Page:Lautreamont - Chants de Maldoror.djvu/303

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semblant de ne t’apercevoir de rien. C’est ici qu’un remède efficace, matériel ou moral, trouverait aisément son emploi. Mervyn, toi qui goûtes la lecture des livres de voyages et d’histoire naturelle, je vais te lire un récit qui ne te déplaira pas. Qu’on m’écoute avec attention ; chacun y trouvera son profit, moi, le premier. Et vous autres, enfants, apprenez, par l’attention que vous saurez prêter à mes paroles, à perfectionner le dessin de votre style, et à vous rendre compte des moindres intentions d’un auteur. » Comme si cette nichée d’adorables moutards aurait pu comprendre ce que c’était que la rhétorique ! Il dit, et, sur un geste de sa main, un des frères se dirige vers la bibliothèque paternelle, et en revient avec un volume sous le bras. Pendant ce temps, le couvert et l’argenterie sont enlevés, et le père prend le livre. À ce nom électrisant de voyages, Mervyn a relève la tête, et s’est efforcé de mettre un terme à ses méditations hors de propos. Le livre est ouvert vers le milieu, et la voix métallique du commodore prouve qu’il est resté capable, comme dans les jours de sa glorieuse jeunesse, de commander à la fureur des hommes et des tempêtes. Bien avant la fin de cette lecture, Mervyn est retombé sur son coude, dans l’impossibilité de suivre plus longtemps le raisonné développement des phrases passées à la filière et la saponification des obligatoires métaphores. Le père s’écrie : « Ce n’est pas cela qui l’intéresse ; lisons autre chose.