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NOUVELLE PRÉFACE

les arts. Du moins ne pouvaient-elles produire qu’un art tourmenté et plein de tares ne remplissant pas la vraie et bienfaisante fonction de l’art, qui est de mettre de la beauté et de la douceur dans la vie.

Les grands écrivains qui, en France et ailleurs, se sont faits les interprètes de la plainte générale dont je résume ici le sujet, un Stendhal, un Renan, un Flaubert, un Baudelaire, un Ruskin, un Nietzsche (sans oublier Richard Wagner, malgré ce qu’il a de confus dans les idées), un Musset à ses heures, ont, je crois, exagéré la laideur du monde moderne, qui, pris dans sa masse, n’était pas plus laid que ses aînés, s’il l’était d’une manière différente. Mais ce qu’ils ont bien vu, c’est l’absence, au centre ou au-dessus de ce monde, lourd et dispersé en tous sens, d’un foyer lumineux, d’un asile de l’esprit et du goût, d’un lieu où la contemplation et le génie puissent accomplir en sécurité leur œuvre pour le bien de tous et le rayonnement de toutes choses. Les âmes délicates qui ne sauraient vivre que de pensée et de fantaisie, se sont senties comme des exilées dans cet âge de plomb. De là, une tristesse maladive qui s’est si souvent ajoutée chez elles à la tristesse raisonnée, mais supportable, que la condition humaine considérée