Aller au contenu

Page:Lavergne, Jean Coste - 1908.djvu/151

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

XXII

Plus le jour de l’élection approchait, plus M. Rastel se démenait de son côté. Nonobstant le détachement dédaigneux qu’il affectait parfois pour des fonctions qui, professait-il, l’empêchaient de goûter entièrement les charmes de la retraite, le fait est qu’il tenait, en vérité, à son écharpe autant qu’à la prunelle de ses yeux. N’était-ce pas pour lui comme une revanche de sa vie passée ? Ancien fonctionnaire subalterne, il avait, sa carrière durant, connu toutes les servilités et baissé la tête sous la morgue, les caprices et les fantaisies de ses chefs hiérarchiques. C’est pourquoi il n’était pas fâché, à son tour, d’être enfin le maître et de se dédommager de son infériorité passée par l’exercice d’une autorité presque sans contrôle, mais qu’à cause de sa bonté réelle, il ne savait pas rendre lourde aux autres, heureux des quelques satisfactions de vanité qu’il en retirait.

M. Rastel avait déserté son mas. A tous moments, il accourait à la mairie et prodiguait conseils et encouragements à Coste. Bientôt il y eut entre le maire, l’instituteur et les gros bonnets du parti, des conciliabules qui se prolongeaient fort avant dans la nuit et qui se tenaient dans la salle de la mairie, aux fenêtres hermétiquement closes, malgré la douceur des bleues soirées de mai. Ces réunions fréquentes intriguaient fort les conservateurs : « Le gros Rastel nous manigance quelque sale tour de sa façon », se disaient-ils. Eux-mêmes d’ailleurs se réunissaient assidûment chez Piochou, leur chef ; et il arrivait parfois qu’entre onze heures et minuit, en sortant de leurs parlotes respectives, les deux groupes adverses, causant bas entre eux, s’arrêtant de loin en loin pour se communiquer mystérieusement une idée, tels des conspirateurs, se croisaient dans la grande rue du village,