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Page:Lavergne, Jean Coste - 1908.djvu/111

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crètes, la misère morale et matérielle de l’instituteur. Oui, c’était à se demander si on ne les bernait pas sciemment, si tous les atermoiements dont on use pour les faire patienter n’étaient pas pure comédie. Et le mécontentement de ces humbles augmentait avec le récit des souffrances endurées en silence par chacun d’eux, se traduisait par des plaintes unanimes où l’on sentait passer comme une rumeur sourde de révolte. Tout ce qu’ils osaient à peine se murmurer à eux-mêmes, dans l’isolement de la vie villageoise, s’exaspérait, grondait dans cette salle de café où ils se trouvaient réunis.

Cette fièvre de révolte commune réveilla Coste de son atonie et son âme se troubla sous la montée des angoisses et des rancunes accumulées durant son séjour à Maleval. A son tour, il parla, et les réflexions, qui à son insu lui étaient venues maintes fois, firent bouillonner son cerveau. L’œil en feu, maintenant, le geste haut, le timbre clair, il se plaignait à son tour, laissait crever l’orage de ses détresses et de ses hontes, longtemps couvées. Et soit qu’une grande amertume donnât à ses paroles un profond accent de sincérité, soit que ses collègues qui l’avaient vu, le matin à la conférence, si gauche et si peu disert, fussent étonnés de l’entendre s’exprimer avec tant de chaleur et d’aisance, il vint un moment où, dans le frais silence accueillant de la salle ouverte sur un jardinet plein du gazouillement d’un jet d’eau et des bruissements d’acacias aux odeurs naissantes, la voix de Coste résonna seule, vibrante et passionnée :

— Oui, — s’écria-t-il, — l’instituteur a raison de se plaindre devant la banqueroute des espoirs dont on l’a bercé. Certes, il a longtemps attendu, patient, confiant, dévoué, en serviteur modeste et obéissant. Mais est-ce sa faute, s’il se lasse enfin d’être toujours payé de paroles vaines, de phrases à effet, si, sous prétexte de nécessités budgétaires, on recule, d’année en année, les améliorations auxquelles il a droit ?