Page:Lautreamont - Chants de Maldoror.djvu/291

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nocturnes, la rue Vivienne se trouve subitement glacée par une sorte de pétrification. Comme un cœur qui cesse d’aimer, elle a vu sa vie éteinte. Mais, bientôt, la nouvelle du phénomène se répand dans les autres couches de la population, et un silence morne plane sur l’auguste capitale. Où sont-ils passés, les becs de gaz ? Que sont-elles devenues, les vendeuses d’amour ? Rien… la solitude et l’obscurité ! Une chouette, volant dans une direction rectiligne, et dont la patte est cassée, passe au-dessus de la Madeleine, et prend son essor vers la barrière du Trône, en s’écriant : « Un malheur se prépare. » Or, dans cet endroit que ma plume (ce véritable ami qui me sert de compère) vient de rendre mystérieux, si vous regardez du côté par où la rue Colbert s’engage dans la rue Vivienne, vous verrez, à l’angle formé par le croisement de ces deux voies, un personnage montrer sa silhouette, et diriger sa marche légère vers les boulevards. Mais, si l’on s’approche davantage, de manière à ne pas amener sur soi-même l’attention de ce passant, on s’aperçoit, avec un agréable étonnement, qu’il est jeune ! De loin on l’aurait pris en effet pour un homme mûr. La somme des jours ne compte plus, quand il s’agit d’apprécier la capacité intellectuelle d’une figure sérieuse. Je me connais à lire l’âge dans les lignes physiognomoniques du front : il a seize ans et quatre mois ! Il est beau comme la rétractilité des serres des oiseaux rapaces ; ou encore, comme