Page:Lavedan - Il est l’heure, AC, vol. 47.djvu/3

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

est de la presse… pour l’Amérique… » Un brigadier s’approcha, vérifia — « Passez. » La haie s’ouvrit… Enfin, ça y était. Ça y était bien…

Devant nous s’étendait une esplanade déserte, une sorte de mail de petite ville. À pas lents, nous avancions, jetant autour de nous des regards inquiets. Décor lugubre. D’un côté la petite Roquette, de l’autre la grande, sa sœur aînée. Partout des murs gris, lépreux, qui très haut montaient et semblaient toucher le ciel, un ciel superbe et compatissant, semé d’étoiles à profusion. Tout en fer, large, immense, pareille à une trappe sinistre, la porte de la prison se dressait impénétrable, ses deux battants cadenassés. Dans quelques heures, par cette porte, il devait sortir, et tout à coup, se trouver nez à nez… N’y pensons pas.

Soigneusement alignés, de pauvres arbres chétifs pourrissaient avec résignation, et la courte lueur des becs de gaz vacillait sous le vent frais de la nuit.

Ma première pensée fut de chercher la guillotine. Un monsieur complaisant qui m’avait deviné me renseigna : « Elle n’est pas encore arrivée, mais on l’attend d’un moment à l’autre. D’ailleurs, ajouta-t-il, en consultant son chronomètre, il n’y a pas de mal. Une heure moins dix… elle n’est jamais là avant une heure et demie… au bas mot. » Je le remerciai, et j’errai sur la place à la recherche de mes amis que j’avais perdus. Nous étions là une centaine de personnes, dispersées en petits groupes de trois ou quatre. Quelques-uns se promenaient, tapant sur les cailloux avec leurs cannes. D’autres à l’écart, causaient femmes, ou bien fumaient, assis sur les bancs verdâtres. Et tout ce monde parlait à voix basse ainsi qu’aux enterrements. Je coudoyais les individus : reporters, gens de police, plusieurs soldats en bourgeois, quelques acteurs en quête de fameuses grimaces, des boulevardiers, un prince serbe, sans compter la petite bande des abonnés friands « qui n’en manquent pas une », ferrés sur les dates, échangeant entre eux des anecdotes et des souvenirs. Et des lambeaux de phrases s’échappaient, des mots s’éparpillaient, tombant au milieu d’un grand silence, comme des pierres dans un étang. — « Vous rappelez-vous Moreau l’herboriste ? » — « Superbe Lebiez ! une sortie à l’anglaise… » — « Personne ne mourra comme Avinain. » — « Enfin, on ne sait toujours pas son nom. à ce Campi ? » à quoi un sergent de ville répondit : « Pour moi, monsieur, on ne m’ôtera jamais de l’idée que celui-là qu’il a tué c’était son père, de la main gauche s’entend ! »

Aux deux extrémités de la place, la foule, qu’on ne voyait pas, s’amassait et grognait. Jacques à cet instant m’aborda, l’air joyeux.

— « Tu en as une veine… Je viens de blaguer avec des gens