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Page:Lavergne, Jean Coste - 1908.djvu/45

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petite Rose, ne comprenant pas ces rires, ouvrait ses grands yeux bleus, le doigt toujours tendu vers la montagne, blanche comme un énorme pain de sucre aux cassures pailletées d’argent. Elle était jolie à croquer, avec ses cheveux emmêlés, l’étonnement naïf de son minois rose et son air très sérieux, un peu piqué. Louise la prit follement entre ses bras. Toute souriante aux questions répétées de la fillette, elle oublia son chagrin. Sa tranquillité persista durant la journée. Même, dans l’après-midi, entendant Jean chantonner une romance qu’ils fredonnaient ensemble au temps de leurs fiançailles, elle se sentit heureuse et joignit sa voix grêle et chevrotante de faiblesse à la voix profonde de son mari.

Mais, malgré qu’elle en eût, les jours suivants, elle fut reprise de languitude, tourmentée par le mal du pays. Cela lui venait surtout le matin, dans son lit, où, leur installation terminée, elle s’oubliait à paresser, fatiguée par sa grossesse difficile, pendant que Jean s’occupait de ses élèves et surveillait Rose et Paul, jouant dans le jardin.

Son état souffrant la prédisposait à ces accès de nostalgie. Essayait-elle de se lever pour se débarrasser, en agissant, de la mélancolie qui la prenait ? Elle se sentait les jambes molles, incapable d’aucun effort, de jour en jour moins vaillante ; des étouffements l’oppressaient ; elle avait des battements de cœur et des étourdissements causés par l’anémie de son corps épuisé. Et telle était bientôt sa grande lassitude qu’elle se rejetait incontinent sur son lit, à demi vêtue. Alors, les yeux au plafond, elle rêvassait des heures entières. Son imagination lui évoquait le doux pays natal, les amis et connaissances qu’elle y avait laissés, parmi des souvenirs d’heures paisibles et heureuses. Elle regrettait ces promenades dominicales où elle passait, dans les groupes, au bras de son mari, sous le frais ombrage des platanes, suivie d’un regard d’envie par ses anciennes compagnes de magasin. Et, tout à coup, dans une détresse affreuse d’âme, accrue par la