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les appelait les forçats pour la foi. La peine des galères était appliquée, dit M. Coquerel, aux protestants : 1o pour avoir assisté à une assemblée illicite ; 2o pour avoir servi de guide à un ministre ou lui avoir donné asile ; 3o pour avoir introduit en France, ou même avoir eu en sa possession, malgré la défense du roi, des livres protestants, bibles, psautiers ou autres ; 4o pour avoir tenté de sortir du royaume. Les gouverneurs étaient impitoyables. Il y avait, au commencement du xviiie siècle, des galériens de dix-sept, seize et même quinze ans. En 1846, M. Charles Baudin, étant préfet maritime à Toulon, releva, sur le registre d’écrous des galères de Marseille, la condamnation aux galères, par M. de Basville, intendant du Languedoc, d’un enfant, pour avoir, étant âgé de plus de douze ans, accompagné son père et sa mère au prêche. Les vieillards n’étaient pas plus épargnés. Ou ne faisait grâce ni aux septuagénaires ni aux octogénaires. Toutes les conditions sociales se coudoyaient sur le même banc. Les gentilshommes et les roturiers, les négociants et les artisans étaient confondus dans la même peine. Les noms qu’on rencontre le plus rarement sont justement ceux des pasteurs : pour eux, les galères étaient un châtiment trop doux. Et cependant les forçats demeuraient enchaînés à leur banc, jour et nuit, sans pouvoir se coucher, mal nourris, mal vêtus, exposés à toutes les intempéries, roués de coups à la moindre faute, condamnés à la bastonnade et succombant plus d’une fois à la peine. Des catholiques furent convertis par leurs souffrances. Un prêtre, Jean Bion, aumônier de la galère la Superbe, passa au protestantisme et s’enfuit de France. Ayant vu donner la bastonnade à de malheureux réformés, il alla les visiter dans la cale et fondit en larmes devant leurs plaies saignantes : ils lui adressèrent des paroles d’encouragement. Il fut touché par ce spectacle : « Leur sang prêchait, dit-il, je me sentis protestant. »

M. Coquerel a raconté l’histoire de Marteilhe de Bergerac et de Jean Fabre, l’honnête criminel, dont la vie fournit le sujet d’un drame à Fenouillot de Falbaire. On sait que Jean Fabre obtint des soldats qui emmenaient son père, arrêté dans une assemblée religieuse aux environs de Nîmes, la permission de prendre sa place. M. Coquerel, dans un appendice qu’il a joint à son ouvrage, a donné la liste des forçats pour la foi depuis 1604 jusqu’en 1762. Ce document, dans sa simplicité, est plus éloquent qu’on ne peut le dire. Malgré toutes les tortures, quelques-uns à peine ont faibli, et cependant un mot, une signature, et leurs chaînes tombaient. On peut penser ce qu’on voudra de la doctrine protestante ; mais ce qu’on ne saurait méconnaître, c’est la dignité et le courage moral dont ont fait preuve ces forçats pour la foi. « Il est donc juste et utile de garder la mémoire de ces hommes obscurs. Ils n’ont jamais prétendu à la gloire ; mais, en s’acquittant héroïquement de leurs douloureux devoirs, ils ont rendu à leur pays des services plus réels et lui ont fait plus d’honneur que bien des personnages illustres et admirés. » Cette conclusion de M. Coquerel est aussi la nôtre.

FORCE s. f. (for-se — bas lat. forcia, fortia, dérivé du latin fortis, fort, courageux, qui se rapporte sans doute à la racine sanscrite bhar, porter, supporter, grec pherô, phoreô, latin fero). Vigueur, puissance d’action physique chez l’homme ou l’animal : Force physique. Force de corps, de bras, de reins. La force d’un lutteur. Le lion méprise les animaux qui ne sont pas de sa force. (Cal de Richelieu.) La force des hommes n’est estimée que 25 livres, et celle des chevaux 175. (Volt.)

Je ne me soutiens plus, ma force m’abandonne.
Racine
Patience et longueur de temps
Font plus que force ni que rage.
La Fontaine.

— Par anal. Énergie d’action dans les choses privées de vie : La force de la poudre à canon. La force du courant. La force du vent. La force d’un acide. La force d’expansion de la vapeur. La force du choc. La force d’une balle. || Solidité, pouvoir de résister : La force d’un mur. Cette toile, cette étoffe a beaucoup de force.

— Cause agissante qui produit un effet physique ou moral : Il y a dans nous une force morale qui tend toujours vers la vérité. (Mme de Staël.) La pensée, l’esprit, l’intelligence, l’amour sont des forces. (Franklin.)

— Par ext. Puissance prédominante, pouvoir de contraindre ou d’agir malgré les obstacles ; violence : Avoir la force en main. Employer la force. Céder à la force. Tirer sa force de la faiblesse des autres. La force ne lie pas la conscience. (Pufendorf.) La force peut agir quand elle se trouve jointe avec l’équité. (Boss.) Ce qui me frappe dans le monde, c’est l’impuissance de la force ; de ces deux puissances, la force et l’intelligence, c’est à la fin la force qui est toujours vaincue. (Napol. Ier.) La force ! toujours la force ! la force vaincue par la force, au lieu de la force désarmée par l’intelligence ! (E. de Gir.)

… Jamais par la force on n’entre dans un cœur.
Molière.
La force fonde, étend et maintient un empire.
Saurin.
……Force n’a point de loi ;
S’accommoder à tout est chose nécessaire.
La Fontaine.
C’est la nécessité, c’est la règle fatale,
Toujours l’esprit le cède à la force brutale.
Th.Gautier.

—Fig. Énergie morale, puissance de l’âme ; courage, résolution : Montrer de la force d’âme. Je n’ai pas la force de le contrarier. La force d’âme est la vertu armée pour l’équité. (Cicéron.) Il n’y a point de vertu sans force, et le chemin du vice est la lâcheté. (J.-J. Rouss.) || Intensité, puissante efficacité morale : Les choses prématurées perdent leur force. (Fén.) Le ridicule a acquis tant de force en France, qu’il y est devenu l’arme la plus terrible qu’on y puisse employer. (B. de St-P.) || Mérite relatif ; rang, valeur comparative : Il est de première force sur le violon. On n’a jamais rien vu de cette force. L’abbé de Saint-Pierre était un original de première force. (Ste-Beuve.)

— Victoire, triomphe, succès définitif : Force est demeurée à la loi.

Force du sang, Sympathie mystérieuse entre les personnes d’une même famille.

Force de l’âge, Age où un être animé a acquis toute sa force : C’est à trente-cinq ans que l’homme est dans toute la force de l’Âge. Racine, dans la force de son Âge, né avec un cœur tendre, un esprit flexible, une oreille harmonieuse, donnait à la langue française un charme qu’elle n’avait point eu jusqu’alors. (Volt.)

Force des choses, Sorte de nécessité invincible qui résulte des faits indépendants de la volonté : Il est inutile de lutter contre la force des choses. Quand nous avons contre nous cette puissance mystérieuse que nous appelons la force des choses, nous nous déclarons vaincus d’avance. (St-Marc Gir.)

Tour de force, Exercice corporel qui exige le déploiement d’une grande force musculaire : Les bateleurs font des tours de force sur la place publique. || Résultat qui exige un effort extraordinaire d’imagination ; se dit surtout de ce qui présente plus de difficulté que de mérite : Faire une comédie sur un pareil sujet, c’est un vrai tour de force. Certains anagrammes sont des tours de force merveilleux.

Camisole de force, Camisole qu’on met à certains aliénés et à certains condamnés dont on redoute les fureurs, et qui les met dans l’impossibilité de se servir de leurs bras.

Dans la force, dans toute la force du terme, Dans la vérité, dans l’énergie entière des mots employés : Racine, loin d’être un classique, est au contraire un novateur, un romantique dans la force du terme. (Th. Gaut.)

Force est de, Il est nécessaire, inévitable de : Force nous fut d’obéir. L’immobilité politique est impossible ; force est d’avancer avec l’intelligence humaine. (Chateaub.) Nous sommes sur terre, force nous est de subir les conditions terrestres. (Mme Guizot.)

Force lui fut d’esquiver par la fuite.
La Fontaine.

Être de force à, Avoir assez de force pour ; être capable ou en état "de : Être de force à lutter contre un taureau. Être de force à raisonner avec un philosophe.

Être à bout de forces, Avoir épuisé toutes ses forces, et, fig., Avoir épuisé toute sa patience, son énergie, son courage : Arrêtons-nous, je suis À bout de forces. Ma patience s’en va, je suis à bout de forces.

— Jurispr. Force majeure, Cause à laquelle on ne peut résister, événement qu’on ne peut empêcher : Le mandataire n’eut pas responsable des cas de force majeure. ||Force de loi, Caractère obligatoire analogue à celui de la loi : L’usage, dans certains cas, a force de loi. // s’introduisit une coutume ayant force de loi en France, en Allemagne, en Angleterre, de faire grâce de la corde à tout criminel condamné qui savait lire, tant un homme de cette condition était nécessaire à l’État. (Volt.) || Force de chose jugée, Autorité d’un jugement ou arrêt contre lequel il ne reste plus aucun moyen de se pourvoir. || Force exécutoire, Autorité en vertu de laquelle on peut contraindre à exécuter les prescriptions de la loi et les engagements contractés d’une manière légale.

— Art milit. Nombre effectif des soldats : La force d’un bataillon. La force de ce régiment est de 1,800 hommes. || En force, Avec des troupes suffisantes pour attaquer ou pour se défendre : Venir en force. Se présenter en force pour attaquer. Être en force pour se défendre. || Force armée, Corps de troupes destiné à faire exécuter la loi, lorsqu’il y a résistance de la part des citoyens : Les rassemblements seront dispersés par la force armée. || Force publique, Réunion de forces organisées pour assurer l’exécution des lois : Les gouvernements ne sont investis de la force publique que pour empêcher l’action des forces particulières. (De Bonald.) Là où la force publique n’existe pas, les libertés individuelles sont sans garantie. (Guizot.)

— Mar. Ligne de force, Ligne de bataille où les navires jugés les plus forts occupent la tête, || Ligne de contre-force, Ligne où les navires les plus forts sont en queue. || Manœuvre de force, Travail de bord qui exige la coopération d’un grand nombre de matelots. || Faire force de rames, force de voiles, Ramer de toute sa force ; se servir de toutes ses voiles pour aller plus vite, et, fig., Faire tous ses efforts pour réussir en quelque affaire.

— Administr. Maison de force, Maison de correction, de détention.

— Typogr. Foret de corps d’un caractère, Largeur du prisme métallique qui porte l’œil de la lettre : Les caractères d’imprimerie sont des prismes dont la hauteur est invariable ; la la largeur varie suivant la force de corps, l’épaisseur, suivant les lettres. La force de corps est la condition distinctive de chaque caractère, celle d’où il tire son nom. (H. Fournier.)

— Constr. Forces ou Jambes de force, Nom donné à deux grosses pièces de charpente qui, étant posées sur les extrémités de la poutre du dernier étage d’un bâtiment, vont se joindre dans le poinçon pour former le comble.

— Mécan. Force d’attraction ou Force centripète, Force qui attire, qui tend à rapprocher le mobile du centre d’action : La pesanteur est le résultat de la force centripète. toutes les molécules de la matière sont douées d’une force d’attraction. Dans le langage ordinaire, Attrait qui attire certains êtres les uns vers les autres : La beauté n’a qu’une mesure, la force d’attraction. (Toussenel.) || Force de répulsion ou Force centrifuge, Force qui tend à éloigner le mobile du centre d’action : La force centrifuge diminue notablement la pesanteur à l’équateur. || Force d’inertie ou simplement Inertie, Propriété des corps par laquelle ils conservent le mouvement qu’ils ont reçu et ne peuvent se mettre spontanément en mouvement. Dans le langage ordinaire, Résistance passive : Les Allemands sont peu entreprenants, mais ils ont une grande force d’inertie. || Force morte, Celle dont l’effet est actuellement neutralisé : Les frottements, dans les machines, sont des forces mortes. La pesanteur d’un corps soutenu est une force morte. || Force vive, Force qui obtient son effet naturel, c’est-à-dire qui se traduit par un mouvement : Les forces vives d’une machine sont de beaucoup inférieures à la force totale développée. Dans le langage ordinaire, Ce qui possède une action véritable : Les forces vives d’une nation.

— Manège. Cheval de force, Cheval propre aux travaux qui exigent beaucoup de force : Le cheval boutonais est le type parfait du cheval de force. (Fr. Pillon.)

— Jeux. Onzième carte des tarots suisses.

— Min. Nom par lequel les ouvriers houilleurs de Saint-Étienne désignent collectivement tous les gaz délétères qui gênent les travaux dans un grand nombre d’exploitations.

— Loc. adv. À force, Beaucoup, extrêmement : Travailler À force.

À toute force, Par toutes sortes de moyens ; quand même, malgré tout ; à tout prendre : Il ne faut point imprimer tout ce qu’ont écrit de pauvres auteurs, mais seulement ce qui peut À toute force être digne de la postérité. (Volt.) Le fanfaron, le poltron veut à toute force passer pour sage. (J.-J. Rouss.)

Un pâtre, à ses brebis trouvant quelque mécompte,
Voulut à toute force attraper le larron.
La Fontaine.

À force ouverte, Par l’emploi avoué de la force, et non par ruse : On chasse le sanglier À force ouverte avec des chiens. (Buff.)

De force, Avec effort ; par la violence : Prendre une ville de force. C’est un penchant funeste à la science que de rattacher de force tous les faits à la même cause. (Renan.)

On ouvre mal de force une bouche fermée.
V. Hugo.

|| De gré ou de force, Volontairement ou par contrainte : De gré ou de force, tu me payeras. || De toute sa force ou De toutes ses forces, En faisant les plus grands efforts physiques ou moraux ; autant qu’on peut : Tirer de toute sa force. Résister de toutes ses forces à une volonté tyrannique. || De vive force. Par l’emploi de la force, par une attaque franche et vive : Prendre une ville de vive force.

— Loc. prépos. À force de, Par l’usage fréquent, par l’emploi fréquent, par l’action réitérée de : À force de conseils. À force de travailler. L’espèce humaine donne seule l’exemple d’enfants élevés À force de coups. (Mme Monmarson.) L’homme ne devient habile qu’À force d’observations et d’expériences, (Proudh.) Nous apprenons à marcher À force de tomber. (F. Bastiat.)

Tel est devenu fat à force de lecture.
Qui n’eût été qu’un sot en suivant la nature.
Du Resnel.
……..Au diantre tout valet
Qui fatigue son maître, et ne fait que déplaire
À force de vouloir trancher du nécessaire !
Molière.

||À force de bras, Par la seule force des hommes ou sans emploi d’animaux ni de machine à moteur inanimé : Les pièces d’artillerie furent montées À force de bras au haut du Saint-Bernard.

— Adjectiv. Beaucoup, un grand nombre de : Force gens croient être plaisants qui ne sont que ridicules. (J.-L. de Balz.) Il y a Force méchants et Force fous en ce bas monde. (Volt.)

Force gens ont été l’instrument de leur mal.
La Fontaine.
Voir cajoler sa femme et n’en témoigner rien,
Se pratique aujourd’hui par force gens de bien.
Molière.

Syn. Force, énergie, vigueur. V. ÉNERGIE.

Encycl. Hist. Exemples remarquables de force. La force physique a dû être en grand honneur à l’origine des sociétés, et constituer une véritable supériorité en faveur de celui qui en était doué. La société ne se trouvant pas encore organisée, et ne pouvant, par conséquent, protéger chacun de ses membres, l’individu restait livré à ses propres ressources et n’avait aucun secours à attendre d’une autorité quelconque. C’est pourquoi l’homme qui, par sa force physique, par la vigueur de ses muscles, savait repousser les agressions de ses semblables, et, au besoin, couvrir de sa protection ses proches, ses amis, ses voisins, entrait nécessairement en possession de la gloire et de la célébrité qui sont aujourd’hui, dans cet ordre d’idées, l’apanage exclusif des généraux victorieux. Tel est le secret de l’immortalité acquise aux exploits de la force chez les peuples primitifs. Tous ont conservé dans leurs annales le souvenir de quelques-uns de ces héros dont le bras robuste a accompli des merveilles. Chez les Hébreux, on trouve Samson, dont les exploits sont trop connus pour que nous les rapportions ici ; nous dirons seulement, en passant, que l’imagination des Juifs a été réellement faible quand elle a créé les contes que l’on sait sur la force extraordinaire de l’amant de Dalila. Les Grecs sont bien autrement inventifs ; leur Hercule est bien supérieur à Samson, et quand même il faudrait en rabattre de tous les hauts faits que lui prête la Fable, il n’en reste pas moins avéré que c’était un homme d’une force et d’une vigueur sans égales. Cette même époque, du reste, est féconde en hommes forts et vigoureux ; c’est alors que vivent les Antée, les Gorgon, les Thésée et autres personnages moitié historiques, moitié fabuleux.

La plupart des héros d’Homère sont d’une force extraordinaire ; contentons-nous de rappeler ici ce fameux arc que le roi d’Ithaque seul pouvait bander. C’est à de semblables traditions que la Grèce dut cette sorte de culte qu’elle professa toujours pour la force ; on sait de quels honneurs étaient comblés les athlètes vainqueurs aux jeux Olympiques. Ils rentraient dans leur ville natale par une brèche pratiquée exprès dans les remparts, comme pour signifier qu’une cité qui comptait dans son sein d’aussi vaillants citoyens n’avait pas besoin de murailles pour se défendre.

Cette attention, flatteuse pour les athlètes, et fort coûteuse pour les villes, n’était pas goûtée de tout le monde, même a cette époque, et Euripide, au risque de se faire assommer par un de ces terribles lutteurs, ne se cachait nullement pour mêler cette épine au laurier dont on tressait leurs couronnes : « Qu’un athlète excelle à la lutte, qu’il soit léger à la course, qu’il sache lancer un palet ou appliquer un coup de poing, à quoi cela sert-il à sa patrie ? Repoussera-t-il l’ennemi à coups de disques, ou le mettra-t-il en fuite en s’exerçant a la course, armé d’un bouclier ? On ne s’amuse pas à ces bagatelles quand on se trouve a la portée du fer. »

Cela ne rappelle-t-il pas ce trait méchant décoché par Malherbe contre ses confrères du Parnasse : « Le meilleur poète n’est guère plus utile à l’État qu’un bon joueur de quilles ? »

Nous ne rappellerons pas ici les exploits plus ou moins authentiques de Milon de Crotone, qui assommait un bœuf d’un coup de poing et le mangeait ensuite tout entier pour son dîner. Polydamas, de Tarente, n’était pas doué d’une force et d’un appétit moins vigoureux. Un jour, il saisit un taureau par un de ses pieds de derrière, et l’animal ne put lui échapper qu’en laissant la corne de ce pied entre les mains du puissant athlète.

Quelle ne devait pas être la force de ces chevaliers du moyen âge, qui guerroyaient tout bardés de fer, et dont nous pouvons à peine aujourd’hui soulever les lourdes armures ! Pour ne citer qu’un exemple maintes fois célébré par les chroniqueurs, Godefroy de Bouillon, d’un seul coup de sa redoutable épée, fendait en deux un cavalier depuis le sommet de la tête jusqu’à la selle.

Froissart, dans ses Chroniques, rapporte un exploit que n’eût point désavoué Milon de Crotone. L’aventure se passe chez le comte de Foix, seigneur de Béarn, toujours entouré d’une cour nombreuse de chevaliers, d’écuyers et de pages, dont le chroniqueur faisait lui-même partie. Le comte de Foix, aussi dur pour les autres que pour lui-même, passait généralement l’hiver sans feu, bien que dans le Béarn la saison froide soit des plus rigoureuses. Cependant, le jour de Noël de l’année 1388, il se plaignit du froid, et regardant un maigre tison qui fumait dans l’immense cheminée : « Quel misérable feu par le temps qu’il fait, » dit-il. Un seigneur de l’entourage du comte entendit sa plainte ; c’était Ernaulton d’Espagne, bien connu par sa force et sa valeur. Il avait vu, par les fenêtres de la galerie donnant sur la cour, une quantité d’ânes qui arrivaient chargés de bois pour le service du château. Saisir le plus grand de ces quadrupèdes, y compris son chargement, le mettre sur ses épaules moult légèriement, monter dans cet attirail les vingt-quatre degrés qui conduisaient à la grande galerie, et, fendant la