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Page:Lavergne, Jean Coste - 1908.djvu/166

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sent vigoureusement des creux emplis par l’humus noirâtre des feuilles décomposées. C’étaient des parties joyeuses et de la santé pour les enfançons et pour Louise. Afin d’éviter une trop grande fatigue, on faisait halte en maints endroits. Jean s’asseyait pour lire à l’ombre d’un chêne ou bien cueillait à travers rocs des plantes pour son herbier. Louise tricotait, tout en surveillant les jumelles. Quant à Rose et à Paul, ils ne quittaient pas une minute la chèvre et se plaisaient à gambader autour d’elle ou après elle. Mémé s’était vite familiarisée avec eux. Capricieuse et fantasque, elle s’émancipait parfois et échappait aux menottes impuissantes à la retenir. Elle grimpait, en bondissant, de roc en roc, s’arrêtant pour brouter une touffe d’herbe ou les pousses tendres des chèvre-feuilles, et, parvenue à la cime d’un rocher élevé, s’y piétait un moment. Là, comme pour les narguer, elle bêlait doucement, les yeux d’or à mi-clos, vers les enfants qui avaient peur pour elle.

— Papa, papa, — criait Rose, — Mémé va faire poum !

Et sur sa petite figure effrayée, se lisait l’émotion qu’elle ressentait à contempler les ébats dangereux de la chèvre. Enfin, avec des bonds gracieux, donnant un coup de dent à chaque plante saxatile qu’elle rencontrait, Mémé dégringolait le versant au grand plaisir des enfants rassurés. Alors, ils l’appelaient tendrement, remuant leurs petits doigts d’un geste qui dit : « Viens ! » La chèvre s’avançait vers eux puis les regardait accourir, immobile. Déjà, leurs petites mains se tendaient pour saisir la longe ou les cornes, mais elle, qui avait paru les attendre, se dérobait par un saut de côté, fuyait prestement pour s’arrêter quelques pas plus loin et bêlait de nouveau. Le jeu recommençait car Rose et Paul s’obstinaient à qui mieux mieux. Autant de pourchas capricieux qui donnaient aux deux enfants saine fatigue, bon appétit et grand sommeil, chaque vesprée.

Le soleil couché, lorsque le bleu soyeux du ciel rougeoyait