne à la pensée d’une lâche vengeance qui flétrirait le nom anglais. Le duc parait céder aux prières de son épouse, aux nobles accents de Talbot ; mais, plus faible que généreux, il n’ose arrêter la procédure que poursuit le redoutable tribunal. La mort de Jeanne paraît inévitable. Introduit dans la ville au moment d’une trêve, le comte de Dunois réclame hautement la liberté de sa sœur d’armes ; il est prêt à accepter d’onéreuses conditions. Jeanne apprend à quel prix elle peut obtenir sa liberté ; elle refuse de souscrire à des conditions honteuses pour sa patrie, et préfère la mort. Étonné de cet héroïque courage, le duc de Bedford veut interroger lui-même la guerrière. Elle lui raconte avec une noble naïveté les visions qui l’ont déterminée à s’armer pour le roi. Jeanne s’anime, son esprit s’enflamme, elle retrace les exploits glorieux qui ont illustré sa bannière. Bedford étonné, attendri, offre à son intéressante captive de la faire conduire en Angleterre, pour la soustraire à la fureur de ses implacables ennemis ; Jeanne ne peut soutenir la pensée de s’éloigner de sa patrie : elle n’a vécu que pour elle, c’est sur son sol sacré qu’elle veut terminer ses jours. Sa voix n’est plus celle d’une simple mortelle ; ses accents prophétiques annoncent au duc que lui-même expirera bientôt loin des lieux qui l’ont vu naître, que bientôt les ennemis de la France seront honteusement chassés loin des frontières. La colère succède alors à l’étonnement, et, dans l’excès de sa fureur, le duc abandonne Jeanne à l’inquisition. Les persécuteurs de l’héroïne imaginent, pour hâter le terme de la procédure, de faire répandre le faux bruit d'une conspiration dont sa délivrance serait l’objet. Le procès, suspendu par les propositions qu’a faites Dunois, reprend son funeste cours. Enfin l’arrêt fatal est prononcé ; mais le duc de Bedford peut seul en ordonner l’exécution. Pour le tirer de ses irrésolutions, les accusateurs allèguent qu’un complot est ourdi par Dunois, dans la ville même, pour enlever Jeanne et soulever le peuple contre l’armée anglaise. Le duc de Bedford signe l’arrêt fatal ; Jeanne est conduite au bûcher. Le sénéchal vient, au dénoûment, raconter les circonstances de cet infâme assassinat, et le duc reconnaît trop tard qu’il a été trompé. « On s’aperçoit, dès l’exposition de la pièce, remarquait un journaliste, que la mort de l’héroïne est inévitable. On avait fait le même reproche à l’auteur des Templiers. Ce défaut est racheté par des beautés de détail et par un dialogue plein de chaleur et d’intérêt. »

La pièce de d’Avrigny est aujourd’hui à peu près oubliée. À l’époque de son apparition, elle fut très-bien accueillie, et elle se maintint même longtemps au répertoire de la Comédie-Française. Il est vrai que Mlle Duchesnois créa de la manière la plus remarquable le rôle de l’héroïne d’Orléans ; jamais son talent purement classique n’avait brillé à ce point. Tout en elle était en harmonie avec la poésie et les situations créées par l’auteur. Michelot (Dunois), Desmousseaux (Bedford), Lafon (Talbot), Colson (le sénéchal), Dumiliâtre (le comte de Beauvais) et Mlle Volnais (la duchesse) se distinguèrent aussi dans leurs rôles.

ŒUVRES DE PEINTURE SUR JEANNE.

Jeanne Darc à la cour de Charles VII, tableau de Saint-Evre. Le peintre a choisi le moment où la Pucelle, admise enfin en présence de Charles VII, au milieu d’une cour nombreuse, répond aux prélats qui l’interrogent, en annonçant sa mission et les visions qui la lui ont révélée. Cette composition, qui a paru pour la première fois au Salon de 1833 et qui, achetée depuis par l’État, a été placée au musée du Luxembourg, se distingue surtout par la finesse des têtes ; mais les figures, qui sont nombreuses, pèchent pour la plupart par le manque de relief. « La Jeanne Darc est bien la fille simple et inspirée que l’histoire nous représente, a dit Th. Gautier ; les têtes des gens de l’assistance sont en général d’un caractère fin et bien observé ; cependant le tableau laisse à désirer un peu plus de nerf et de résolution dans l’effet. » M. Ch. Lenormant s’est demandé ce qui rendait ce tableau attrayant : « Ce n’est pas la beauté des têtes, la finesse du dessin, la rigueur du costume ; c’est avant tout la parfaite convenance du geste de ces nombreuses figures. Vous avez la soixante personnes qui écoutent, et dans chacune la différence de l’âge, de la profession et du tempérament est observée avec justesse. Il en résulte je ne sais quoi de reposé, de réel, qui efface pour un moment toutes les imperfections du tableau. » Il est bon de faire remarquer que les lignes qui précèdent ont été écrites au beau moment des luttes du romantisme contre le classicisme : Saint-Evre, qui s’était signalé parmi les plus ardents romantiques, ne pouvait manquer d’être applaudi par Th. Gautier et par Ch. Lenormant. Sa Jeanne Darc a été louée aussi par G. Planche. Elle n’excite plus aujourd’hui qu’une médiocre admiration.

Jeanne Darc assistant au sacre de Charles VII, tableau d’Ingres. Debout sur les marches de l’autel de la cathédrale de Reims, revêtue de son armure d’acier, Jeanne porte d’une main l’oriflamme victorieuse et étend l’autre main au-dessus de l’autel, comme pour prendre Dieu à témoin qu’elle a tenu la promesse faite à son roi. Son épée et sa masse d’armes pendent à son côté ; son heaume et ses gantelets reposent, à ses pieds, sur un coussin. Derrière elle se pressent, dans un espace étroit, Doloy, son écuyer, Jean Paquerel, son confesseur, et quelques pages qu’on croirait détachés d’un manuscrit du XVe siècle, tant ils ont le caractère de l’époque. La scène du sacre, à laquelle Jeanne assiste, se passe hors de la vue du spectateur.

Ce tableau, exécuté en 1854, et qui parut pour la première fois à l’Exposition universelle de 1855, a été diversement apprécié. M. About s’est contenté de dire que c’est « un mauvais tableau, où l’acier et le cuivre jouent le principal rôle. » Selon Maxime Du Camp, « Ingres a suivi une mauvaise inspiration en essayant un sujet devant lequel ont échoué jusqu’à présent tous les poètes, tous les sculpteurs, tous les peintres qui l’ont tenté ; car il n’a pas réussi mieux qu’eux. Par quelle fatalité cette pauvre chère héroïne de la France n’a-t-elle jamais pu donner motif qu’à des œuvres au moins médiocres ? C’est ce que nous ne saurions dire. Plane-t-elle donc si haut dans les sphères de l’esprit, qu’elle demeure en dehors même des plus généreux efforts des arts et de la littérature ? Il est juste du reste que cette France ingrate soit frappée d’impuissance lorsqu’elle cherche à déifier maintenant celle qu’elle a si monstrueusement laissée périr autrefois. » M. Du Camp ajoute : « Le visage de la Jeanne Darc de M. Ingres, d’une beauté régulière, est insignifiant, et n’a rien de cet enthousiasme surhumain qui poussait la pauvre fille à travers la bataille... Ce qu’il y a de plus remarquable dans cette toile, dont l’effet est manqué, c’est la façon dont l’artiste a peint l’autel ; il est arrivé là jusqu’au trompe-l’œil le plus parfait ; mais cela ne suffit pas à faire un bon tableau ; nul n’a jamais contesté à M. Ingres l’adresse de sa main, l’habileté prodigieuse de sa brosse, mais nous étions en droit d’attendre de lui une autre Jeanne Darc que cette jeune fille qui n’a rien d’historique que le costume. » M. Th. Gautier, dont on connaît l’humeur bienveillante, n’a que des éloges à faire de ce tableau : « Sous la cuirasse bombée s’arrondit et palpite le sein de la jeune vierge ; ses hanches féminines se devinent à travers le tonnelet de mailles, et quand même elle aurait sur la tête son casque, la visière fermée, son sexe ne serait un mystère pour personne ; la luisante carapace d’acier qui la recouvre ne lui enlève rien de sa sveltesse vigoureuse ; sa tête aux traits purs et réguliers, qu’accompagnent des cheveux partagés sur le front et coupés à la hauteur des oreilles, respire le calme contentement du rêve réalisé, le tranquille enthousiasme de la mission accomplie... Ceux qui refusent la couleur à M. Ingres n’ont qu'à regarder attentivement les ornements de l’autel, le tabernacle, le ciboire, les flambeaux, et ils changeront à coup sûr d’idée : il y a là des ors du ton le plus riche et d’une vérité à faire illusion. Le trompe-l’œil ne signifie pas grand’chose en art, et M. Ingres le méprise plus que personne ; mais, poussé à ce point, il prouve une véritable puissance de coloriste... Grâce à M. Ingres, Jeanne Darc possède enfin une image digne d’elle. » Il nous sera permis de n’être pas de l’avis de l’éminent critique. Nous croyons, avec M. Du Camp, que la Pucelle d’Orléans attend encore son peintre.

Le tableau d’Ingres appartient à l’État. Il a été successivement placé dans les galeries de Versailles, au musée du Luxembourg et au palais du Corps législatif.

Jeanne Darc au sacre de Charles VII, tableau de P.-C. Comte, au musée de Reims. Le roi, vêtu d’étoffe bleue brochée de fleurs de lis d’or, la couronne sur la tête, un sceptre dans chaque main, descend les degrés de l’autel, près duquel est debout l’évêque des mains de qui il vient de recevoir l’onction sainte ; il se dirige vers son siège et son prie-Dieu, que gardent deux seigneurs, appuyés sur de longues épées, et deux hallebardiers. À gauche, près de l’autel, sont groupés les barons et les dignitaires de la cour de France. Au fond, les cardinaux et les évêques sont assis au bas d’une tribune pleine de seigneurs et de dames. Jeanne Darc, revêtue de sa cuirasse et d’un long manteau blanc, et tenant à la main son oriflamme victorieuse, ploie le genou devant Charles VII et lui dit ; « Gentil roy, ores est exécuté le plaisir de Dieu qui vouloit que levasse le siège d’Orléans et que vous amenasse en cette cité de Reims recepvoir votre saint sacre, en montrant que vous estes vray roy et celuy auquel le royaume de France doit appartenir. » Ce tableau, très-étudié dans les costumes et les détails de l’architecture, a un faux air de tapisserie du moyen âge. C’est moins une œuvre d’artiste qu’une œuvre d’archéologue, « qu’un prodigieux travail de résurrection, fait avec une conscience scrupuleuse et une science profonde, » suivant les expressions de Th. Gautier. Un autre critique, M. Victor Fournel, a jugé aussi que, dans ce tableau, la scène n’est plus que l’accessoire du décor : « L’attention, a-t-il dit, s’égare et s’oublie dans tous ces détails archaïques de costumes et d’architecture, rendus avec une couleur aussi riche et un soin aussi minutieux que si chacun de ces détails était à lui seul le sujet tout entier... M. Comte a dépensé un très-grand talent, une grande science archéologique, une patience et un travail énormes, pour faire un tableau médiocre. » La Jeanne Darc au sacre de Charles VII a été exposée pour la première fois au Salon de 1881 ; elle a figuré ensuite à l’Exposition universelle de 1867.

Jeanne Darc, malade, interrogée dans la prison par le cardinal de Winchester, tableau de Paul Delaroche. Jeanne, les fers aux poignets, est étendue et accoudée sur un grabat ; elle joint les mains et lève les yeux au ciel pour implorer l’assistance divine. Le cardinal, en robe rouge, camail et barrette, est assis devant elle, au centre du tableau. De la main droite il étreint le bras de son fauteuil ; de la main gauche, tendue en avant, il fait un geste impérieux. Son visage, de profil, a une expression dure et menaçante ; son regard inquisiteur se fixe sur la prisonnière ; sa bouche interroge. Debout derrière lui, un greffier dresse le procès-verbal de cet interrogatoire odieux ; il a la physionomie calme, impassible, de l’homme habitué aux procédures de l’implacable justice. Dans le fond, on voit un escalier de pierre dont les marches sont effleurées par un timide rayon de lumière. Un jour plus vif éclaire le visage et les mains de la Pucelle.

Ce tableau, exposé pour la première fois au Salon de 1824, valut à Delaroche, qui était alors à ses débuts, les éloges à peu près unanimes de la critique. Voici comment s’exprimait l’auteur anonyme d’une Revue de cette Exposition, publiée chez Dentu : « Il y a dans l’expression du cardinal quelque chose de forcé et de trop dur ; mais sa tête est d’une précision admirable. L’expression de Jeanne est noble, pleine de candeur et d’innocence ; cependant M. Delaroche en a fait une trop petite fille, et elle paraît trop jeune. Jeanne, sans doute, devait avoir les dehors décents, peut-être un peu timides ; mais celle qui remplissait toute l’armée d’une sainte ardeur et lui communiquait l’enthousiasme devait avoir l’âme forte ; et, quoique malade ici, elle doit cependant conserver un peu de cette supériorité intérieure, et avoir les dehors d’une femme forte. Quant au greffier, M. Delaroche l’a fait avec une figure douce, indifférent à cette scène cruelle ; c’est, il me semble, un contre-sens. C’était ou une figure sèche et pleine de dureté, comme celle de son patron, qu’il lui fallait donner, ou plutôt une figure pleine de sensibilité et de compassion pour les malheurs de Jeanne, et d’horreur pour la barbarie de son supérieur : cela eut jeté un bien autre intérêt sur cette scène. » Cette dernière observation ne nous paraît pas juste : les greffiers, en général, n’ont pas l’âme sensible ; ils sont blasés en fait d’émotions judiciaires. Delaroche devait, d’ailleurs, éviter de donner au sien un rôle important ; il l’a relégué avec raison dans la pénombre du cachot. Mais reprenons notre citation : « Si ce tableau n’est pas irréprochable dans sa composition, qu’il est remarquable par d’autres parties ! Ce cardinal, si dur d expression, comme il est dessiné ! comme ses carnations sont belles, ses mains rendues avec vigueur et précision ! Cette draperie (la robe rouge), qui semblerait devoir être fatigante par son éclat, comme elle est harmonieuse, comme l’étoffe en est moelleuse, et comme, en suivant la direction du genou, elle semble sortir de la toile ! Jeanne, placée en raccourci, est encore une figure bien exécutée, mais pourtant moins belle que celle du cardinal. Enfin, comme ce tableau est précieux pour la beauté du coloris et le charme du clair-obscur ! » La Jeanne Darc a été réexposée à l’exhibition posthume des œuvres de P. Delaroche, en 1857 ; elle a été appréciée ainsi à cette époque par M. de Pesquidoux (l’Union)  : « Dans cette page, la vérité historique est cherchée et rendue. Le sentiment est juste et touchant. Que d’émotion, de surprise et de douleur sur la figure de Jeanne, lorsqu’elle entend les crimes dont on veut qu’elle s’accuse ! Combien le spectateur éprouve de sympathie pour la victime et de haine contre le bourreau ! contre ce bourreau en robe rouge, dont le geste est si impitoyable, dont !a lèvre serrée, dont l’œil sinistrement voilé, attestent tant d’impudeur et de cruauté ! L’exécution laisse à désirer, et l’on voudrait surtout un air ambiant plus fin et plus moelleux. » Comparée aux œuvres postérieures de l’auteur, la Jeanne Darc peut sembler, en effet, un peu faible de facture ; mais, à l’époque où elle parut, elle méritait d’être distinguée des productions ternes et froides des disciples de l’école classique. Elle faisait partie, en 1857, de la collection du duc de Padoue. Elle a été gravée à la manière noire par Reynolds.

La Mort de Jeanne Darc, tableau d’Eugène Devéria, au musée d’Angers. L’héroïne est debout sur le bûcher qu’allument les bourreaux. Un prêtre lui présente le crucifix, qu’elle avait demandé à baiser.

Du Christ avec ardeur Jeanne baisait l’image ;
Ses longs cheveux flottaient épars au gré des vents.
Au pied de l’échafaud, sans changer de visage.
     Elle s’avançait à pas lents.
Tranquille, elle y monta : quand, debout sur le faîte,
Elle vit ce bûcher qui l’allait dévorer,
Les bourreaux en suspens, la flamme déjà prête,
Sentant son cœur faiblir, elle baissa la tête
     Et se prit à pleurer.
                            C. Delavigne

Le peintre n’a pas exprimé cette tristesse qui s’empara de la Pucelle au moment suprême. « La physionomie de la victime n’exprime aucun sentiment, aucune expression, dit M. de Pesquidoux (Voyage artistique en France) ; rien ne l’émeut, rien ne l’agite : ni la crainte des flammes qui l’entourent, ni l’angoisse du dernier moment, ni la foi en Dieu, ni l’espérance du chrétien. On en peut dire autant des spectateurs ou des bourreaux : aucune passion ne les anime. Où sont ces féroces soudards qui activaient la flamme et se riaient des convulsions de la Pucelle ? Où est toute cette populace ameutée par l’Angleterre, qui jetait à l’héroïne les insultes et les malédictions ? Dans ce tableau, M. Devéria semble avoir perdu même les qualités qui paraissaient inhérentes à sa nature. »

Gustave Planche, rendant compte de ce tableau, en 1831, reconnaît aussi qu’il manque d’action et de gravité : « La Pucelle est jolie, dit-il, et n’est pas belle ; c’est une sainte déjà canonisée, ce n’est pas une jeune fille qui meurt et qui mêle à ses derniers vœux, à sa pieuse résignation, des larmes amères, qui regrette la vie en montant au ciel. L’héroïne, telle que le peintre l’a conçue, n’a ni la poétique sublimité de l’Iphigénie française, ni la naïve vérité de l’Iphigénie d’Euripide. » Planche est d’avis, toutefois, que l’œuvre n’est pas indigne, sous le rapport de l’exécution, du peintre de la Naissance de Henri IV : « Plusieurs morceaux de cette toile, dit-il, entre autres les évêques de droite, sont admirablement traités ; le talent de l’auteur s’y retrouve tout entier. » Devéria a lithographié deux portraits de Jeanne Darc : l’un rappelle quelque peu le type du musée d’Orléans ; l’autre est une figure de pure fantaisie, qui se rapproche beaucoup plus de la grisette de 1830 que de la villageoise inspirée du XVe siècle.

ŒUVRES DE SCULPTURE SUR JEANNE.

Statue de Jeanne Darc, par Rude ; jardin du Luxembourg. Le célèbre artiste a représenté l’humble vierge de Domremy au moment où, prêtant l’oreille aux voix qui lui dictent la mission de délivrer la France, elle se sent enflammée d’une ardeur invincible et se dispose à revêtir l’armure des combats. Ce sujet, extrêmement difficile à exprimer en sculpture, a été rendu par Rude avec une remarquable énergie. La tête légèrement inclinée vers l’épaule gauche, la main droite élevée au niveau de l’oreille, la bouche ouverte, les narines frémissantes, les pupilles dilatées, Jeanne écoute les voix d’en haut qui lui crient que la patrie souffre, que le jeune roi est sans défense et sera bientôt sans États, qu’il faut courir sus aux oppresseurs. Elle écoute... et déjà elle saisit de la main gauche un heaume posé sur une cuirasse, et déjà, le corps porté en avant, elle s’apprête à s’élancer au milieu de la mêlée.

Cette statue, qui a été exposée au Salon de 1852, a été diversement appréciée. Certains critiques en ont fait un éloge complet. « Cette Jeanne Darc ne me semble pas seulement plus belle et plus complète, humainement et historiquement, que toutes celles que l’on a faites jusqu’à présent, a dit M. J.-J. Arnoux ; elle ne me paraît pas seulement supérieure à toutes les statues de femmes célèbres qui peuplent le jardin du Luxembourg ; à mon avis, elle est parfaite. » Le savant Delécluze, des Débats, a proclamé cette statue la meilleure du Salon de 1852 :« Que la tête et les mains de la guerrière sont belles ! a-t-il dit. Avec quel art et quel talent l’artiste a su donner de la grandeur et de la beauté à son personnage, tout en lui imprimant une personnalité frappante ! Mais ce que je ne saurais trop louer, c’est le jet simple et majestueux des draperies, et surtout les formes souples, puissantes