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PIERRE LASSERRE

du style ; ils sentent que si ce joug si méchant leur était imposé, il ne pourrait que les rendre vils ; ils deviennent esclaves dès qu’ils servent, ils haïssent de servir. De tels esprits — ce peuvent être des esprits de premier rang — n’ont qu’une visée : de se modeler et de se donner à comprendre eux-mêmes et ce qui les entoure, comme libre Nature — sauvages, sans règles, fantasques, hors de tout ordre, étonnants… » (Die fröhliche Wissenschaft, p. 220.)

Dans les siècles classiques, une œuvre d’art est d’autant plus goûtée qu’elle unit à une plus impeccable pratique, à une science plus profonde des ordonnances traditionnelles, plus de liberté, de jeunesse, d’imprévu, de fraîcheur. Cela est d’une psychologie très sage. Car, à supposer que les règles qui résultent d’une telle exigence soient un peu lourdes et oppressives, on n’en est que mieux assuré, à voir un génie les porter légèrement, qu’il est plein de force et de ressources. Mais en fait les formes classiques sont des œuvres d’art générales d’un peuple artiste. Elles signifient les diverses sortes d’arrangement sous lesquelles l’intelligence et les sens de son élite se plaisent le plus à embrasser un sujet et en sont le plus capables. La séduction d’un chef-d’œuvre classique, c’est donc bien moins de nous révéler une personnalité nouvelle ou un sujet nouveau que de nous