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Page:Lavergne, Jean Coste - 1908.djvu/127

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argent… je t’ai entendu venir doucement… Mange-tout, gueux, tu ne peux donc pas attendre que je sois morte… Mais tu me tueras plutôt que de l’avoir… soyez maudits, maudits, maudits…

Rose et Paul, couchés dans la chambre voisine, s’éveillent aux cris de la grand’mère et, à leur tour, poussent des cris perçants. Louise, pâle, accourt, à peine vêtue. Elle demande d’une voix angoissée :

— Qu’y a-t-il, qu’y a-t-il ?… ô mon Dieu !

— Ah ! elle aussi ! — rugit l’aveugle qui délire et se cramponne plus étroitement au bois de la malle, de ses ongles qui crissent. — Elle aussi, la gueuse ! Tous les deux ils étaient là… Ils veulent me voler mes derniers sous… Sortez, sortez !… Allez-vous en !… allez-vous en !… mauvais, mauvais, mauvais…

Caussette écume ; heureusement sa voix s’affaiblit, s’étrangle et ne peut s’entendre du logement de l’institutrice. À bout de souffle, la vieille femme se tait enfin et s’étale de tout son long, dans une syncope. Vite, Jean la recouche : elle est glacée et un tremblement convulsif l’agite des pieds à la tête.

Toute la nuit, Caussette délira, elle insultait son fils, sa bru, ses petits-enfants, les maudissant tous ; ou bien d’une voix faible et dolente, elle les suppliait de lui laisser son argent, ces chers écus qu’elle avait gagnés avec tant de peine depuis qu’avant la mort de son mari on l’avait dépouillée de son bien.

Le lendemain, elle mourut. Elle n’avait pas repris connaissance. Jusqu’à son dernier souffle, toujours délirante, elle vomit des blasphèmes et des malédictions sur tous les siens, poursuivie même dans son agonie par la torturante vision de son fils lui arrachant son argent. Enfin le mouvement de ses lèvres convulsées et frangées d’écume sanguinolente, s’arrêta et le silence de la mort enveloppa et la rigidité de la mort étreignit ce corps tordu de souffrance.