Page:Lautreamont - Chants de Maldoror.djvu/155

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vagabonde, quand la soupe t’attend depuis une heure, avec la cuillère qui s’impatiente ? » Mais, elle s’écriait, en me sautant au cou, qu’elle n’y reviendrait plus. Le lendemain, elle s’échappait de nouveau, à travers les marguerites et les résédas ; parmi les rayons du soleil et le vol tournoyant des insectes éphémères ; ne connaissant que la coupe prismatique de la vie, pas encore le fiel ; heureuse d’être plus grande que la mésange ; se moquant de la fauvette, qui ne chante pas si bien que le rossignol ; tirant sournoisement la langue au vilain corbeau, qui la regardait paternellement ; et gracieuse comme un jeune chat. Je ne devais pas longtemps jouir de sa présence ; le temps s’approchait, où elle devait, d’une manière inattendue, faire ses adieux aux enchantements de la vie, abandonnant pour toujours la compagnie des tourterelles, des gelinottes et des verdiers, les babillements de la tulipe et de l’anémone, les conseils des herbes du marécage, l’esprit incisif des grenouilles, et la fraîcheur des ruisseaux. On me raconta ce qui s’était passé ; car, moi, je ne fus pas présente à l’événement qui eut pour conséquence la mort de ma fille. Si je l’avais été, j’aurais défendu cet ange au prix de mon sang… Maldoror passait avec son bouledogue ; il voit une jeune fille qui dort à l’ombre d’un platane, et il la prit d’abord pour une rose. On ne peut dire qui s’éleva le plus tôt dans