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Page:Lavergne, Jean Coste - 1908.djvu/157

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sont encore dans un coin près de l’entrée, à peine roulés. Un murmure de colère court dans les rangs des conservateurs déçus et on sent déjà les poings se serrer. Dans l’après-midi, le mécontentement s’accroît, car deux gendarmes, qu’en prévision de troubles le maire a fait venir du chef-lieu de canton, paraissent sur la place vers trois heures de relevée.

— On veut nous voler, — hurle-t-on dans les groupes ; — mais nous ne nous laisserons pas faire.

On continue à voter, chaque parti mobilise les siens, même les invalides ; des vieillards malades, impotents, quelques-uns en enfance, la bouche baveuse, sont apportés dans la salle de la mairie où, ceint de son écharpe, trône M. Rastel, en nage, suant par tous les pores et couvrant d’un regard protecteur l’urne posée devant lui.

Au dehors, le soleil chauffe ; l’après-midi devient orageuse ; de gros nuages blancs s’étagent à l’horizon. Sous les effluves électriques, la foule s’agite devant la mairie, les gestes se précipitent, les paroles se croisent, menaçantes parfois. De groupe à groupe, on s’interpelle, on se chamaille ; des altercations se produisent ; déjà plusieurs jeunes gens en sont venus aux mains. D’autres scènes de pugilat se préparent ; les poings se ferment, se lèvent çà et là, prêts à frapper. Des bruits courent que le maire et ses amis ont subtilisé des bulletins, en ont substitué d’autres. D’aucuns citent le fait, assurent sans raison qu’ils en ont été témoins ; un électeur réactionnaire jure que le maire a pris son bulletin avec des doigts tachés d’encre exprès pour le faire annuler au dépouillement ; à vouloir persuader leurs amis, ils finissent par y croire eux-mêmes et, au moindre signe de doute, deviennent plus affirmatifs, précisent les circonstances, vont jusqu’à de solennels serments, coupés de menaces et d’insultes grossières. Leurs adversaires les contredisent, les provoquent. Les esprits fermentent. Des pro-