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PIERRE LASSERRE

très curieuse dans la forme, très éliminatrice et élective, au fond très raisonnable. Il la trouve avant tout aristocratique. Du moins ce mot résume-t-il assez bien les qualités qu’il en signale comme les plus précieuses. Et il ne s’agit pas seulement de ce fait banal, que, depuis la Pléiade, nos grands écrivains n’ont été populaires ni par le langage ni par le choix des sujets. Nietzsche veut dire qu’ils ne se sont proposé d’autre matière à exprimer, à représenter sans cesse sous des aspects nouveaux et rajeunis, que celle qui ferait la principale curiosité d’un aristocrate très intelligent, d’un homme d’entière liberté d’esprit et de goût suprême, vivant dans une société très policée, à une époque de paix publique.

Qu’est-ce qui intéresserait, entre toutes, ces personnages. L’étude de l’homme, je ne veux pas dire l’homme des bois et des cavernes, mais l’homme civilisé (correctif qu’il n’y avait pas besoin d’ajouter avant Rousseau), la nature humaine, telle que l’ont, non pas modifiée ou déformée, mais bien plutôt dégagée et presque créée, en faisant des instincts les sentiments et les goûts, en raffinant, compliquant, intériorisant les passions, plusieurs siècles de vie nationale et de sociabilité progressive. — N’est-ce pas là l’unique thème de tous les bons livres français, de ceux qui ne pouvaient être écrits qu’en France ? De là leur caractère à la fois réaliste et choisi ; ils sont aussi exempts d’idéalisme que de vulga-