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Page:Lavergne, Jean Coste - 1908.djvu/185

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champs en compagnie de Mémé. Car la chèvre elle-même n'était plus là pour les distraire. Avec l'hiver, il aurait fallu de l'herbe, du fourrage à la maison ; pour cette raison, et, surtout pour avoir de quoi solder une note, la chèvre avait été vendue et les bessonnes sevrées.

Aussi le garçonnet et la fillette erraient-ils dans la maison froide, l'âme en peine, les mains et les pieds gondolés d'engelures. Timidement, ils se réchauffaient au maigre feu de la cuisine, rudoyés pour un rien, n'osant plus rire, s'amuser ou bavarder comme jadis, surpris quand leur mère ou leur père, à les voir si tristes, oubliaient leurs rancunes, et, pleins de regret, les unissaient dans leur affection, les couvraient soudain de caresses, ainsi qu'au temps passé.


XXIX


Jean fit plusieurs fois à pied le voyage de Montclapiers sous la bise piquante et malgré la neige tombée. Heureusement la route est très passante, en tout temps : charrettes, voitures et piétons y avaient frayé un chemin. Il mit ainsi au mont-de-piété tout ce qui pouvait avoir de la valeur et s'emporter facilement. Plus rien ne restait à engager, si ce n'est les meubles que, décemment, il ne fallait pas songera faire charrier et vendre à Montclapiers, au vu et au su de tout Maleval.

Aussi abattu, aussi veule qu'un cheval fourbu, Jean ne cherchait plus à réagir, dans une inertie et une passivité douloureuse de l'âme et du corps. Qu'aurait-il fait ? Il souhaitait même de n'avoir plus dépensée, de réflexion, d'être aussi puéril et aussi indifférent que ses enfançons, qui, malgré leurs doigts crevassés par le froid, s'éjouissaient d'une paille, d'un caillou blanc, d'un rai de soleil.