Page:Lasserre - La Morale de Nietzsche.djvu/163

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
151
APPENDICE

l’intérêt matériel de la nation considérée comme un tout. Elle est nécessaire à la santé et à la beauté de l’espèce humaine. Elle profite à la dignité des individus de tout rang, je dis : du peuple non moins que de l’aristocratie. Le régime de la distinction des classes peut seul faire atteindre à la généralité des citoyens leur maximum de valeur morale et d’intelligence. Celui de l’égalité universelle les mène au dévergondage. En obligeant toujours le premier venu à manifester des opinions sur les intérêts les plus généraux de la civilisation et de l’État, il lui fait une loi de la sottise. Quoi de plus ruineux pour nous-mêmes que des devoirs ou des prétentions supérieurs à la sphère de compétence visiblement circonscrite par notre naturel ? Cette immodestie nous rend nuisibles à l’ordre public, comme sont tous les mal assurés, tous les agités. Mais surtout elle nous défigure ; elle dépense en creuses paroles, en gestes impuissants et mal ordonnés, une activité qui, concentrée sur des objets adéquats, eût enfanté quelque chose. Troubler tous les hommes avec des soucis qui ne laissent de sang-froid que des têtes exceptionnellement averties ! Le dogme fondamental de l’égalitarisme, c’est que si tous n’ont pas la science, tous ont l’inspiration. Verrons-nous jamais la réalisation de ce sombre rêve : les ouvriers de Paris penchant sur leur verre de vin des visages assombris par quelque folle espérance millénaire ! Mais quand même le rôle d’hiérophantes, de révé-